Avis : mettre fin au délit de solidarité

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0131 du 4 juin 2017
Date de publication04 juin 2017
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000034851164

(Assemblée plénière - 18 mai 2017 - Adoption : unanimité - une abstention)

1. A Calais, dans la vallée de la Roya, à Paris… en plusieurs lieux du territoire français, des femmes et des hommes, militants associatifs, bénévoles ou citoyens anonymes s'engagent chaque jour dans des actions concrètes de solidarité pour venir en aide aux milliers de personnes exilées, contraintes de survivre dans les pires conditions, après avoir parcouru des milliers de kilomètres pour tenter de trouver un refuge et une protection en Europe. Face à ces actes d'humanité envers les personnes migrantes, les demandeurs d'asile, les Roms, les sans-papiers, les pouvoirs publics, loin de les encourager, se mobilisent au contraire pour y faire obstacle par différents moyens.
2. Arrestations et poursuites de citoyennes et citoyens ayant aidé des personnes migrantes, avec la menace de lourdes sanctions et parfois condamnations, mesures d'intimidation, entraves à l'action des associations. La solidarité est tenue pour un délit. Si les associations avaient constaté une baisse des poursuites, à la suite de l'adoption de la loi du 31 décembre 2012 (1), elles notent depuis deux ou trois ans une recrudescence d'affaires, certainement liées au renforcement des contrôles aux frontières. Pour les cinq premiers mois de l'année 2017, on recense plus d'une douzaine d'affaires, qui concernent dix-neuf personnes (2). Plus largement, les actes de dissuasion et d'intimidation prennent des formes multiples : surveillance, multiplication des contrôles, arrestations, placements en garde à vue, courriers, et perquisitions parfois musclées. Des mesures sont également prises par certaines collectivités locales à l'encontre des associations pour les empêcher de mettre en place leurs actions humanitaires, les obligeant à entamer de fastidieuses contestations en justice (3). La CNCDH s'inquiète de la recrudescence de poursuites visant à empêcher l'expression de la solidarité envers les personnes migrantes Au-delà, c'est le soutien à l'ensemble des personnes étrangères précarisées qui tend à devenir suspect (4).
3. Dans un courrier adressé au Premier ministre, en date du 24 février 2017, la présidente de la CNCDH condamnait les actes d'entrave à la solidarité et demandait au chef du Gouvernement de " donner sans tarder les instructions pour que cessent les entraves à l'action des associations de solidarité et de défense des droits de l'homme ". Dans son courrier en réponse, le Premier ministre affirme que " l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers a été abrogé le 31 décembre 2012 - ce que l'on a appelé la " dépénalisation du délit de solidarité ". "
4. Pourtant, contrairement à cette affirmation, trop largement partagée, l'article L. 622-1 du Ceseda n'a pas été abrogé (5). La loi du 31 décembre 2012 a introduit, dans un nouvel article, des exemptions, familiales et humanitaires, excluant des poursuites pénales " toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci " (article L. 622-4 du Ceseda). Cela ne constitue pas pour autant une protection suffisamment efficace contre des poursuites visant des actions " humanitaires et désintéressées ", notamment parce que la formulation des dispositions de l'article 622-4 du Ceseda est si imprécise qu'elle peut donner lieu à des interprétations jurisprudentielles contradictoires, en fonction de la nature des actes de solidarité incriminés (6).
5. Les exemptions prévues ne jouant que pour l'aide au séjour, à l'exclusion de l'aide à l'entrée et à la circulation en France des étrangers en situation irrégulière, même désintéressée, une personne peut être poursuivie et condamnée si elle aide...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT