Avis sur la Conférence de Bruxelles relative à la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0073 du 27 mars 2015
Record NumberJORFTEXT000030401912
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication27 mars 2015


Assemblée plénière du 19 mars 2015
(Adopté à l'unanimité)


1. La CNCDH a été saisie par le ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI) du projet de déclaration de la « Conférence de haut niveau sur la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l'homme, une responsabilité partagée » (ci-après « déclaration de Bruxelles ») (i). Rappelant ses avis précédents (ii), la CNCDH se réjouit de cette consultation qui porte sur un sujet majeur pour la protection des droits de l'homme en Europe : l'avenir du système de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après « Convention européenne »). Ainsi que l'a souligné la Cour elle-même en effet, l'enjeu de la Conférence réside dans l'adoption d'« un texte politique qui donnera de l'élan et une direction au processus de réforme, pour assurer la pérennité des succès déjà obtenus, et que l'avenir à long terme de la Convention soit encore plus fermement assuré » (iii).
2. La CNCDH souligne l'utilité d'associer à cette réflexion, comme au suivi de la déclaration, l'ensemble des institutions, y compris le Parlement et les diverses juridictions. L'importance des enjeux mériterait en outre que l'élaboration de la position de la France et le suivi des engagements fassent l'objet d'un débat ouvert avec la société civile (iv), au-delà des contributions communiquées directement par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) à la présidence belge du Conseil de l'Europe (v).
3. La Conférence de Bruxelles s'inscrit dans le prolongement des conférences de haut niveau sur l'avenir de la Cour européenne des droits de l'homme d'Interlaken (2010), d'Izmir (2011) et de Brighton (2012). Ces conférences visaient au départ à donner des orientations d'avenir, à court et à moyen terme, à la suite de l'entrée en vigueur tardive du Protocole n° 14 le 1er juin 2010 amendant le système de contrôle de la Convention. C'est sur cette base qu'ont été élaborés le Protocole n° 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ouvert à la signature le 24 juin 2013, et le Protocole n° 16 donnant compétence à la Cour européenne de formuler des avis consultatifs, ouvert à la signature le 2 octobre 2013. Alors qu'une pause avait semblé nécessaire à la suite de la Conférence de Brighton en 2012, qui fixait elle-même des échéances précises pour les réformes à mener à bien, la Conférence de Bruxelles relance le débat en se concentrant plus particulièrement sur l'exécution des arrêts de la Cour européenne. La CNCDH considère la question de l'exécution comme essentielle pour l'avenir de la Cour, dans la mesure où elle met en jeu l'autorité et l'efficacité du système tout entier. Selon la Cour, « l'exécution des arrêts fait partie intégrante du droit de recours individuel », pierre angulaire du système, et « les lacunes en ce domaine peuvent avoir pour effet de saper sérieusement l'exercice de ce droit » (vi).
4. La CNCDH souhaite d'emblée souligner le fait que les principes de subsidiarité et de marge nationale d'appréciation ne sauraient être invoqués de manière pertinente lorsqu'il s'agit d'exécuter un arrêt de condamnation. Développé par la Cour européenne elle-même à travers une jurisprudence fournie, le principe de subsidiarité fait figure de principe cardinal dans l'office du juge. Il se définit par le caractère subsidiaire du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention européenne et signifie qu'il incombe en premier lieu au juge national d'assurer la garantie des droits de la Convention, la Cour n'intervenant qu'en cas de défaillance du juge interne. Selon le Président de la Cour européenne, « la bonne application du principe de subsidiarité contribue à l'efficacité du système, puisque cette répartition des compétences entre le juge national et le juge européen, renforce la responsabilité première du juge national et contribue à faire de lui un des principaux acteurs du mécanisme de protection » (vii). Le principe de subsidiarité a ainsi une double implication : dans sa dimension procédurale, il se traduit par l'exigence de l'épuisement des voies de recours internes pour qu'une personne puisse présenter une requête devant la Cour européenne ; dans sa dimension substantielle, il implique la garantie de recours effectifs internes (article 13).
