Avis n° 10-A-03 du 3 février 2010 relatif à deux projets de décret réglementant les prix des produits pétroliers et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements d'outre-mer

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0261 du 10 novembre 2010
Date de publication10 novembre 2010
Enactment Date03 février 2010
CourtAUTORITE DE LA CONCURRENCE
Record NumberJORFTEXT000023023528



L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre, enregistrée le 27 novembre 2009 sous le numéro 09/0130 A par laquelle la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a saisi l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article L. 410-2, paragraphe 2, du code de commerce d'une demande d'avis portant sur deux projets de décret réglementant le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements d'outre-mer (DOM) ;
Vu les articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu le livre IV du code de commerce ;
Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;
Vu l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ;
Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 27 janvier 2010 ;
Le représentant du ministère chargé de l'outre-mer entendu sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du code de commerce ;
Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :


I. ― La saisine ministérielle


1. Par lettre enregistrée le 27 novembre 2009 sous le numéro 09/0130 A, et en application de l'article L. 410-2, paragraphe 2, du code de commerce, la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a saisi l'Autorité de la concurrence pour avis sur deux projets de décret réglementant le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements français d'outre-mer (DOM).
2. Le ministre relève, en effet, « que le marché local de ces produits aux normes européennes étant peu étendu, ses acteurs sont de fait en situation de monopole ou en situation d'oligopole restreint, ce qui limite la concurrence au sein de la filière. Leurs unités de raffinage ou d'embouteillage, de taille réduite, ne leur permettent pas de réaliser des économies d'échelle des unités de métropole ». En conséquence, il en résulte, selon la ministre, « la nécessité d'administrer les prix des produits concernés afin d'éviter toute hausse excessive de prix au détriment du consommateur, en attendant que des réformes de structure de la filière puissent être engagées ».
3. Le premier décret concerne les départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et le second, le département de La Réunion. Ces deux décrets ont vocation à remplacer le décret n° 88-0145 réglementant le prix de certains produits dans le département de La Réunion, le décret n° 88-0144 concernant le département de la Guyane, et les décrets n° 88-0146 et n° 88-0147 modifiés concernant respectivement la Martinique et la Guadeloupe.
4. Ces projets de décret découlent de la réflexion engagée par le Gouvernement sur la situation de la concurrence dans les départements ultramarins, réflexion dans laquelle s'est inscrit notamment l'avis de l'Autorité n° 09-A-21 relatif à la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d'outre-mer.
5. Dans cet avis, l'Autorité soulignait la singularité de la réglementation tarifaire dans ces départements. En effet, alors que seul le marché de gros au stade de l'approvisionnement des zones concernées était en situation de monopole, la régulation des prix avait été, dès l'origine, appliquée aux prix de détail. L'Autorité relevait ainsi : « Le dispositif est donc paradoxal puisque le marché de détail, qui apparaît potentiellement concurrentiel, est maintenu sous une régulation stricte alors que la régulation des marchés de gros, dont la justification économique est la plus forte, ne joue qu'un rôle subsidiaire. » L'Autorité proposait dans son avis de renverser le paradoxe en agissant sur les marchés de gros par un certain nombre de mesures structurelles et par un renforcement de la régulation, et de libéraliser à terme, sous contrôle, les marchés de détail.
6. De prime abord, les projets de décret semblent perpétuer le modèle ancien de réglementation des prix tant au stade de gros qu'au stade du détail. Toutefois, cette impression première doit être révisée dans la mesure où les évolutions structurelles souhaitées par l'Autorité sont actuellement en cours et que la libéralisation des prix de détail ne peut être mise en œuvre que de façon progressive. Les projets de décret doivent donc être considérés plutôt comme le reflet d'une première étape transitoire.
7. Après avoir brièvement rappelé la situation de ces marchés, l'avis présentera successivement le cadre juridique de la règlementation et les propositions formulées par l'Autorité sur son évolution souhaitable. L'analyse des projets de décret ainsi que les remarques sur ces textes suivront cette présentation.


