Avis sur le consentement des personnes vulnérables

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0158 du 10 juillet 2015
Date de publication10 juillet 2015
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000030862460

Assemblée plénière du 16 avril 2015
(Adopté à l'unanimité)

1. Par lettre du 5 janvier 2015, la secrétaire d'Etat chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie sollicitait un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur les possibles évolutions législatives, réglementaires et de pratiques professionnelles permettant de mieux respecter les droits des personnes et d'assurer la meilleure expression possible de leur volonté lorsque leurs facultés deviennent altérées . Cette demande de la secrétaire d'Etat revient à s'interroger sur les façons dont on peut assurer le respect effectif des droits des " personnes vulnérables " - en particulier les personnes âgées en perte d'autonomie - en conciliant le respect de l'autonomie et l'impératif de protection.
2. On constate en effet depuis quelques décennies que la place accordée à la personne et à son consentement est devenue une préoccupation importante des institutions sanitaires et sociales, qui ont pris acte de la Recommandation R (99) 4 du 23 février 1999 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe laquelle pose les principes de la " prééminence des intérêts et du bien-être de la personne " et du " respect de ses souhaits et de ses sentiments ", et affirme dès lors, qu'" une mesure de protection ne devrait pas automatiquement priver la personne concernée du droit (…) de prendre toute décision de caractère personnel, ce à tout moment, dans la mesure où sa capacité lui permet " (1). Ainsi en est-il, par exemple, du rôle qui est laissé au malade dans la relation de soins (2), de celui qui est accordé à l'usager dans l'action sociale (3), et du respect de l'autonomie de la personne placée sous mesure de protection (4).
3. Pour autant, les entretiens et les recherches menés par la CNCDH ont montré que, dans la pratique, les réalités sont encore trop contrastées et les droits des personnes particulièrement vulnérables à décider pour elles-mêmes sont loin d'être toujours respectés. Leur consentement ou leur refus est encore trop souvent éludé lorsqu'il n'est pas purement et simplement écarté, au motif de protéger la personne, dont le jugement serait altéré, contre elle-même. Cette situation concerne majoritairement les personnes âgées. Celles-ci n'ont souvent plus les moyens de s'exprimer, et ont peu de recours pour défendre leurs conditions de prise en charge par le système de santé, contrairement à d'autres personnes vulnérables, comme les personnes malades qui peuvent avoir recours à des associations de malades. L'univers de l'EHPAD (5) est celui du silence qui ne se rompt que si le scandale éclate. Le domicile est encore plus opaque et peut devenir lui aussi un lieu de maltraitance.
4. Cette attention accordée au consentement prend place dans un débat plus large de philosophie du droit entre deux conceptions de la personne humaine. Ainsi, aux tenants d'une approche " subjective " de la personne s'opposent les tenants d'une conception " anthropologique " de celle-ci. Selon la première approche, c'est l'autonomie du sujet qui est mise en avant, à savoir sa capacité d'autodétermination, " son pouvoir de soi sur soi ". En tant qu'il est l'expression de la volonté de la personne, le consentement donné est ici central pour reconnaître la légitimité des engagements. Selon la seconde approche, c'est la dignité de la personne qui est première et qui relativise par conséquent la portée de l'autodétermination. Celle-ci peut être en effet disqualifiée dès lors qu'elle porte atteinte à l'intégrité de soi ou à la dignité humaine.
5. Ce débat interroge les droits de l'homme et la notion de consentement apparaît, voire sous-tend, un grand nombre des avis de la CNCDH, sans que celle-ci ait jusqu'ici cherché à le définir ou à le questionner (6). Pourtant, le " consentement " se révèle d'une acception particulièrement délicate, et il peut revêtir des sens différents selon que son appréhension est juridique, médicale, philosophique ou éthique. Cet avis est donc l'occasion de revenir sur la notion de consentement et de l'analyser à travers l'exemple des personnes vulnérables, en s'interrogeant sur les moyens de respecter l'autonomie des personnes vulnérables tout en assurant, si nécessaire, leur protection.