4. La CNCDH soutient cette acception du principe de subsidiarité - qui inclut la reconnaissance de la responsabilité première des autorités nationales, au sens large, d'appliquer la Convention européenne - contre une lecture plus politique qui a émergé ces dernières années et qui se reflète dans l'alinéa 6 du projet de déclaration de Bruxelles (viii). Si dans certains cas, la Cour reconnait elle-même aux Etats une certaine « marge nationale d'appréciation » en l'absence de consensus européen, c'est tout autre chose de la part des Etats parties de chercher à imposer à la Cour cette notion comme un principe d'interprétation des droits garantis. Pour la CNCDH, l'interprétation du principe de subsidiarité doit suivre celle développée par la Cour. Revendiquer l'application de ce principe dans le cadre de l'exécution représente une nouvelle dérive : si les Etats doivent pouvoir disposer d'une certaine liberté dans le choix des moyens de l'exécution, conformément à l'article 41 de la Convention, ces principes jurisprudentiels ne sauraient, au risque d'être détournés de leur objet initial, s'appliquer au domaine de l'exécution des arrêts de la Cour qui s'imposent à l'Etat concerné avec l'autorité de la chose jugée, en vertu de l'article 46 de la Convention. A cet égard, la formulation retenue dans le projet de déclaration rappelant « la liberté des Etats parties de choisir les moyens d'exécution, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans les arrêts de la Cour » (déclaration (10)), marque un progrès par rapport aux formulations antérieures, ce qui doit être salué.
5. La responsabilité première des Etats dans la mise en œuvre de la Convention ne saurait toutefois affaiblir le rôle central de la Cour européenne pour assurer la garantie collective des droits de l'homme, sur la base des recours individuels ou étatiques. Cela suppose la mobilisation des moyens financiers et humains indispensable à son bon fonctionnement, pour traiter des affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable. Si la CNCDH salue l'augmentation récente du budget de la Cour (ix), elle estime que des efforts supplémentaires devraient être fournis, y compris par la France, en tant que pays hôte. A titre comparatif, il est instructif de relever que le budget de la Cour de justice de l'Union européenne, à lui seul, est plus de cinq fois supérieur à celui de la Cour européenne des droits de l'homme, ouverte à 800 millions de citoyens (x).
6. La contribution de la CNCDH aux débats d'Interlaken, d'Izmir et de Brighton s'est principalement réalisée à travers le Réseau européen des institutions nationales des droits de l'homme (ENNHRI), qui dispose d'un statut d'observateur auprès des instances du Conseil de l'Europe chargées de réfléchir à la réforme du système (CDDH et organes subordonnés) (xi). Cette contribution s'est également faite à travers des échanges réguliers avec le Quai d'Orsay, ministère pilote sur ce thème. Dans ce cadre, la CNCDH a appelé la France à prendre une part plus active et constructive dans le débat sur les réformes successives et sur l'avenir à long terme du système de la Convention, en définissant sans ambiguïtés ses priorités.
7. La CNCDH demande aujourd'hui au gouvernement d'adopter une position claire de soutien à l'indépendance et à l'effectivité de la Cour, ainsi qu'au renforcement, de manière plus générale, du système de protection des droits de l'homme tels que consacrés par la Convention européenne. Face aux attaques récurrentes de certains Etats ou de mouvements politiques (xii), la France est attendue sur ce sujet pour donner une impulsion forte et exprimer son attachement résolu à la Convention européenne qu'elle a ratifiée en 1974, avant d'accepter le recours individuel en 1981. Une telle ligne doit être défendue avec détermination dans les discussions conduites dans l'enceinte du Conseil de l'Europe, mais également sur le terrain diplomatique dans le cadre de ses relations avec les autres Etats membres du Conseil de l'Europe.
8. Un signal fort consisterait à envoyer une délégation de haut niveau à la Conférence de Bruxelles, pour marquer l'importance que la France accorde au rôle irremplaçable de la Cour européenne pour la protection des droits de l'homme sur le plan interne comme dans le cadre européen.
9. Un autre signal fort serait de parachever nos engagements en ratifiant le Protocole n° 12 à la Convention européenne relatif à l'interdiction générale de la discrimination ouvert à la signature le 4 novembre 2000. La CNCDH n'a cessé depuis lors de rappeler qu'une ratification de cet instrument était d'autant plus logique que la France met en avant le principe de non-discrimination pour récuser toute approche catégorielle, fondée sur la reconnaissance de groupes, de « communautés » ou de minorités. Dans la mesure où ce principe général est déjà reconnu sur le plan constitutionnel, dans le cadre de l'Union européenne ou dans celui des Nations unies, à travers les deux Pactes internationaux, la signature et ratification du Protocole n° 12 qui ne feraient que renforcer la cohérence des engagements de la France auraient une signification politique particulièrement importante dans le contexte actuel. De même, il serait utile d'accélérer le processus de ratification des Protocoles 15 et 16 pour encourager leur entrée en vigueur rapide.
10. Avant de développer sa position, la CNCDH souhaite rappeler, qu'en tant qu'institution nationale de promotion et de protection des droits de l'homme (INDH), elle est amenée à jouer un rôle à de multiples égards dans le système de la Convention, de la mise en œuvre nationale jusqu'à l'exécution...

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