Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 9 mai 2014 relatif à la situation des personnes étrangères détenues

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0127 du 3 juin 2014
Date de publication03 juin 2014
CourtCONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Record NumberJORFTEXT000029036209



1. La loi pénale s'applique naturellement aux étrangers, sous réserve de conventions internationales régissant des situations particulières, par exemple la protection des diplomates ou le droit de l'extradition. Par conséquent, la présence d'étrangers en détention ne doit pas étonner.
2. Les conditions juridiques de leur détention relèvent de principes simples, depuis longtemps définis par le Conseil constitutionnel. « Le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques à la condition de respecter les engagements internationaux souscrits par la France et les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République » (n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, consid. n° 33). Si certains de ces droits sont inaliénables, comme le droit à la vie ou le droit de ne pas subir de torture, de traitements inhumains et dégradants, il n'existe en revanche « aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle [conférant] aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national » (par exemple n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005, consid. 14). Il en résulte qu'il appartient à la loi de concilier les autres libertés et droits fondamentaux avec l'ensemble des objectifs de valeur constitutionnelle, en particulier la sauvegarde de l'ordre public. Rien ne s'oppose, par exemple, à ce que pour assurer celui-ci existent des sanctions pénales (ainsi l'interdiction du territoire, article 131-30 du code pénal) ou administratives (ainsi l'expulsion, article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile) applicables aux seuls étrangers.
Rien n'interdit théoriquement à la loi, pour ces seuls objectifs, de différencier les régimes de détention entre Français et étrangers. Le code de procédure pénale prévoit ainsi un régime particulier de libération conditionnelle destiné à faciliter l'expulsion de personnes étrangères détenues (art. 729-2), comme on le verra ci-après. Mais, a contrario, lorsque la loi n'a pas prévu de distinction, il ne peut y avoir de différences de traitement en prison du seul fait de la nationalité. Ainsi, le principe d'égalité, sous réserve de distinctions fondées sur d'autres critères (prévenus et condamnés, etc.), reprend toute sa portée et, avec lui, les « garanties fondamentales accordées aux personnes détenues », dont il appartient au législateur de déterminer les règles (Cons. constitutionnel, décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, consid. n° 5). Certes, dans une telle hypothèse, « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général », mais c'est à la condition « que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (n° 2003-483 DC du 14 août 2003, consid. n° 23). Mais dès lors que ces conditions ne sont pas remplies, aucune différence de traitement ne trouve sa justification.
Il résulte simplement de ces principes que, de manière pratique, rien ne justifie, sauf exception, une différence de traitement entre les personnes détenues de nationalité française et celles de nationalité étrangère. En revanche, l'absence de mesures spécifiques de l'administration peut engendrer, dans certaines circonstances, une rupture irrégulière de cette égalité.
3. Au 1er janvier 2014, 18,5 % des 77 883 personnes écrouées étaient de nationalité étrangère.
Cette réalité appelle plusieurs précisions.
En premier lieu, l'administration pénitentiaire ne publie pas de données sur la part d'étrangers dans les personnes effectivement hébergées (au nombre de 67 075, à la même date). Elle n'est vraisemblablement pas différente de celle des étrangers écroués. Il est possible qu'elle soit légèrement supérieure, en raison de plus grandes difficultés d'accès des étrangers qu'on peut supposer à l'aménagement des peines, comme on verra ci-après.
En deuxième lieu, on sait que cette part est plus élevée que la part des étrangers dans la population française (6 %). On a expliqué depuis longtemps et savamment cette différence, qui a fait naître des commentaires moins judicieux, par trois ordres de facteurs : les délits, propres aux étrangers, relatifs à l'entrée et au séjour ; les pratiques institutionnelles résultant de la loi et des tribunaux ; les caractères de la population étrangère, largement partagés avec les catégories sociales de Français les plus défavorisées, lesquelles peuplent massivement les prisons.
En troisième lieu, la réalité étrangère est incontestable du point de vue juridique. Mais elle présente une grande variété du point de vue de la détention : prévenus, condamnés mais aussi écrou extraditionnel. Il en va de même du point de vue social : certains étrangers, par leurs modes d'existence, sont très proches des personnes de nationalité française, du fait de l'ancienneté de leur séjour ou de leur niveau de vie ; d'autres, au contraire, n'entendent rien de la langue française, pas plus qu'aux procédures qui leur sont appliquées. Conformément à sa mission, c'est à ces derniers que le contrôle général s'est intéressé, évidemment sans exclusive.
En quatrième lieu, la situation des étrangers dans les prisons se présente qualitativement (en raison de ce qui précède) et quantitativement de manière différente selon les établissements pénitentiaires. Si, dans les établissements pour peines, le nombre d'étrangers est relativement proche du pourcentage national des étrangers écroués (centre de détention de Joux-la-Ville, 16,5 % lors de la visite du contrôle en 2009 ; centre de détention de Muret, 16,3 % en 2013 ; maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, 19 % en 2009...), il n'en va pas de même dans les maisons d'arrêt (ou les centres pénitentiaires dont les quartiers « maison d'arrêt » pèsent lourd), à recrutement plus local, dont la population reflète la répartition des étrangers sur le territoire national ou bien la concentration des affaires judiciaires (maison d'arrêt d'Aurillac, en 2012, 8,8 % ; maison d'arrêt de Gap, en 2011, 16 % ; maison d'arrêt de Nice, en 2008, 33 % ; maison d'arrêt de Paris la Santé, en 2010, 42,45 % ; centre pénitentiaire de Fresnes, en 2012, 36,1 % ; centre pénitentiaire Sud francilien, en 2013, 21,8 %...). Les caractères de cette population étrangère ne sont pas toujours comparables, notamment au regard des nationalités dénombrées dans un seul établissement : douze nationalités au centre pénitentiaire de Baie-Mahault (Guadeloupe), dont une seule regroupant les deux tiers des étrangers ; mais plus de cent nationalités parmi les 2 165 personnes détenues à Fresnes le 1er janvier 2012. On peut évidemment déduire de cette dernière circonstance...

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