Avis du 17 septembre 2018 relatif à la prise en compte des situations de perte d'autonomie dues à l'âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires

JurisdictionFrance
Date de publication22 novembre 2018
Record NumberJORFTEXT000037630906
Publication au Gazette officielJORF n°0270 du 22 novembre 2018
Enactment Date17 septembre 2018

Une personne détenue qui se déplace en fauteuil roulant ne peut accéder au coin sanitaire de sa cellule en raison d'une marche à franchir, de son exiguïté et de l'absence de siège et de barre : pour se laver, elle n'a d'autre solution que de s'arroser avec un tuyau relié au lavabo, en inondant le sol. Un homme hémiplégique doit compter sur l'aide de son codétenu pour parvenir à son propre lit. Deux septuagénaires souffrant de troubles cardiaques dorment depuis plusieurs mois dans des lits superposés, ce qui oblige l'un à se hisser sur sa couchette avec difficulté en piétinant celle de l'autre. Une personne octogénaire sénile n'est pas en capacité de s'entretenir avec un contrôleur lors d'une visite.
Situations rencontrées par les contrôleurs au cours de visites ou dans le cadre de saisines.

Témoin du quotidien de cette minorité mal identifiée et parfois invisible, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est fréquemment alerté sur les conditions de détention de personnes en situation de dépendance due à l'âge ou à un handicap, et ce dans tous les types d'établissements pénitentiaires ou d'unités hospitalières spécialisées (1).
En France, comme dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, l'emprisonnement, en détention provisoire ou en exécution d'une condamnation, ne se heurte à aucune limite d'âge. La tendance au vieillissement de la société, l'allongement de la durée des peines et des prescriptions pénales sont autant de facteurs expliquant l'augmentation du nombre de personnes âgées en détention (2). De plus, les personnes incarcérées ont tendance à vieillir prématurément et sont souvent sujettes à davantage de problèmes de santé que les personnes en liberté. Nombre d'entre elles présentent des situations de dépendance ou des pathologies dues à l'âge, qui doivent être prises en compte par l'administration pénitentiaire.
Par ailleurs, l'administration pénitentiaire prend en charge au sein des établissements pénitentiaires des personnes handicapées. La notion de handicap est ainsi définie par la Convention des Nations unies pour les droits des personnes handicapées (CNDPH) : " par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres ".
Les principes fondamentaux d'égalité, de non-discrimination, d'accessibilité et d'aménagement raisonnable (3), qui doivent présider à leur intégration dans la société, doivent être mis en œuvre en détention.
Ces principes guident la prise en charge de groupes de personnes présentant des situations très différentes. Leur diversité, et notamment les particularités liées au handicap mental, contraint à limiter le propos de cet avis aux situations de handicaps physiques - catégorie elle-même hétérogène : difficultés de locomotion, surdité, etc. La détention des personnes atteintes de troubles mentaux fera l'objet d'un avis distinct.
Dans la continuité de ses premiers travaux sur la prise en charge des personnes âgées ou atteintes de pathologies invalidantes (4), le CGLPL souhaite à nouveau appeler l'attention sur les atteintes aux droits fondamentaux de ces personnes et poser la question du sens de leur maintien dans les établissements pénitentiaires. Il s'appuie pour cela sur les constats réalisés lors de ses visites et vérifications en établissements pénitentiaires (5) et sur de nombreux témoignages reçus.
Ces questions prennent un relief particulier au regard de la situation dramatique de la surpopulation carcérale en France, à laquelle le CGLPL a consacré en 2018 un rapport thématique (6). Le CGLPL constate en effet que la surpopulation a notamment pour conséquence une détérioration importante des conditions de détention et de la qualité des soins, et génère tensions et insécurité. Une telle situation affecte l'ensemble de la population concernée, mais elle a un impact disproportionné sur les personnes vulnérables.
Il n'existe pas de données chiffrées récentes relatives au nombre et à la proportion de personnes incarcérées présentant un handicap. La dernière étude concernant ce sujet, l'enquête " Handicaps- incapacité-dépendance en milieu carcéral " (ou " HID-prisons ") date de 2001 : " à structure par âge et par sexe comparable, la proportion de personnes ayant au moins une difficulté est près de trois fois plus élevée en prison que dans le reste de la population " (7).
