Avis relatif à la privation de liberté des mineurs (assemblée plénière du 27 mars 2017 - adoption à l'unanimité)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0077 du 1 avril 2018
Date de publication01 avril 2018
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000036758126

1. Par une lettre de saisine de la garde des sceaux en date du 27 novembre 2017, la CNCDH a été sollicitée aux fins de présenter son analyse sur la détention des mineurs et de formuler des recommandations. Paradoxalement, alors que la délinquance des mineurs n'augmente pas (1), la réponse pénale, notamment par l'augmentation du nombre de mineurs privés de liberté, ne cesse de se durcir.
2. Nul ne peut contester que l'enfermement d'un mineur soit un aveu d'échec, que l'enfermement ait lieu, dans le quartier des mineurs d'une maison d'arrêt (QM), dans un établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) ou encore, concernant les filles mineures, dans le quartier des femmes d'une maison d'arrêt. N'occultons pas non plus l'incarcération de jeunes majeurs dans des maisons d'arrêts ou dans des centres de détention pour des faits commis lorsqu'ils étaient mineurs. Etrangement aucune statistique n'existe en France concernant ce public pris en charge sur un mode spécifique dans plusieurs pays européens, en Allemagne par exemple. Il existe aussi un autre mode d'enfermement des mineurs, heurtant frontalement les droits fondamentaux, c'est l'enfermement en centre de rétention administrative (CRA).
3. Aussi bien les textes internationaux que nationaux présentent la détention d'un ou d'une mineure comme une " anormalité " uniquement acceptable en dernier recours. Et pourtant le nombre de mineurs enfermés augmente, 75 % à 80 % d'entre eux sont encore présumés innocents mais placés en détention provisoire. Les causes de cette augmentation du nombre de mineurs détenus doivent être scrutées, sans omettre d'ajouter au nombre de mineurs détenus dans un établissement pénitentiaire ou en centre de rétention administrative, ceux qui sont enfermés dans un centre éducatif fermé (CEF), lieu clos. S'évader de ce lieu clos est durement sanctionné au point que de nombreuses personnes auditionnées par la CNCDH n'hésitent pas à qualifier les CEF " d'antichambre de la prison ". Il n'est pas anodin de constater que les CEF, sont comme les établissements pénitentiaires de toutes natures, assujettis au contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). (2)
4. Pourtant le modèle de politique criminelle porté par l'ordonnance de 1945 était un modèle dit protectionniste de l'enfant qui doit privilégier son intérêt supérieur, donc sa socialisation en milieu ouvert. " La France, lit-on, dans le préambule de l'ordonnance, n'est pas assez riche d'enfants qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains… Le gouvernement de la République française entend protéger efficacement les mineurs et plus particulièrement les mineurs délinquants… ". Ces propos d'espérance sont peu compatibles avec l'accoutumance constatée de la justice et des citoyens à la prison pour les mineurs, et plus encore lorsqu'ils ont entre 16 et 18 ans. Rappelons qu'en droit positif, une condamnation à une peine proprement dite ne peut être prononcée à l'encontre d'un mineur que si les circonstances et sa personnalité l'exigent. A l'égard des mineurs de plus de 13 ans le tribunal pour enfants ne peut prononcer une peine d'emprisonnement avec ou sans sursis, qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine.
5. Dans le même esprit que celui de l'ordonnance de 1945, avant les multiples réformes qui l'ont entachée, la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, stipule dans son article 37 b) que les Etats s'engagent à ce que : " Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible ". L'ordonnance du 2 février 1945, après plus d'une quarantaine de modifications, s'écarte des principes de la CIDE et ce malgré le 10e principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) défini par le Conseil constitutionnel et relatif aux mineurs délinquants.
6. En posant dans une décision du 29 août 2002 (3) ce 10e PFRLR, le Conseil constitutionnel constitutionnalise le droit pénal des mineurs dans les termes suivants : " Considérant que l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ; que toutefois, la législation républicaine antérieure à la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu'en particulier les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de 13 ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ". (4) La détention est bien présentée comme l'ultime solution et uniquement pour les mineurs de plus de 13 ans.
7. Cependant cette même décision et la jurisprudence ultérieure du Conseil constitutionnel ont rapporté la preuve que ce PFRLR ne mettait pas à l'abri de profondes évolutions jusqu'à s'autoriser à parler de mutation du modèle de justice pénale des mineurs (5), illustrée par exemple par l'instauration très contestée dès l'origine des centres éducatifs fermés.
8. Ces derniers complètent depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 la gamme des établissements où les mineurs peuvent être placés, ils le sont le plus souvent dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Hormis la prison, les derniers établissements fermés en France l'avaient été en 1979 pour de multiples raisons prouvant leur échec. Etait ainsi mis fin dans certains cas à des traitements pouvant s'apparenter à des traitements dégradants portant atteinte à la dignité des mineurs et à l'ensemble de leurs droits fondamentaux. Pourtant dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel avalise les centres éducatifs fermés au motif qu'ils ne sont contraires ni aux articles 4, 8 et 9 de la Déclaration de 1789, ni aux principes constitutionnels propres à la justice des mineurs. Ils sont aujourd'hui au nombre de 52. Vingt nouveaux CEF seraient programmés selon le projet de loi de finances pour 2018 (6). Il existe en outre en France 44 quartiers des mineurs dans les maisons d'arrêts, d'une capacité en moyenne d'une vingtaine de places, comportant très rarement des cellules pour les filles mineures. Ces dernières ne bénéficient le plus souvent que de cellules distinctes dans des établissements pour femmes. Enfin, depuis la loi du 9 septembre 2002 les instituant, six établissements pénitentiaires pour mineurs ont été ouverts, pouvant accueillir chacun soixante adolescents et très exceptionnellement des adolescentes.
9. Les auditions conduites par la CNCDH et les visites de terrain (7) ont permis d'observer d'une part, un brouillage de la distinction entre mesure éducative, sanction éducative et peine, ainsi qu'un milieu ouvert en manque de repères et de moyens, au bénéfice de dispositifs budgétairement dévoreurs de crédits comme les CEF, dont la CNCDH a relevé les lourdes difficultés de fonctionnement. D'autre part, l'abaissement insidieux de la majorité pénale à 16 ans est saisissant, abaissement quelquefois ouvertement revendiqué (8). Le durcissement général de la répression, qu'induisent certaines procédures comme la présentation immédiate devant la juridiction pour mineurs (9), et pas seulement l'air du temps sécuritaire et la lutte contre le terrorisme, expliquent aussi le retour de l'enfermement. Ces causes ainsi que d'autres encore seront analysées (II) après une présentation d'un état des lieux concernant la privation de liberté des mineurs (I). Des recommandations fortes s'imposent (III).

