Avis sur le développement, l'environnement et les droits de l'homme

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0119 du 24 mai 2015
Date de publication24 mai 2015
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000030625449


Assemblée plénière - 16 avril 2015
(Adopté à l'unanimité)


1. L'année 2015 est marquée par plusieurs échéances majeures pour l'avenir de l'humanité : la 3e Conférence sur le financement du développement (juillet, Addis-Abeba), l'adoption des Objectifs du développement durable (septembre, New York) et la 21e Conférence des parties sur les changements climatiques (décembre, Paris).
2. Les Objectifs du développement durable (ODD) prendront le relais des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) définis lors du Sommet du Millénaire des Nations unies et qui couvraient la période 2000-2015 (I). Ils constitueront un véritable programme de travail pour 2015-2030 mobilisant, de par leur caractère universel, tous les Etats et l'ensemble des acteurs.
3. Le bilan des OMD, qui constituaient une première tentative concrète des Nations unies en faveur du développement, montre qu'une démarche plus systématique s'impose. Les Nations unies soulignent que plusieurs OMD ont été atteints (ii) et qu'à défaut de remplir exactement tous les objectifs fixés des efforts substantiels ont été réalisés dans plusieurs domaines (iii). Les OMD ont agi comme « instrument de responsabilisation et d'incitation à l'action » (iv). Ainsi, dans le cadre du premier OMD concernant l'élimination de l'extrême pauvreté, la première cible visant « la réduction de moitié de la proportion de personnes dont le revenu est inférieur à 1 dollar par jour » a été atteinte (v). Mais ce calcul purement comptable ne reflète pas la réalité de l'extrême pauvreté et il ne peut masquer le fait que les inégalités n'ont cessé de croître ces dernières années (entre pays et entre habitants d'un même pays) (vi). De même, si le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde a diminué (vii), la réduction de la faim se fait encore trop lentement (viii).
4. Plusieurs raisons viennent expliquer les insuffisances des OMD, et notamment le fait qu'ils sont restés déconnectés des droits de l'homme. Cette absence de lien explicite entre les OMD et les droits de l'homme a « masqué les inégalités et freiné les avancées », en favorisant une approche quantitative, sans analyse fine des « agrégats » (ix). Il est également reproché aux OMD d'avoir manqué de cohérence et de systématicité et de ne pas avoir intégré les enjeux de participation et de redevabilité. Ces critiques devraient nourrir la manière dont les ODD sont construits et mis en œuvre.
5. L'adoption des ODD, en septembre 2015, par l'Assemblée générale des Nations unies constituera l'aboutissement d'un processus long et global qui a mobilisé de nombreux acteurs depuis la Conférence de Rio + 20 en 2012. Cette Conférence a débouché sur l'adoption d'un document final intitulé L'avenir que nous voulons (x), point de départ des discussions sur le futur programme de développement post-2015 (xi). Après une première phase de consultation, le groupe de travail ouvert de l'Assemblée générale sur les ODD a présenté son rapport final en août 2014, dans lequel sont proposés 17 ODD, assortis de 169 cibles. Ce rapport a fait l'objet d'une évaluation par le Secrétaire général des Nations unies en décembre 2014 dans une synthèse intitulée La dignité pour tous d'ici à 2030 : éliminer la pauvreté, transformer nos vies et protéger la planète. Sur cette base, les mesures de mise en œuvre, y compris sur le plan financier, sont en discussion en vue de l'adoption de l'ensemble de ces engagements au sommet des 25-27 septembre 2015. La définition des indicateurs de mesure et d'évaluation en cours de négociations se poursuivra au-delà du sommet (xii).
6. Autre rencontre cruciale en 2015 : la 3e Conférence internationale sur le financement du développement. Celle-ci sera déterminante dans la mesure où elle décidera des moyens affectés à la réalisation des ODD. On sait aujourd'hui que les besoins de financement seront immenses. Cette conférence devra être l'occasion pour la France de faire le point sur ses efforts financiers dans le domaine du développement, et notamment sur l'objectif réitéré d'affecter 0,7 % du RNB au financement de l'aide publique au développement (xiii). Le montant actuel de l'aide publique au développement de la France s'élève aujourd'hui à moins de 0,4 % du RNB (xiv), et ce chiffre comprend des rubriques qui ne devraient pas être du ressort de l'aide au développement (xv). La CNCDH souligne l'importance de l'engagement à 0,7 % et recommande que tout soit mis en œuvre pour qu'il soit réalisé dans les meilleurs délais (xvi). Elle rappelle en outre que l'Etat ne saurait se décharger de ses engagements financiers et de ses responsabilités sur les acteurs privés et qu'une lutte efficace contre la fraude fiscale pourrait être source de recettes considérables pour les Etats, qui pourraient en retour les affecter au développement durable (xvii).
7. La troisième échéance majeure de 2015, la 21e Conférence des parties sur les changements climatiques, ou « COP 21 », s'inscrit dans la continuité de la conférence de Rio, qui a lancé les négociations internationales sur le climat et permis l'adoption de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). L'objectif de cette conférence est de conclure un nouvel accord juridiquement contraignant sur le climat, qui prendra la suite du Protocole de Kyoto dont la mise en œuvre est prévue jusqu'à 2020. La France, présidente de la COP 21, devra œuvrer pour que les Etats adoptent cet accord et adhèrent plus largement à l'« Alliance de Paris pour le climat », qui comprend quatre volets : le texte de l'accord, les contributions nationales des Etats (xviii), l'agenda des solutions et le financement de la transition vers des économies bas carbone.
8. Ces échéances internationales sont particulièrement importantes dans la mesure où elles se donnent pour mission de fixer un cadre conceptuel et un programme de travail pour les prochaines décennies en mettant en relief toute une série d'objectifs très variés et ambitieux qui, s'ils sont suivis d'effets, ont « le potentiel de transformer les sociétés » (xix). Pour le Secrétaire général des Nations unies, qui lance un appel universel à l'action, « l'année 2015 offrira aux dirigeants et aux peuples du monde l'occasion unique d'en finir avec la pauvreté et de construire un monde plus adapté aux besoins des êtres humains et aux impératifs de transformation de l'économie, tout en veillant à protéger l'environnement, à faire régner la paix et à donner effet aux droits de l'homme » (xx).
9. L'un des points communs aux questions relatives au développement et au changement climatique - que nous intégrerons ici dans la problématique plus large de la protection de l'environnement (xxi) - réside dans leurs liens étroits avec les droits de l'homme, qu'il convient de reconnaître explicitement et de renforcer. Les relations entre le développement, l'environnement et les droits de l'homme appellent à décloisonner ces travaux et à les envisager de manière globale (1re partie). Cette interdépendance demande que les politiques de développement et de protection de l'environnement adoptent une approche par les droits (2e partie). Cette approche, qui apparaît essentielle pour une réponse d'ensemble à des défis globaux, comporte plusieurs implications opérationnelles dont il convient de prendre la mesure.
10. Dans le cadre de la préparation de cet avis, la CNCDH a consulté diverses organisations de la société civile, les représentants des pouvoirs publics et des universitaires (xxii). Elle a également échangé avec d'autres institutions nationales des droits de l'homme (INDH) à travers le monde sur l'agenda post-2015 (xxiii). La CNCDH a également eu l'opportunité de s'entretenir avec John Knox, expert indépendant des Nations unies sur les droits de l'homme et l'environnement, à l'occasion de sa visite en France (xxiv), ainsi qu'avec Mary Robinson, présidente de la Fondation Mary Robinson for Climate Justice et envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les changements climatiques.


