Avis sur le droit au respect de la vie privée et familiale et les placements d'enfants en France
Jurisdiction | France |
Publication au Gazette officiel | JORF n°0176 du 31 juillet 2013 |
Date de publication | 31 juillet 2013 |
Court | COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME |
Record Number | JORFTEXT000027778871 |
(Assemblée plénière du 27 juin 2013)
1. En France, environ 273 000 mineurs sont pris en charge par les services de protection de l'enfance des conseils généraux et, parmi eux, environ 134 000 sont placés hors de leur milieu familial, en famille d'accueil ou en établissement, à la suite de décisions administratives ou judiciaires (1). Ces chiffres sont en augmentation depuis plusieurs années (2) et le nombre de mineurs placés en France est, en proportion, supérieur à celui de nombreux autres pays européens (3).
2. En 2001 déjà, s'appuyant sur le droit de toute personne « au respect de sa vie privée et familiale » reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme (article 8) et par divers textes internationaux dont la Convention internationale des droits de l'enfant (4), la CNCDH rappelait dans un avis, adopté le 6 juillet 2001, que « tout [devait] être fait pour permettre aux enfants d'être élevés par leurs parents, en raison de quoi les soutiens [devaient] être orientés d'abord vers l'ensemble de la famille ». Elle invitait les pouvoirs publics à donner priorité à la prévention, entendue comme un accompagnement des familles et rappelait l'exigence de respecter les droits des enfants et de leurs parents.
3. La Commission constate que, depuis son précédent avis, un certain nombre de progrès ont été réalisés, notamment sur le plan législatif, ainsi :
― la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale prévoit un renforcement du droit des personnes prises en charge, la mise en place d'une recherche de qualité, un contrôle administratif renforcé et l'association des usagers au fonctionnement et à l'administration de l'établissement ou du service ;
― le décret n° 2002-361 du 15 mars 2002 qui autorise les parents à consulter les dossiers d'assistance éducative ;
― la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance prévoit un certain nombre de dispositifs en faveur de la prévention et vise à préserver, autant que possible, les liens familiaux. Elle énonce ainsi que la protection de l'enfance « a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs ». L'article L. 311-9 du code de l'action sociale et des familles (CASF) déclare que les services de l'aide sociale à l'enfance « doivent rechercher une solution évitant la séparation ou, si une telle solution ne peut être trouvée, établir un projet propre à permettre leur réunion dans les plus brefs délais et à suivre ce projet jusqu'à ce qu'il aboutisse ».
4. Pour autant, six ans après l'adoption de la loi du 5 mars 2007, la CNCDH constate que les principaux objectifs visés par la réforme n'ont toujours pas été atteints. Ainsi, si la prévention était le maître mot de la loi, depuis 2005, moins de 20 % des financements de l'aide sociale à l'enfance sont consacrés à des programmes de prévention (5). Les moyens consentis à la diversification des réponses et des modes d'accompagnement (AEMO avec hébergement, accueil à la journée, accueil périodique ou modulable, etc.) ― qui constituait un point clé de la réforme ― restent relatifs et très inégalement répartis sur le territoire national (6). Le placement et l'action éducative en milieu ouvert (AEMO) restent les modalités de prise en charge privilégiées, comme en témoigne la grande stabilité des chiffres depuis plusieurs années (7). Alors que la loi rend obligatoire l'élaboration d'un projet pour l'enfant (PPE), dès lors que ce dernier fait l'objet d'une décision de protection, on constate une grande diversité dans la mise en œuvre de cette démarche et la plupart des acteurs s'accordent pour dire qu'il est rarement mis en place de manière systématique (8). On note par ailleurs que, à la fin de l'année 2012, seuls 54 départements avaient installé un observatoire départemental de la protection de l'enfance (ODPE) (9) : comment alors mieux repérer les situations d'enfants en danger si le phénomène n'est pas évalué ? On constate par ailleurs que si depuis décembre 2011 tous les départements français disposent d'un dispositif centralisé de recueil, d'évaluation et de traitement des informations préoccupantes (CRIP), la composition, le fonctionnement et les moyens qui leur sont alloués sont extrêmement divers d'un département à l'autre (10). Plus généralement, la CNCDH s'inquiète des fortes disparités qui existent dans la mise en œuvre des dispositifs prévus par la loi d'un département à l'autre.
5. Les auditions des différents acteurs de la protection de l'enfance ont mis en évidence des distorsions entre les textes et la pratique et le manque de mise en œuvre des recommandations des organes internationaux, notamment les directives des Nations unies du 30 octobre 2009 concernant les modes non traditionnels de prise en charge des enfants et la recommandation du 16 mars 2005 du Conseil de l'Europe relative aux droits des enfants vivant en institution. La CNCDH constate que plusieurs recommandations formulées en 2001 n'ont pas été retenues et restent pourtant d'actualité.
6. Il convient de rappeler ici que l'aide sociale à l'enfance, décentralisée depuis 1986, se doit de concilier le droit de l'enfant au respect de sa vie privée et familiale (articles 7 et 9 de la CIDE, article 8 de la CEDH), et le droit à être protégé quand il est en danger, négligé ou victime de maltraitance, de violences sexuelles, ou confronté à des difficultés liées à des problèmes des parents (handicap, problèmes de santé ou psychiatriques) (article 19 de la CIDE). Le présent avis a pour objet de rappeler aux pouvoirs publics un certain nombre de principes à prendre en compte afin de trouver un équilibre entre ces deux droits.
7. La CNCDH ne remet pas en cause le principe des placements d'enfants, ces derniers se révélant légitimes et nécessaires en cas de maltraitance. Toutefois, d'après le rapport Naves-Cathala de 2000 (11), confirmé par les propos de Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales en février 2012, 50 % des placements pourraient être évités. La CNCDH a donc souhaité étudier quelles autres formes de soutiens auraient pu être envisagés pour y pallier, dans le cadre des engagements internationaux de la France et de la loi interne.
8. La commission tient également à préciser que les éléments traités dans le présent avis ne constituent qu'une part limitée des problématiques relevant de la protection de l'enfance, dont le champ est extrêmement vaste. La commission a retenu les principaux éléments soulevés lors des auditions qu'elle a réalisées...
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