I. - Un état des lieux inquiétant de la privation de liberté des mineurs

10. Contrairement à certaines idées reçues, la délinquance des mineurs, telle que la reflète le nombre d'affaires poursuivables, n'a pas augmenté sensiblement depuis 15 ans, une période de tendance à la hausse, jusqu'en 2011, ayant été suivie d'une période de baisse sensible de 2011 à 2015, non compensée par une hausse en 2016, d'où une augmentation globale de 1,8 % sur 15 ans.


Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page

11. La saisine de la ministre de la justice impliquait pour la CNCDH de dresser un état des lieux de la population pénale concernant les mineurs en se penchant sur le nombre de mineurs enfermés en France dans des établissements relevant de l'administration pénitentiaire et dans les autres lieux de privation de liberté des mineurs. La Commission a constaté une hausse globale du nombre de mineurs privés de liberté. L'augmentation est inégale en quartiers des mineurs (QM) et en établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) (A). Par contre, elle est significative en centres éducatifs fermés (CEF) et en centres de rétention administrative (CRA) (C). Il convient de ne pas occulter une zone grise, celle des mineurs privés de liberté dans des établissements pénitentiaires pour des faits commis alors qu'ils étaient mineurs ; de plus, certains mineurs, en raison des transferts, sont comptabilisés plusieurs fois (B).

Nombre de mineurs privés de liberté en EPM/QM et en CEF de 2003 à 2017


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