Avis relatif à l'assistance médicale à la procréation

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0273 du 25 novembre 2018
Record NumberJORFTEXT000037642030
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication25 novembre 2018


Assemblée plénière du 20 novembre 2018 - Adoption : 27 voix « pour », 3 voix « contre », 8 abstentions


1. Depuis la naissance du premier « bébé éprouvette » en France, il y a presque quarante ans, le recours aux techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP) (1) s'est considérablement accru : en 2018, 1 enfant sur 30 (3,4 %) aura été conçu en France grâce à l'une de ces techniques, qu'il s'agisse d'une fécondation in vitro (FIV) ou d'une insémination artificielle (IA) (2). Plus largement, l'AMP recouvre l'ensemble « des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle » (3). Quatre-vingt-quinze pour cent des enfants conçus par AMP en France le sont aujourd'hui avec les gamètes de leurs deux parents (à peu près 24 000 naissances par an), le recours à un tiers donneur ne concernant qu'à peu près 1 250 enfants par an (4). Les chances de réussite de l'AMP varient de 10 à 20 % selon la technique utilisée et l'état de fertilité des personnes concernées. L'AMP se présente pourtant en pratique comme la seule option envisageable par les couples ayant des difficultés à concevoir, dans la mesure où l'adoption présente désormais encore moins de chances d'aboutir que naguère - en raison du faible nombre d'enfants adoptables en France comme à l'étranger.
2. Récemment, dans une tribune publiée dans la grande presse, des spécialistes de la médecine reproductive ont alerté les pouvoirs publics sur les difficultés de la prise en charge des couples confrontés à un problème d'infertilité (5). Etait notamment pointée la pénurie d'ovocytes qui ne permet pas de répondre aux besoins actuels d'AMP. Des couples, aiguillés par leurs médecins, n'hésitent dès lors plus à se rendre dans des pays voisins, en Espagne tout particulièrement, pour bénéficier des ovocytes issus de donneuses rémunérées. Enfin, ces médecins ne se cachaient pas d'apporter leur aide, en informant et en assurant un suivi de la grossesse, à des couples de femmes ayant bénéficié d'une AMP dans des pays où cette technique leur est ouverte, au risque théorique, pour l'instant non avéré, d'être poursuivis sur le fondement du volet pénal de la loi bioéthique (6). A ce bref état des lieux des difficultés suscitées par le cadre légal actuel, s'ajoute l'incertitude entourant la filiation des personnes issues d'une AMP pratiquée par un couple de femmes à l'étranger. Enfin, depuis de nombreuses années déjà, des enfants issus d'un don de gamètes ont introduit dans les médias le débat concernant l'accès à des informations sur les donneurs.
3. Les techniques à l'œuvre en matière d'AMP repoussent toujours plus loin le champ des possibles, laissant craindre ainsi parfois chez certains l'expression d'une démesure biotechnologique qui pourrait déboucher sur une « ingéniérie de la procréation » (7). La complexité de la réflexion en la matière résulte en grande partie des incertitudes quant aux conséquences, à la fois pour la société et pour les individus, présents et à venir, des manipulations du vivant auxquelles procède la médecine reproductive aujourd'hui. On voit alors poindre parfois, dans le débat public, les spectres de l'eugénisme ou du transhumanisme. C'est pourquoi il est essentiel pour la CNCDH de rappeler que la technique, et plus généralement la science, doivent toujours s'inscrire dans un cadre de valeurs, et tout particulièrement dans le respect de la dignité de la personne humaine et des droits humains. A ce titre, le droit ne saurait, à l'évidence, s'aligner aveuglément sur les possibilités offertes par les nouvelles technologies. Sans être diabolisée ni considérée comme neutre, la technique doit demeurer ce qu'elle est, à savoir un outil et non une fin en soi, outil qui résout des problèmes, mais qui est aussi susceptible d'engendrer de nouvelles questions sociétales. Le cadre légal actuel a été bâti sur des équilibres issus d'une conciliation entre des aspirations et des valeurs en tension qu'il est nécessaire de réinterroger régulièrement, au regard de la pratique, d'une part et, d'autre part, d'un respect effectif des droits humains, dans un domaine d'autant plus complexe qu'il engage les représentations du monde et de la vie ancrées au plus profond de chacun.
4. Le Parlement reprendra prochainement l'examen du cadre légal relatif à l'AMP dans le contexte de la révision des lois de bioéthique (8). Le rapporteur sur le projet de loi relatif à la première révision de ces lois déclarait en 2002 : « la protection des droits de l'homme est et demeure le but de la législation bioéthique » (9). C'est particulièrement vrai s'agissant de l'AMP avec tiers donneur qui engage une pluralité d'intérêts (celui de l'enfant à naître, celui des donneurs, celui des personnes ayant un désir d'enfant qu'elles ne peuvent assouvir simplement et, enfin, celui de la société), parfois convergents, parfois divergents. Toute réflexion sur le dispositif actuel et ses éventuelles évolutions doit articuler ces intérêts avec les piliers des lois de bioéthique (notamment le consentement libre aux atteintes à l'intégrité du corps humain, le caractère gratuit de la mise à disposition des éléments et produits du corps, l'anonymat des échanges de ressources corporelles (10)), les principes constitutionnels qui chapeautent le droit de la bioéthique (le respect de la dignité humaine, l'égalité) et les conventions internationales (telles que la Convention internationale sur les droits de l'enfant, ou encore la Convention européenne des droits de l'homme). Plus fondamentalement encore, ce qui pose problème en la matière, ce sont les parts respectives des volontés individuelles (lesquelles peuvent du reste être en conflit) et de l'action de l'Etat - dont on attend à la fois qu'il protège les individus et qu'il favorise les conditions de leur épanouissement personnel - dans le champ de la procréation. C'est pourquoi la CNCDH s'est auto-saisie de la question de la révision des lois bioéthique en matière d'assistance médicale à la procréation.
5. Afin d'alimenter sa réflexion sur la question, la CNCDH a procédé à de nombreuses auditions de médecins spécialistes de la reproduction, de juristes, de sociologues, de psychologues, de psychanalystes, ainsi que de représentants d'associations, en veillant tout particulièrement à garantir une diversité de points de vue (11). Les auditions ont notamment permis aux membres de la CNCDH d'être alertés sur l'infertilité accrue au sein de la population, non seulement pour des raisons liées aux grands changements des cycles de vie - le recul de l'âge du premier enfant principalement, conséquence d'une entrée plus tardive dans la vie active, ou encore l'amplification des recompositions familiales conduisant elles aussi à des grossesses tardives -, mais également pour d'autres raisons : le tabagisme, l'obésité et les expositions environnementales à certains polluants organiques persistants tels que les polychlorobiphényles (PCB) ou aux métaux lourds. Ces observations invitent à inscrire la réflexion relative à l'AMP dans un questionnement plus large sur les évolutions de la société et les orientations politiques en matière économique, sociale et environnementale.
6. Comme elle a pu le rappeler à plusieurs reprises dans le passé, la CNCDH souhaiterait préciser à titre liminaire qu'il n'existe pas de « droit à l'enfant ». En effet, aucun texte ni aucune jurisprudence ne consacrent un tel droit dont on ne voit, du reste, pas très bien qui pourrait en être le débiteur ni quels en seraient les contours. Ce préalable appelle à relativiser les craintes parfois suscitées sur ce point par l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes ou aux femmes célibataires. D'abord, parce que de manière générale les techniques d'AMP n'ont jamais consacré la reconnaissance d'un tel droit : les médecins s'efforcent simplement de répondre à un désir d'enfant, à un projet parental, sans d'ailleurs pouvoir en garantir la concrétisation. Ensuite, et surtout, la CNCDH rappelle que tout projet parental formulé dans le cadre d'une AMP est soumis au respect de l'intérêt de l'enfant à naître (12).
7. A l'issue de ses travaux, la CNCDH estime que l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires procède autant d'une consécration du principe d'égalité de traitement que de la cohérence de notre système juridique. Les hommes transgenres qui n'ont pas procédé à des opérations de réassignation sexuelle ont aujourd'hui la possibilité de faire reconnaître leur genre à l'état civil. Ils gardent donc la possibilité biologique d'être enceintes et peuvent avoir besoin de recourir à la PMA s'ils sont en couple avec une femme ou un autre homme transgenre. La CNCDH est favorable à ce que ces personnes puissent aussi y recourir au regard de ce même principe d'égalité. Elle considère également qu'il est essentiel de sauvegarder les trois piliers du régime juridique du don de gamètes - liberté, gratuité, anonymat, tout en y apportant les aménagements requis par le respect des droits des femmes et des droits des personnes conçues au moyen d'un tiers donneur.


L'encadrement de l'AMP
Les conditions d'accès


8. Revenir sur les conditions d'accès à l'AMP invite à réinterroger des évidences et des pratiques jusque-là entretenues par le modèle du « ni vu ni connu » (13) : l'insémination artificielle avec les gamètes d'un tiers donneur a en effet été conçue à l'origine afin de faire passer le père stérile pour le géniteur. L'ouverture éventuelle de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires amène ainsi à reconsidérer des différences conceptuelles, telles que celle qui est souvent entretenue entre le « médical » et le « social », mais également des pratiques, comme l'appariement et, plus généralement, la place et le rôle du médecin à l'égard d'un projet parental.
9. Actuellement, l'accès à l'AMP est réservé aux couples hétérosexuels souffrant d'une infertilité...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT