Avis n° 2015-1316 du 12 novembre 2015 relatif au projet de loi pour une République numérique

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0235 du 8 octobre 2016
Record NumberJORFTEXT000033203988
CourtAUTORITE DE REGULATION DES COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES ET DES POSTES
Date de publication08 octobre 2016


L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,
Vu le code des postes et des communications électroniques, notamment son article L. 36-5 ;
Vu le courrier de la secrétaire d'Etat chargée du numérique en date du 6 octobre 2015 ;
Vu le projet de loi pour une République numérique transmis au Conseil d'Etat et publié le 6 novembre 2015 ;


Après en avoir délibéré le 12 novembre 2015,
L'article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques (« CPCE ») prévoit que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (« l'Autorité » ou « l'ARCEP ») est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques, et participe à leur mise en œuvre.
Par un courrier en date du 6 octobre 2015, la secrétaire d'Etat chargée du numérique a sollicité l'avis de l'Autorité sur un projet de loi pour une République numérique.
De façon inédite, ce projet a été mis en consultation publique, du 26 septembre au 18 octobre 2015, afin de recueillir les avis et propositions des internautes - qu'ils soient professionnels, représentants d'associations ou citoyens - et ainsi d'enrichir et de perfectionner le projet de loi. Le 6 novembre 2015, un projet de loi modifié a ainsi été publié sur le site internet mis en place pour la consultation publique.
Il comporte des mesures visant à favoriser la circulation des données et du savoir, à œuvrer pour la protection des individus dans la société numérique et à garantir l'accès au numérique pour tous.
L'Autorité, qui salue l'exercice d'élaboration participative du projet, souhaite formuler les observations suivantes. Le présent avis porte sur la version du projet de loi mise en ligne le 6 novembre 2015.


I. -Tirer toutes les conséquences de la réorientation importante que constitue pour l'ARCEP sa nouvelle mission de gardien de la neutralité de l'internet


L'ARCEP, qui s'est saisie très tôt de la question de la neutralité de l'internet, a développé jusqu'à présent une approche progressive, essentiellement basée sur le droit souple au travers de préconisations adressées aux acteurs en 2010 (1) et 2012 (2).
A l'occasion de la transposition du troisième « paquet télécom » par l'ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 (3), le cadre a été complété en matière de neutralité de l'internet en vue de renforcer les obligations pesant sur les opérateurs en matière de transparence et de qualité de service (4). En outre, les compétences de l'ARCEP en matière d'enquête et de recueil d'information, d'une part, et de règlement de différend, d'autre part, ont été étendues aux conditions techniques et tarifaires d'acheminement du trafic appliquées aux fournisseurs de services de communication au public en ligne (5).
Jusqu'à présent, c'est donc une logique d'autorégulation par la transparence et de règlement a posteriori des éventuels litiges entre acteurs qui avait prévalu en matière de neutralité de l'internet.
Néanmoins, compte tenu de l'importance sociale et économique d'internet, devenu un véritable bien commun, le législateur européen a estimé indispensable de définir un cadre a priori, en consacrant un droit d'accès à l'internet ouvert et en encadrant les pratiques susceptibles d'être mises en œuvre par les opérateurs dans la gestion de leurs réseaux (voir le document « Neutralité de l'internet - Etat des lieux du cadre de régulation » publié par l'Autorité en septembre 2015 pour une présentation des dispositions du règlement) (6).
Si le règlement européen établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques et le règlement (UE) n° 531/2012 concernant l'itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l'intérieur de l'Union (ci-après « règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert »), qui a été adopté par le Parlement européen le 27 octobre 2015, est d'application directe, l'intervention du législateur est nécessaire pour permettre à l'ARCEP de contrôler le respect par les opérateurs des dispositions du règlement.
A cette fin, l'article 16 du projet de loi, dans sa version issue de la consultation publique, prévoit, tout d'abord, de compléter l'article L. 33-1 du CPCE en ajoutant une obligation pour les opérateurs de respecter « p) la neutralité de l'Internet, garantie, conformément au règlement n° … du Parlement européen et du Conseil du ... établissant des mesures relatives à l'internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE sur le service universel et les droits de l'utilisateur concernant les réseaux de communication et les services et le règlement (UE) n° 531/2012 concernant l'itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l'intérieur de l'Union, par :


- le traitement de façon égale et sans discrimination de tout trafic par les opérateurs dans la fourniture des services d'accès à Internet sans restriction ou interférence, quels que soient l'expéditeur et le destinataire, les contenus consultés ou diffusés, les applications ou les services utilisés ou fournis ou les équipements terminaux utilisés ;
- ainsi que par le droit des utilisateurs finals, y compris les personnes fournissant des services de communication au public en ligne d'accéder et de contribuer à Internet.


