Avis relatif au suivi des recommandations du Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels adressées à la France

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0254 du 29 octobre 2017
Date de publication29 octobre 2017
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000035922202

(Assemblée plénière - 6 juillet 2017 - Adoption : à l'unanimité moins 4 abstentions)
" Reconnaissant que, conformément à la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'idéal de l'être humain libre, libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels, aussi bien que de ses droits civils et politiques, sont créées"

Préambule du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1)
1. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après " le Pacte") inscrit, en ces termes, les droits économiques, sociaux et culturels (ci-après " DESC") dans le triptyque universalité, indivisibilité et interdépendance propre aux droits de l'homme. Loin d'être les parents pauvres de ces derniers, les DESC en sous-tendent la pleine et entière réalisation, et par là, découlent de la dignité inhérente à la personne humaine.
2. Conçus dans une démarche de mise en œuvre progressive, les DESC emportent diverses obligations fondamentales qui incombent aux Etats parties à l'égard des droits consacrés par le Pacte. C'est dans ce cadre que le Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels opère (ci-après " le Comité") (2). Ce dernier est en charge du contrôle de la mise en œuvre du Pacte par les Etats parties, par la voie d'un examen périodique de chacun d'entre eux. Dans ce cadre, il adopte des observations finales faisant part de ses préoccupations et recommandations quant à la situation des DESC dans ledit Etat.
3. La France a ratifié le Pacte le 4 novembre 1980, et s'est depuis conformée à l'obligation de remettre périodiquement un rapport précisant la manière dont elle le met en œuvre. Le dernier en date (3) a été examiné par les experts onusiens les 6 et 7 juin 2016, au cours d'un dialogue interactif avec la délégation française. À l'issue de cet échange, des observations finales ont été rendues le 27 juin de la même année (4).
4. A cet égard, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), en tant qu'Institution nationale pour la protection et de promotion des droits de l'homme (INDH), accréditée de statut A auprès des Nations unies, joue un rôle clef. Selon les principes la régissant, elle doit " promouvoir et veiller à l'harmonisation de la législation, des règlements, des pratiques nationaux avec les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, auxquels l'Etat est partie, et à leur mise en œuvre effective" (5). Elle exerce ainsi des missions de conseil auprès du Gouvernement dans le cadre de la rédaction de ces rapports au Comité (6), parallèlement à ses missions de contrôle.
5. Toutefois, le suivi des recommandations nécessite un temps long et ne saurait se résumer à la préparation d'un rapport à intervalle régulier. Une telle conception empêche un véritable suivi et rompt l'effectivité et la continuité du mécanisme qui se veut périodique. Bien que la CNCDH salue une certaine implication des différents ministères dans la mise en œuvre du Pacte, elle doute que l'importance de ces examens soit prise à sa juste mesure.
6. La CNCDH est pourtant convaincue que l'appropriation par le Gouvernement des observations finales qui lui sont adressées par le Comité permettrait une élévation des débats, contribuerait à l'élaboration de politiques publiques respectueuses des DESC, et mettrait ainsi en perspective l'intérêt et la finalité des examens périodiques. Toutefois, cette appropriation ne saurait convenir que si elle est pensée et réalisée selon l'approche par les droits, plaçant alors la concrétisation des droits de l'homme au coeur même de la formulation des politiques publiques. De même, la mise en œuvre des recommandations du Comité doit s'entendre avec une approche sexospécifique, permettant alors de s'assurer que les injustices et inégalités fondées sur le sexe ne se trouvent pas exacerbées, et qu'une plus grande égalité entre femmes et homme soit promue.
7. Souhaitant que la France s'inscrive dans une démarche proactive, la CNCDH lui recommande de se doter d'un plan détaillé de mise en œuvre des recommandations du Comité afin d'anticiper et identifier les mesures qu'elle devra prendre.
Ce nouvel exercice pourrait prendre la forme d'un échéancier, budgétisé et responsabilisant les différents ministères concernés. Forte de son rôle de conseil, la CNCDH conçoit le présent avis comme une notice pratique à laquelle le Gouvernement pourra se référer lors de l'élaboration de son plan d'exécution (7). Pour ce faire, elle reprendra chacune des recommandations du Comité (8) et indiquera ses préconisations quant à leur mise en œuvre. La CNCDH a fait le choix d'amorcer cette nouvelle expression de ses missions avec les recommandations du Comité DESC en raison de sa doctrine établie sur les questions qui y sont traitées (9), et qui lui permet de conseiller aux mieux le Gouvernement.
8. De plus, au-delà de cette initiative, la CNCDH souhaiterait que s'instaure un dialogue régulier entre son institution et les pouvoirs publics autour des engagements pris, des modalités et du suivi de leur mise en œuvre. Elle souhaite ainsi que soit renouvelée périodiquement l'audition de la délégation ministérielle qui s'est tenue 31 mars dernier (10), réunissant alors 25 représentants des 9 ministères intéressés par la mise en œuvre des DESC. Ce format d'audition a mis en exergue la dimension transversale et interministérielle nécessaire au respect des droits contenus dans le Pacte.
Remarque préliminaire - La justiciabilité des droits économiques sociaux et culturels, ou le besoin d'assortir ces droits d'une véritable effectivité
§ 6. Le Comité engage l'Etat partie à prendre des mesures visant à uniformiser la pratique juridique quant à l'applicabilité du Pacte par ses juridictions nationales, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, ainsi que sur la décision du Conseil d'Etat. Il recommande notamment de sensibiliser les juges, les avocats et le public à la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels et à la possibilité d'invoquer le Pacte en justice.
9. " La justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels a fait l'objet d'une longue controverse qui, à bien des égards, a empêché ces droits d'atteindre leur véritable dimension juridique" (11). Cette recommandation du Comité, placée au premier rang de ses préoccupations, témoigne de son attachement à ce que le Pacte soit dûment reconnu en droit interne, car c'est de là que découle l'effectivité de l'ensemble de ses dispositions au sein des Etats parties (12).
10. En effet, bien qu'en France les conventions internationales priment sur les lois nationales, au titre de la Constitution (13) et d'une jurisprudence bien établie (14), leur applicabilité directe reste conditionnée et encore trop casuistique. Aussi, s'agissant du Pacte, il est difficile en France de qualifier son applicabilité directe ou non disposition par disposition car il revient aux juridictions nationales de se prononcer sur pareille question lorsqu'un moyen tiré d'une disposition du Pacte est soulevé devant elles. De ce fait, chacune des cours suprêmes françaises a déterminé, au fil de sa jurisprudence, les dispositions du Pacte directement applicables en droit interne. Pour la Cour de cassation, la reconnaissance de l'applicabilité des dispositions du Pacte reste épisodique (15) et circonscrite (16), mais parfois évolutive (17). Pour le Conseil d'Etat, la grille de lecture des conventions internationales récemment adoptée peine à offrir plus de prévisibilité en retenant des critères dont l'application demeure entre les mains des juges (18).
11. Toutefois, la reconnaissance de l'applicabilité directe pour seulement quelques dispositions du Pacte par les juridictions nationales française ne satisfait pas aux exigences du Comité. Selon ce dernier " les normes internationales contraignantes relatives aux droits de l'homme devraient s'appliquer directement et immédiatement dans le cadre du système juridique interne de chaque Etat partie et permettre ainsi aux personnes de demander aux tribunaux nationaux d'assurer le respect de leurs droits" (19). De plus, il avait déjà affirmé qu'" il y a dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, un certain nombres d'autres dispositions, y compris celles des articles 3, 7 (al. a, i) ), 8, 10 (par.3), 13 (par.2, al. a, et par.3 et 4) et 15 (par.3) qui, semble-t-il, sont susceptibles d'être immédiatement appliquées par des organes de caractère judiciaire et autre dans le cadre de nombreux systèmes juridiques nationaux" (20).
12. Aussi, la CNCDH recommande, à titre principal, que les juges soient informés et se saisissent de ce débat en prenant la pleine mesure de leur office et reconnaissant l'applicabilité directe des dispositions du Pacte qui sont suffisamment claires et précises, en s'alignant, pour ce faire, sur la " jurisprudence" constante du Comité. Il convient, en effet, dans une plus large mesure, de prendre une position de principe sur les traités internationaux en matière de droits de l'homme, afin d'assurer une prévisibilité aux justiciables, leur permettant ainsi de faire valoir leurs droits fondamentaux en toute effectivité.
13. Cependant, une telle reconnaissance de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels ne peut se faire sans une réelle appropriation de ces derniers par les magistrats et autres professionnels du droit. Le Comité est particulièrement explicite sur ce point, " dans la plupart des Etats, c'est aux tribunaux, et non au pouvoir exécutif ou législatif, qu'il appartient de déterminer si une disposition conventionnelle est directement applicable. Afin qu'ils puissent s'acquitter efficacement de cette fonction, les tribunaux et autres juridictions compétents doivent être informés de la nature et de la portée du Pacte et du rôle important des recours...

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