II. ― Le contexte économique et juridique des projets de décret
A. ― La situation actuelle du marché des carburants dans les DOM
1. Présentation générale


8. Le marché des carburants dans les DOM se caractérise par sa petite taille ainsi que par le recours aux importations en provenance de raffineries très éloignées : mer du Nord pour les Antilles et île de Singapour pour la Réunion alors même que les DOM ne sont pas situés sur des grandes routes maritimes.
9. L'étroitesse du marché est mise en évidence en comparant la part de la consommation des carburants dans les quatre DOM par rapport à la métropole, consommation qui ne représente que 2,2 % de la consommation métropolitaine pour une population en représentant 2,9 %. Les volumes consommés, pour l'ensemble des quatre départements, représentent environ 1,2 million de m³ (dont plus de 60 % de gazole) contre 55 millions pour la métropole.
10. Le recours aux importations est rendu nécessaire dans la mesure où le carburant vendu dans ces départements doit être conforme aux normes européennes, les départements français d'outre-mer faisant partie intégrante de l'Union européenne. Or, les pays voisins (Etats-Unis, Venezuela, Grandes Antilles ou, dans l'océan Indien, île Maurice) produisent des carburants dont les normes de composition sont moins strictes qu'en Europe, notamment en ce qui concerne la teneur maximale en soufre (30 ppm au lieu de 10 ppm en Europe depuis le 1er janvier 2009). Les départements d'outre-mer doivent donc importer et/ou raffiner du pétrole brut d'une qualité supérieure afin de satisfaire aux exigences environnementales européennes. De surcroît, pour ce qui concerne les Antilles-Guyane, il n'est pas envisageable d'importer des pays voisins du pétrole brut qui serait raffiné par la raffinerie de la Martinique, seule raffinerie présente dans les DOM, car celle-ci n'est pas capable de distiller les pétroles lourds, abondants dans la zone, mais peut seulement raffiner du pétrole plus léger en provenance de la Mer du Nord.
11. En ce qui concerne l'approvisionnement en produits pétroliers, la situation n'est pas la même aux Antilles-Guyane (Martinique, Guadeloupe, Guyane) qu'à La Réunion, puisque la Martinique dispose d'une raffinerie qui approvisionne l'île ainsi que la Guadeloupe et la Guyane, tandis que La Réunion doit importer en totalité le carburant et le GPL consommés sur place.


a) La situation de l'approvisionnement aux Antilles


12. La raffinerie située en Martinique est la propriété de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA). Actuellement, le capital de cette société est réparti entre quatre actionnaires : Total 50 %, Rubis 24 %, Exxon 14,50 % et Chevron 11,50 %. En 2007, Shell a revendu sa participation à Rubis, seul actionnaire qui ne soit pas une compagnie pétrolière. La SARA raffine du pétrole brut provenant de l'Europe du Nord. La production qui en résulte ne couvrant qu'une partie de la consommation (environ les deux tiers), la SARA importe également des produits raffinés de l'Europe du Nord.
13. La Martinique est approvisionnée directement en produits raffinés par la SARA puisque la raffinerie est située dans le département. La Guadeloupe et les îles rattachées (Marie-Galante, La Désirade, Les Saintes) sont en revanche approvisionnées pour partie par cabotage depuis la Martinique et pour partie par livraison directe de produits raffinés importés depuis le port pétrolier de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) sans passage par la Martinique. Les produits pétroliers proviennent également de l'Europe du Nord.


b) La situation de l'approvisionnement en Guyane


14. Depuis 2007, la Guyane est approvisionnée en carburants routiers de la Martinique par un bateau de faible tirant d'eau (le Kerfons) capable d'accéder au port de Degrad-des-Cannes, situé près de Cayenne. Avant cette date, la Guyane importait du pétrole raffiné de Trinidad-et-Tobago qui ne respectait pas les normes européennes en matière de composition des carburants, mais des actions en justice intentées par des importateurs automobiles guyanais contre les compagnies pétrolières ont obligé les importateurs-distributeurs guyanais à fournir du carburant aux normes européennes.


c) La situation de l'approvisionnement à La Réunion


15. La Réunion, qui ne dispose pas de raffinerie, est approvisionnée directement de Singapour par un bateau dédié, le Tamarin (43 000 tonnes), affrété en commun et à tour de rôle, par l'un des quatre importateurs locaux (Total, Shell, Chevron et Tamoil). Selon un accord entre les pétroliers, la société de négoce (« trading ») de l'une des compagnies pétrolières présente sur l'île est chargée, à tour de rôle, pour l'année, des opérations d'achat auprès de la raffinerie et de transport jusqu'à La Réunion. Néanmoins, chaque société importatrice achète auprès de la raffinerie ses propres quantités de carburant, qui sont transportées (puis stockées) de manière...

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