Avis du 14 octobre 2019 relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0271 du 22 novembre 2019
Record NumberJORFTEXT000039408234
Date de publication22 novembre 2019
CourtCONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Enactment Date14 octobre 2019


Depuis sa création, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a relevé, à de nombreuses reprises, les carences de la prise en charge de la santé mentale des personnes détenues et leurs lourdes conséquences. Alors que les ministres de la justice et de la santé ont annoncé une feuille de route (1) déclinant vingt-huit actions pour évaluer la santé des personnes incarcérées et le lancement d'une étude pour évaluer la santé mentale des détenus, le CGLPL dresse un constat accablant de cette situation et entend réaffirmer le principe d'une égalité réelle d'accès aux soins et de traitement entre les patients détenus et le reste de la population.
S'agissant des personnes détenues souffrant de troubles mentaux, le Contrôleur général intervient à un double titre : il s'assure du respect des droits fondamentaux liés à leur statut de détenu (défense, conditions de détention, dignité, intégrité physique et psychologique, maintien des liens familiaux, accès aux activités, accès aux soins, réinsertion, etc.) et de ceux qui s'attachent à leur qualité de patient (accès à une prise en charge équivalente à celle dont bénéficie la population générale, dignité et confidentialité des soins, libre choix du médecin, continuité des soins, etc.).
Les constats du CGLPL portent sur des situations concrètes : des pathologies lourdes aggravées par l'enfermement et l'isolement, un risque de suicide accru et des conditions de détention qui perturbent l'accès aux soins, nuisent à leur efficacité et, finalement, privent la sanction pénale de son sens. A l'origine de ces situations, trois facteurs principaux peuvent être identifiés : la méconnaissance des pathologies affectant la population pénale, l'insuffisance des moyens institutionnels de leur prise en charge et la banalisation d'atteintes quotidiennes aux droits fondamentaux, parfois de faible gravité, mais récurrentes.
Une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l'homme aborde la question de la santé mentale des personnes détenues au regard de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui prohibe la torture et les traitements inhumains et dégradants. La Cour a condamné la France à plusieurs reprises, en raison notamment du suicide de personnes détenues, de sanctions infligées à un détenu souffrant de troubles psychotiques ou du maintien en détention, sans encadrement médical approprié, d'une personne atteinte d'une psychose chronique. Elle a rappelé le devoir de vigilance pesant sur les Etats membres dans la prévention du suicide des prisonniers vulnérables, s'attachant en particulier à déterminer si le sentiment de détresse provoqué chez ces personnes du fait de leur état psychique « excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ». Enfin, la Cour considère que les allers-retours entre les structures sanitaires et la détention peut faire obstacle à la stabilisation de l'état de santé de la personne malade et méconnaître à ce titre l'article 3 de la Convention.


1. Les pathologies mentales affectant les personnes détenues sont mal connues
1.1. Les études épidémiologiques sont anciennes ou partielles


La dernière étude épidémiologique réalisée en France sur la santé mentale dans les prisons françaises (2) montre que huit détenus masculins sur dix souffrent d'au moins un trouble psychiatrique et, parmi eux, 24 % souffrent d'un trouble psychotique. 42 % des hommes et la moitié des femmes en métropole ont des antécédents personnels et familiaux d'une gravité manifeste ; 40 % des hommes et 62 % des femmes détenues présenteraient un risque suicidaire.
Une étude sur la santé mentale de la population carcérale du Nord-Pas-de-Calais conduite entre 2015 et 2017 a confirmé ces données et mis en lumière des comorbidités très fréquentes, puisque 45 % des arrivants en détention présenteraient au moins deux troubles psychiatriques et plus de 18 % au moins quatre troubles (3).
Le CGLPL fait état depuis de nombreuses années de la carence d'une analyse qualitative fine de la souffrance psychique des détenus, de l'évolution des troubles au cours de la détention et des effets potentiellement pathogènes de l'incarcération, et soulignait, dans son rapport d'activité pour 2013, la nécessité de mieux connaitre l'importance des troubles psychiatriques dans les lieux d'enfermement. A ce titre, il émettait la recommandation suivante : « Constatant l'absence ou l'ancienneté des études à ce sujet, le Contrôleur général recommande le lancement d'enquêtes épidémiologiques longitudinales sur les troubles psychiatriques dans les lieux de privation de liberté, y compris les hôpitaux psychiatriques ».
Il est aujourd'hui indispensable d'améliorer la connaissance des pathologies mentales chez les personnes détenues, en l'orientant vers la recherche d'une prise en charge adaptée et la définition d'une politique de soins et en insistant sur la nécessité de donner à cette démarche un caractère récurrent et consensuel.


1.2. La justice ne dispose pas des moyens nécessaires pour identifier les pathologies mentales


Parmi les principales causes identifiées de la surpopulation carcérale figurent la détention provisoire et la procédure de comparution immédiate, destinée à accélérer la réponse pénale, et qui aboutit fréquemment à des incarcérations immédiates. Or, les personnes souffrant de troubles mentaux ont souvent des difficultés à s'exprimer, notamment sur l'existence d'un suivi psychiatrique. En outre, les avocats, généralement désignés d'office, qui interviennent dans ce type de procédures, n'ont pas toujours la possibilité d'étudier l'intégralité des dossiers et lorsqu'une expertise psychiatrique est diligentée, elle n'est pas suspensive : la personne objet de l'expertise est donc susceptible d'être incarcérée dans l'attente des conclusions. Lorsqu'une peine d'emprisonnement est prononcée, elle est souvent exécutée alors que l'état de la personne condamnée nécessiterait une prise en charge psychiatrique que la prison, contrairement à une idée reçue, parfois même parmi les magistrats, n'est pas en mesure de prodiguer.
Depuis le 1er mars 1994, l'article 122-1 du code pénal permet au juge de tenir compte, lorsqu'il « détermine la peine et en fixe le régime », d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré le discernement de l'auteur d'une infraction pénale (4). La loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales prévoit quant à elle, le cas échéant, une réduction de la peine (d'un tiers quand est encourue une peine privative de liberté et, en cas de crime puni de la détention criminelle à perpétuité, cette dernière est ramenée à trente ans). Cette évolution a mis un terme à la pratique antérieure qui tendait à faire de l'altération du discernement résultant d'un trouble psychique ou neuropsychique une circonstance aggravante et, par conséquent, à alourdir les peines au lieu de les alléger, pratique qualifiée de discriminatoire par l'ONG Human Rights Watch (5).
Les expertises psychiatriques, qui ne sont systématiques qu'en matière criminelle et qui en tout état de cause ne lient pas le juge, concluent cependant rarement à l'irresponsabilité totale prévue à l'alinéa premier de l'article L. 122-1 du code pénal. Cette tendance s'expliquerait en partie par les réticences des experts à orienter la personne examinée vers le service public hospitalier, dont ils connaissent les limites et le niveau de saturation (6), auxquelles s'ajouterait leur méconnaissance du milieu pénitentiaire et des conditions de vie qui le caractérisent : ainsi certaines expertises mentionnent-elles que, malgré des troubles graves, la prison pourrait « redonner le sens moral » à l'intéressé, ou lui « permettre de se resituer par rapport à la loi ».
Enfin, comme...

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