I. - ESSAI DE DÉFINITION

6. Le droit envisage le consentement comme une manifestation de la volonté. On doit ainsi pouvoir distinguer la volonté elle-même du consentement qui n'en est que la manifestation. La volonté, faculté de l'esprit, ne produira d'effet de droit, en principe, qu'à la condition de s'extérioriser par un consentement. Le consentement assure le passage de la délibération interne à la conscience à la décision, décision qui engage. En outre, le consentement permet de porter à la connaissance d'autrui sa propre volonté, son expression subjective devenant ainsi intersubjective, voire objective. D'un point de vue juridique, la volonté constitue la source de l'engagement et sa mesure. C'est la conception retenue dans la théorie de l'autonomie de la volonté sur laquelle repose le droit français. Le consentement peut alors se définir comme la volonté d'engager sa personne ou ses biens, ou les deux. Le consentement, symbole d'extériorisation de la volonté, se distingue toutefois de cette dernière, dans la mesure où il est plus réduit que la volonté en ce sens que la volonté peut s'exercer sur tout, tandis que le consentement ne peut porter que sur le possible (7).
7. Cependant, aussi bien l'usage courant du terme que ses définitions lexicographiques, tout comme les situations dans lesquelles on y recourt montrent que le consentement est quasi systématiquement le produit d'une tension : tension entre le souhaité et le possible, entre le désir légitime de l'individu et l'autorité d'une instance extérieure, qu'il s'agisse d'un sachant (médecin, juriste…) ou d'une norme sociale. Dans ces conditions, la notion de consentement ne peut se réduire à la forme binaire que connaît le droit, mais renvoie plutôt à la plus forte adhésion possible à une proposition. Il devient donc essentiel de s'assurer que le consentement soit libre et éclairé. C'est notamment le cas dans les situations les plus fréquemment rencontrées pour les personnes âgées et/ou vulnérables qui nous occupent ici : choix du lieu de résidence, placement en institution, consentement aux soins et aux traitements, prise en charge de certains actes de la vie courante, instauration d'une mesure de protection.
8. Lorsqu'une personne est majeure, en pleine possession de ses moyens - quels que soient son âge, son état de maladie, de handicap ou de conditions sociales - et qu'elle est en mesure d'exprimer sa volonté, la question du consentement se pose de manière assez simple. Le consentement l'engage, sauf éventuellement s'il est affecté d'un vice que l'on pourrait qualifier d'externe (erreur, dol ou violence - théorie des vices du consentement). Les difficultés surviennent lorsque la personne n'est pas en pleine possession de ses moyens - soit qu'elle ait des difficultés à s'exprimer, soit que sa volonté soit imparfaite (volonté immature, facultés altérées). C'est l'articulation volonté-consentement qui fait difficulté : une des problématiques naît de ce qu'une personne peut être dans l'impossibilité d'exprimer sa volonté, et donc être dans l'impossibilité de consentir, une autre difficulté naît de ce qu'une personne peut exprimer un consentement, mais la volonté qui sous-tend ce consentement est fragile.
9. En réalité, le consentement peut ne pas être exprimé de manière totalement déterminée, et il demeure toujours sujet à des évolutions ; en ce sens la prudence reste requise à la fois dans la réception mais aussi dans l'usage du consentement. Ainsi, il convient de ne pas considérer pour définitivement acquis le consentement recueilli : il importe de ne pas enfermer l'individu dans un choix antérieur et de s'assurer de l'actualité du consentement. Le consentement doit être réversible et l'on doit accorder à l'individu la faculté, à tout instant, de se dédire, si possible (8).

II. - CAPACITÉ, VULNÉRABILITÉ

10. Dans une société moderne, les individus sont présupposés autonomes. Le sujet de droit est donc une personne capable, la capacité étant, selon l'article 1123 du code civil (9), le principe : il est libre de ses actes, il répond de ses faits. Sans doute est-il l'objet de multiples déterminations, sans doute évolue-t-il dans un univers incertain, si bien que son libre-arbitre ne saurait exister de manière absolue et pure. Cependant, il n'est pas contraint ou ignorant au point qu'il faille nier sa liberté. Celle-ci est relative, elle n'est pas sans consistance. Dès lors, en droit, la personne vulnérable peut se définir comme celle qui n'est pas en mesure d'exercer tous les attributs de la personnalité juridique. Le droit reconnaît deux sortes d'êtres vulnérables. Il y a tout d'abord les enfants, qui du fait de leur minorité sont trop vulnérables pour accomplir seuls les actes de la vie civile. Dans son principe, la reconnaissance de leur vulnérabilité ne pose pas de difficulté particulière, dès lors qu'elle prend nécessairement fin à leur majorité. Parfois, elle peut néanmoins être questionnée, dans ce cas, pour certains actes personnels, le consentement du mineur est une condition préalable : en matière d'adoption (10), de changement de nom (11), ou d'informations et de décisions médicales (12). Une dérogation générale est également possible par l'émancipation (13). Il y a ensuite ceux qui pendant longtemps ont été appelés des " incapables " majeurs et que l'on appelle désormais " personnes protégées " et qui bénéficient d'une mesure de protection juridique. Il semble raisonnable, du fait d'une altération de leurs facultés cognitives et relationnelles, ou corporelles, d'admettre qu'ils ne peuvent ou ne pourront plus seuls veiller à la protection de leurs intérêts. Il faut donc prévoir une protection continue, vraisemblablement jusqu'à la fin de leur vie, dont les termes ont été...

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