PREMIÈRE PARTIE
L'interdépendance entre le développement, l'environnement et les droits de l'homme, incarnée dans la notion de développement durable


11. L'environnement comme élément indissociable du développement a été reconnu lors de la conférence des Nations unies sur l'environnement réunie à Stockholm et confirmé en 1992 par la conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement. A l'issue de cette conférence, les Etats ont ainsi réaffirmé que « le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l'environnement des générations présentes et futures » (principe 3, déclaration de Rio) et que « pour parvenir à un développement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément » (principe 4, déclaration de Rio). Un environnement sain et géré de façon durable est ainsi reconnu comme condition essentielle au développement d'une société.
12. Cette intégration des problématiques est reflétée dans le concept de développement durable qui s'appuie sur trois piliers : économique, social et environnemental. Le choix de faire évoluer les Objectifs pour le développement vers des Objectifs du développement durable est une illustration manifeste d'une prise en compte globale des questions de développement et d'environnement (xxv) et de leur interdépendance pour l'avenir de la planète.
13. La protection de l'environnement est directement abordée dans le cadre des ODD, à l'instar de l'Objectif n° 13 sur les changements climatiques, de l'Objectif n° 14 sur la préservation des océans, mers et ressources marines ou encore de l'Objectif n° 15 relatif à la préservation et la restauration des écosystèmes terrestres. Les ODD seront mis en œuvre dès 2016 et pourront commencer à produire leurs effets avant même l'entrée en vigueur de l'accord sur le climat prévu pour 2020.
14. Les changements climatiques sont de...

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