Des services autres que des services d'accès à internet optimisés pour des contenus, applications ou services spécifiques ou une combinaison de ceux-ci, peuvent également être fournis dans les conditions prévues par le même règlement. »
Le projet de loi complète également les articles L. 36-7 et L. 36-11 pour confier à l'ARCEP le pouvoir de sanctionner les manquements des opérateurs à leurs obligations au titre du règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert.
Afin d'assurer l'effectivité des dispositions du CPCE relatives aux pouvoirs de règlement de différend (7) et de recueil d'information (8) de l'ARCEP à l'égard des fournisseurs de services de communication au public en ligne, le projet de loi prévoit en outre que les manquements de ces acteurs aux dispositions du CPCE peuvent, à l'instar de ceux imputables aux opérateurs de communications électroniques, donner lieu à des sanctions pécuniaires.
Si les modifications du CPCE prévues par l'article 16 du projet de loi sont de nature à contribuer à la mise en œuvre effective du règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert, l'ARCEP invite le Gouvernement et le Parlement à envisager d'autres adaptations pour tirer toutes les conséquences de la réorientation importante de la régulation des communications électroniques que constitue pour l'ARCEP sa nouvelle mission de gardien de la neutralité de l'internet.
La régulation des communications électroniques a été pensée, il y a bientôt vingt ans, avec pour objectif principal l'ouverture du secteur à la concurrence et le maintien des garanties attachées alors au service public. Ces missions restent bien évidemment au cœur des travaux du Gouvernement et de l'ARCEP, qui mettent tous deux en œuvre la fonction de régulation au niveau national. Pour autant, avec les nouveaux principes et outils définis au niveau européen en matière de neutralité de l'internet, c'est bien une nouvelle orientation de la régulation qui se dessine : assurer, au-delà du caractère concurrentiel des marchés et de la mise en œuvre du service universel des communications électroniques, le droit de tout utilisateur (consommateur ou acteur de l'internet) de diffuser et d'accéder aux informations et contenus de son choix et le plein et entier respect de la neutralité dans l'acheminement du trafic correspondant.
En premier lieu, si le projet de loi prévoit de consacrer, à l'article L. 33-1 du CPCE, une obligation pour les opérateurs de respecter « la neutralité de l'internet », il serait cohérent que cette évolution se traduise dans les objectifs assignés au régulateur dans l'exercice de ses missions. Il pourrait ainsi être ajouté, au II de l'article L. 32-1 du CPCE, que, parmi les objectifs poursuivis, dans le cadre de leurs attributions respectives, par le ministre chargé des communications électroniques et l'ARCEP, figure : « 6° bis Le caractère ouvert et neutre d'internet […] ».
En deuxième lieu, l'ARCEP note que les règles en matière de neutralité de l'internet marquent le passage à une régulation plus « horizontale » ou « symétrique », dans laquelle l'ensemble des fournisseurs d'accès à internet sont soumis aux mêmes règles. Dans une telle situation, il existe un risque accru d'asymétrie d'information du régulateur vis-à-vis des opérateurs. Face à ce risque, au-delà des informations qui pourraient être recueillies auprès des personnes fournissant des services de communication au public en ligne concernant les conditions d'acheminement du trafic appliquées à leur service (cf. supra), il est nécessaire de veiller à l'effectivité du pouvoir d'enquête de l'ARCEP et du ministre chargé des communications électroniques. A cet égard, l'ARCEP estime que la rédaction actuelle des articles L. 32-4 et L. 32-5 du CPCE devrait être adaptée afin de préciser les conditions dans lesquelles les enquêteurs peuvent intervenir dans les locaux professionnels des opérateurs, à l'instar des dispositions applicables à d'autres autorités administratives indépendantes (CNIL, Autorité de la concurrence). Il conviendrait également de clarifier les cas dans lesquels une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention est obligatoire, notamment lorsque les lieux sont affectés au domicile privé ou lorsqu'il est procédé à une saisie de documents. Une proposition de rédaction figure en annexe au présent avis.
En troisième lieu, l'Autorité invite le législateur et le Gouvernement à étudier un élargissement du champ de compétence de la Commission supérieure du service public des postes et des communications...

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