Avis Etat d'urgence sanitaire : le droit à l'éducation à l'aune de la Covid-19

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0132 du 31 mai 2020
Record NumberJORFTEXT000041939440
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication31 mai 2020

Assemblée plénière du 26 mai 2020 (adoption à 35 voix pour, 1 voix contre et 3 absentions)


Abstract :
L'avis Etat d'urgence sanitaire : le droit à l'éducation à l'aune de la Covid-19 alerte sur l'urgence de garantir l'égalité des chances et le droit à l'éducation pour tous et offre de nouvelles perspectives pour construire une école plus respectueuse des droits. Cet avis formule neuf recommandations à l'attention des pouvoirs publics parmi lesquelles une recommandation sur la nécessité d'augmenter les effectifs des enseignants et une autre invitant à l'élaboration d'un plan vacances favorisant la mixité sociale et l'égalité des chances.

1. Le droit à l'éducation est un droit fondamental, indispensable à l'exercice de tous les autres droits de l'homme. Les instruments normatifs des Nations unies, sur le fondement de l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui dispose que " toute personne a droit à l'éducation ", établissent des obligations légales en matière de droit à l'éducation pour les Etats parties (1). De même, le protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), en son article 2, spécifie que " nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction ". Assurer l'accès pour tous à une éducation de qualité, sur un pied d'égalité, a par ailleurs été érigé au rang d'objectif mondial de développement durable par l'agenda 2030 (2).
2. En France, le droit à l'éducation est garanti pour tous les enfants, sans condition d'origine, de situation administrative ou encore de lieu d'habitation. Précisément, l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction (3) est mise en œuvre par les dispositions de l'article L. 111-1 du code de l'éducation qui dispose que : " L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative (…). Pour garantir ce droit dans le respect de l'égalité des chances, des aides sont attribuées aux élèves et aux étudiants selon leurs ressources et leurs mérites. La répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situation, notamment en matière économique, territoriale et sociale ".
Au-delà de la scolarisation stricto sensu, il s'agit de favoriser le vivre-ensemble et donner à chacun la possibilité de bâtir son propre développement (4). L'éducation est également un devoir dont la mise en œuvre repose sur l'État, les collectivités locales et les familles.
3. La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a toujours été particulièrement attentive à l'effectivité et aux conditions de mise en œuvre du droit à l'éducation en France (5). Ces dernières années, la CNCDH s'est montrée constamment préoccupée par les inégalités d'accès à l'école, mettant en lumière l'ampleur du phénomène d'exclusion scolaire qui touche de nombreux enfants (6), mais aussi par le caractère très inégalitaire du système scolaire français et par les discriminations qu'il peut engendrer (7).
4. La crise sanitaire et économique liée à la pandémie de covid-19 et les mesures mises en œuvre pour y remédier jettent une lumière crue sur les nombreux dysfonctionnements de l'institution scolaire. Mais la crise suscite également des initiatives multiples et des rapprochements fructueux. Il importera de s'attacher à l'étude des difficultés qui ont surgi durant cette crise, ainsi que des innovations et des expérimentations, non seulement dans le domaine pédagogique mais aussi en matière de vie sociale, qui se sont développées autour de l'école.
5. Dans ce présent avis, la CNCDH s'attache à tirer des enseignements du déroulement des périodes de confinement et de déconfinement, telles qu'elles ont été vécues à l'école et dans son environnement, et à aborder l'indispensable question des perspectives qui s'ouvrent à leur issue. La CNCDH poursuit ses travaux relatifs au droit à l'éducation et adoptera un avis complémentaire.

I. - Confinement, déconfinement et eérosion du droit àl'égalité dans l'éducation
A. L'impossible " continuité pédagogique "

6. La " continuité pédagogique ", au coeur de la communication du ministère de l'Education nationale, s'est révélée largement illusoire et a contribué à renforcer les inégalités entre les élèves. S'il était normal que le ministère cherche à pallier les dommages créés par la fermeture des établissements scolaires, et si un indéniable effort a été fait par ses services dans ce but, la mise en oeuvre a largement témoigné d'une méconnaissance des réalités sociales et familiales. Le professionnalisme et le dévouement du personnel éducatif ont été essentiels pour assurer cependant une continuité du service public d'éducation.
7. Les familles doivent être reconnues comme des partenaires à part entière de l'institution scolaire. Déjà particulièrement mal reconnu en France pour les familles vivant dans la plus grande pauvreté ou n'ayant pas une totale maîtrise de la langue française, ce droit a été encore plus compromis du fait que la promotion officielle de la " continuité pédagoqique " n'a pas été fortement accompagnée du rappel que l'acte éducatif suppose une relation humaine entre enseignant et élève qui est irremplaçable. L'impact des inégalités économiques et sociales a été multiplié par le confinement et l'injonction de continuité pédagogique faites aux parents ne pouvait dans ce cadre que créer un désarroi rarement exprimé et dont les répercussions sur les jeunes peuvent être dramatiques. Un cas extrême de perte de ce droit fut celui des familles en totale précarité, vivant en bidonvilles, pour qui le faible lien social conservé par une présence minimale des enfants à l'école a été totalement rompu.
8. Les familles devraient bénéficier des moyens assurant à leurs enfants un bon cadre favorisant leur intégration à l'école. Ce soutien a été, plus encore que d'ordinaire, insuffisant car elles ont dû faire face à des difficultés matérielles accrues. Cela a été tout particulièrement le cas en ce qui concerne les outils numériques, lesquels reposaient largement sur l'usage d'internet et de moyens d'enseignement à distance, posant à la fois des questions d'éducation au numérique et d'accessibilité aux familles (8) notamment quand leurs conditions matérielles d'existence ne permettent pas aux jeunes d'en faire usage ou d'être accompagnés à cet effet.
9. Si le ministère affirme n'avoir perdu trace que d'environ 4 % des élèves, il faut souligner cependant qu'il existe de très fortes variations selon les territoires ou les secteurs d'enseignement. Il semblerait que les décrocheurs seraient plus nombreux dans les milieux populaires à faibles ressources économiques/culturelles...

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