Avis sur la création du revenu universel d'activité (RUA)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0159 du 28 juin 2020
Record NumberJORFTEXT000042046129
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication28 juin 2020

ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU 23 JUIN 2020 (ADOPTÉ À 35 VOIX POUR ET QUATRE ABSTENTIONS)


Résumé
L'avis sur la création d'un revenu universel d'activité alerte sur l'urgence de garantir le droit à la vie dans la dignité, alors que la crise sanitaire exacerbe la pauvreté qui sévit en France. Si la réforme des minima sociaux est bienvenue, elle doit être retravaillée pour satisfaire aux objectifs d'amélioration de l'accès aux droits sociaux et de simplification du système de prestations sociales. La CNCDH rappelle notamment que, contrairement à ce que sous-tend en l'état la réforme, l'accès aux prestations sociales ne doit pas être conditionné à la réalisation de " devoirs ". Elle recommande donc la reprise des concertations et insiste sur l'importance de revaloriser les prestations sociales et d'inclure les 18-25 ans et les étrangers en situation régulière parmi les bénéficiaires, afin de garantir le droit à un niveau de vie suffisant consacré par le Préambule de 1946.

Introduction

1. L'intervention de l'Etat dans la lutte contre les inégalités et la pauvreté est une composante essentielle des droits de l'homme. La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) est déjà largement intervenue sur ce sujet, en particulier dans son Avis relatif à l'approche fondée sur les droits de l'homme du 3 juillet 2018 (i). Elle s'est donc autosaisie du projet de création du revenu universel d'activité (RUA), qui fait l'objet de concertations toujours en cours, le cinquième cycle étant à venir, afin d'assurer son rôle de conseil en apportant un éclairage fondé sur les droits de l'homme.
2. En termes de politique publique, le projet de RUA a fait l'objet d'une concertation avec les administrations, les collectivités, les syndicats et les associations actives sur ces questions. Si ce processus ne se veut pas une négociation, il a cependant permis l'expression de constats partagés et a aussi révélé les profonds désaccords entre acteurs.
3. La CNCDH regrette cependant que la concertation n'ait que trop peu impliqué les personnes en situation de pauvreté. Bien que d'intéressants outils de démocratie participative aient été développés (ateliers, consultation en ligne et jurys citoyens) (ii), la concertation ne s'est qu'insuffisamment fondée sur l'expérience des personnes concernées, vivant des minima sociaux, et n'a pas mis en place les conditions de leur participation effective. Celle-ci aurait été cruciale, car nul mieux qu'eux ne peut distinguer les lacunes d'une politique de lutte contre la précarité, destinée à garantir aux plus démunis des possibilités de vivre décemment. Le Gouvernement s'est ainsi privé de leur expérience.
Recommandation n° 1 : La CNCDH recommande que toute réforme de politique sociale bénéficie de l'expérience et de la participation des premiers intéressés et des organisations les représentant, à même d'identifier les forces et les faiblesses du projet.
4. Ces discussions et les divergences ont été relativisées, voire rendues caduques, par la crise sanitaire due à la pandémie du coronavirus. En effet, s'il a été justifié de considérer que toute la population pouvait être touchée par le virus, certaines personnes sont plus vulnérables que d'autres. Selon que l'on soit riche ou pauvre, les risques et les effets ne sont pas les mêmes. Il est apparu que l'épidémie a un impact plus important sur les personnes démunies, en raison de leurs circonstances de vie : manque de ressources et de revenus, logements insalubres ou surpeuplés, isolement social, mauvais état de santé et pénibilité du travail (iii). Les associations et institutions en lien avec elles ont dû faire face à un afflux considérable constitué à la fois de personnes connues et de leurs familles, mais aussi de nouveaux bénéficiaires, personnes restées jusque-là en marge des prestations. Cette crise montre clairement que quand l'organisation habituelle mise en place par les personnes concernées pour s'en sortir est à l'arrêt, les prestations sociales ne leur permettent pas, à elles seules, de vivre dignement et de répondre à leurs besoins en matière d'alimentation et de logement. La réflexion et l'action des pouvoirs publics doivent prendre en compte les effets de la crise et la façon dont elle éclaire la pauvreté d'une manière plus visible, et révèle la nécessité de garantir à toutes et tous des moyens convenables pour mener une existence décente et bénéficier de leurs droits.
Recommandation n° 2 : La crise sanitaire du covid-19 a mis en évidence les insuffisances de la politique sociale et la nécessité de revoir à la hausse toutes les allocations. La CNCDH recommande que le futur projet ait pour objectif de favoriser l'amélioration, l'extension et la revalorisation des prestations, pour permettre à chacune et chacun de vivre décemment et dignement.

Un projet en décalage avec la réalité sociale

5. En septembre 2018 le Gouvernement a lancé une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Dans ce cadre, le Président de la République a souhaité que soit instauré un revenu universel d'activité (RUA), une aide " qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations, et dont l'Etat sera entièrement responsable " (iv). Le Gouvernement prépare donc une vaste réforme des minima sociaux, auxquels seraient associées les aides au logement. Ce chantier concerne un grand nombre de personnes. 4,25 millions sont allocataires d'un minimum social, ce qui représente - avec les conjoints et les enfants - au moins 7 millions de personnes. En y ajoutant la prime d'activité et les prestations pour le logement (6,5 millions de ménages), 15 millions de personnes sont concernées, et même près de 20 millions si on y inclut les personnes ne faisant actuellement pas valoir leurs droits. Fusionner plusieurs prestations pour créer le RUA présente cependant des risques.
6. La CNCDH a donc souhaité mesurer les risques et les opportunités de cette réforme dans le cadre d'une approche par les droits. Contrairement à une opinion répandue, l'établissement de droits en matière sociale n'implique pas qu'ils doivent être conditionnés à l'exécution de " devoirs ". La mise en place du revenu de solidarité active (RSA) a été la manifestation de cette transformation de conception, en passant d'une solidarité conçue comme une construction collective inconditionnellement garantie par l'Etat sous forme de droits, à une interprétation contractuelle de la solidarité, selon laquelle les individus doivent mériter leurs prestations dans une logique de contrepartie et d'activation. Cette conception rendant les personnes responsables, voire coupables de leur situation, est contraire au respect des droits de l'homme. Ces droits sont inaliénables et viennent de notre commune humanité. La contribution à la société est une demande et une aspiration des personnes exclues du travail. Elles doivent être prises en compte dans les politiques publiques, par un accompagnement sans lien de conditionnalité avec les prestations.
Recommandation n° 3 : La CNCDH, conformément à sa constante prise de position sur le refus de la...

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