Il est de ce fait impossible de mettre en place une stratégie nationale de prise en charge adaptée à ces publics. Dans la résolution 2223 (2018) sur les détenus handicapés en Europe, adoptée le 1er juin 2018, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe " invite les Etats membres à recueillir des données statistiques, y compris des données ventilées par âge, par sexe et par d'autres critères pertinents, permettant d'avoir une vision précise du nombre et de la situation des détenus handicapés dans toute leur diversité ". Elle indique que ce recueil de données est le préalable à l'identification des mesures et des moyens nécessaires pour remédier aux problèmes rencontrés par les détenus handicapés.
Le handicap et l'âge ne constituent pas en soi des causes d'incompatibilité avec la détention. Il appartient donc à l'administration pénitentiaire de prendre en charge ces personnes en tenant compte de tous les degrés de dépendance et de la grande diversité des besoins (soins, appareillage paramédical, aide humaine, aménagement de l'environnement, suivi psychiatrique et psychologique, etc.), afin que " les détenus souffrant d'une incapacité physique, mentale ou autre aient un accès entier et effectif à la vie carcérale de façon équitable " (8).
Toutefois, dans certaines situations, il apparaît indispensable de se poser la question de la poursuite de l'incarcération, au regard du sens de la peine et de la prévention des traitements inhumains ou dégradants.
Cette question doit nécessairement être posée en amont, au moment du prononcé de la peine ou du placement en détention provisoire. La résolution du Conseil de l'Europe sur les détenus handicapés engage les Etats à prévoir et à développer davantage l'application de peines aménagées ou alternatives et à envisager systématiquement des peines ou des mesures coercitives provisoires non privatives de liberté. La gravité des faits, la nature du handicap et la capacité du système de détention à prodiguer les soins appropriés, en tenant compte du principe des aménagements raisonnables, sont parmi les critères qui doivent présider à ces décisions.
Cette résolution, qui est une application du principe général de personnalisation des peines, doit être mise en pratique par les magistrats français ; les mêmes critères doivent être pris en compte lorsqu'il est envisagé d'incarcérer une personne âgée. Pour ce faire, il est indispensable que les magistrats en charge du prononcé des peines ou du placement en détention provisoire aient une connaissance réelle des conditions dans lesquelles les personnes qu'ils incarcèrent vont exécuter leur peine. Lors de l'incarcération, le droit au maintien des liens familiaux doit également être pris en compte. Ce dernier est en effet trop souvent mis en péril par un éloignement géographique important, justifié par la nécessité de fournir un établissement adapté. Ce type de transfert postérieur à l'incarcération doit être proscrit ; d'autres solutions doivent être trouvées en amont. A l'instar des dispositions issues de la loi du 15 août 2014 concernant les femmes enceintes, le CGLPL recommande, s'agissant des personnes handicapées et des personnes âgées de plus de 70 ans, que le procureur de la République ou le juge de l'application des peines s'efforcent par tout moyen de faire en sorte que la peine s'exécute en milieu ouvert (9).
Lorsqu'au cours de la détention l'état de santé de la personne se révèle incompatible avec celle-ci, des outils juridiques permettent d'interrompre l'incarcération. Le CGLPL constate néanmoins qu'ils ne fonctionnent pas pleinement.
1. L'adaptation des conditions de détention doit concerner tous les aspects de la prise en charge
Une prise en charge adaptée suppose un repérage pertinent des situations et des besoins, à l'arrivée et au cours de l'incarcération. Des agents doivent être formés à cette fin. De façon complémentaire, il appartient aux unités sanitaires de mettre en place des outils de détection des situations de handicap.
Au-delà des aménagements matériels qui seront évoqués plus loin, c'est toute l'organisation de la vie en détention qui se révèle souvent inadaptée aux besoins des personnes et qui doit dès lors faire l'objet de mesures particulières.
Lors des visites d'établissements, les contrôleurs rencontrent fréquemment des personnes dont le handicap ou les difficultés dues à l'âge ne sont pas suffisamment, voire pas du tout prises en compte. Lors des entretiens avec les contrôleurs, ces personnes expriment à quel point la vie en détention est source de peur et d'angoisse : la confrontation avec une population majoritairement très jeune, leur isolement car les cours de promenade représentent un espace où elles sont particulièrement...

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