Avis sur l'incidence de la législation relative à la lutte contre le terrorisme sur l'action humanitaire

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0238 du 14 octobre 2018
Record NumberJORFTEXT000037493832
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication14 octobre 2018

(Assemblée plénière du 2 octobre 2018 - Adoption à l'unanimité)

1. La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a porté, ces dernières années, une attention soutenue à la politique française de lutte contre le terrorisme, en soulignant les dérives faites au nom d'impératifs de sécurité au détriment des droits et libertés. Ce faisant, elle s'est surtout concentrée sur la portée interne de la législation au regard des principes constitutionnels et des engagements conventionnels de la France dans le domaine du droit international des droits de l'homme (DIDH). Dans le prolongement de ses récents avis (1), la CNCDH a entrepris d'examiner le volet international de cette problématique, notamment à la lumière des règles et principes du droit international humanitaire (DIH) (2). Elle souhaite attirer l'attention des pouvoirs publics sur les effets possibles des législations relatives à la lutte contre le terrorisme - internationales et françaises - sur l'effectivité et l'impartialité de l'action humanitaire, et en particulier, sur l'accès humanitaire en période de conflit armé.
2. Dans son rapport sur la capacité du système des Nations unies d'aider les Etats membres à appliquer la Stratégie anti-terroriste mondiale, le Secrétaire général des Nations unies (3) évoque l'évolution de la menace terroriste à laquelle la communauté internationale fait face en notant que des groupes terroristes tels que l'Etat islamique d'Iraq et du Levant (Daech), Al-Qaïda et Boko Haram continuent de faire peser une menace sur la paix et la sécurité internationales. En outre, le terrorisme a des effets dévastateurs sur le développement durable, les droits de l'homme et l'action humanitaire à l'échelle mondiale, régionale et nationale (4). Ainsi, les populations civiles risquent de se trouver doublement victimes des hostilités, victimes en raison des conflits armés internationaux et non internationaux impliquant des actes de terrorisme illicites, mais également victimes des effets indirects de ces situations, liés le plus souvent à des régimes de sanctions ou à des législations internes sévères, qui risquent d'entraver l'effectivité de l'aide humanitaire.
3. Les nombreuses auditions (5) ayant mis en lumière les cas concrets parfois dramatiques vécus par les organisations humanitaires, la CNCDH a souhaité, après un rappel du cadre juridique international dans ses deux perspectives, se focaliser sur les entraves qui lui ont été rapportées afin d'identifier les bonnes pratiques à généraliser, pour que soit préservée l'action humanitaire.
I. - Le terrorisme : cadre juridique international applicable
A. - Le renforcement des dispositifs internationaux de lutte contre le terrorisme
4. Pour mesurer les obstacles à l'action humanitaire qui pourraient découler de l'application de la législation française ou de la mise en œuvre du droit international relatif à la lutte contre le terrorisme, il convient d'abord de préciser le cadre juridique de la lutte contre le terrorisme. Celui-ci a été peu à peu élaboré par les Nations unies, depuis les années quatre-vingt-dix d'abord à travers des sanctions contre certains Etats (Libye, Soudan) puis contre des groupes comme les Talibans ou Al Qaïda, à la suite de la résolution du Conseil de sécurité 1267 en 1999 créant le comité AQ chargé de la surveillance des sanctions. En vertu de la résolution 1269, les Etats sont appelés à coopérer pour prévenir les actes terroristes. Au lendemain des attentats du 11 septembre, le Conseil de sécurité a réagi dès le 12 septembre 2001 en adoptant la résolution 1368 reconnaissant l'existence de menaces à la paix et à la sécurité internationales causées par les actes terroristes , avant que la résolution 1373 du 28 septembre 2001 institue en son sein un comité contre le terrorisme , lui-même assisté par une direction exécutive du comité contre le terrorisme chargée du contrôle des mesures adoptées par le Conseil de sécurité. Ainsi la résolution 1373 décide en particulier que les Etats doivent 1° d Interdire à leurs nationaux ou à toute personne ou entité se trouvant sur leur territoire de mettre des fonds, avoirs financiers ou ressources économiques ou services financiers ou autres services connexes à la disposition, directement ou indirectement, de personnes qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme, les facilitent ou y participent, d'entités appartenant à ces personnes ou contrôlées, directement ou indirectement, par elles et de personnes et entités agissant au nom ou sur instruction de ces personnes .
5. Depuis lors, une série de résolutions du Conseil de sécurité a mis en place des régimes de sanctions de portée de plus en plus générale, visant des individus et des organisations. La résolution 2161 du 17 juin 2014 concernant Al Qaïda, met également l'accent sur la responsabilité des organisations non gouvernementales (ONG), en considérant que les Etats Membres doivent empêcher les terroristes d'utiliser à des fins illégales les organisations non gouvernementales, les organisations à but non lucratif et les organisations caritatives, et demandant à ces organisations de prévenir et de contrecarrer, selon qu'il conviendra, toute exploitation de leur statut par des terroristes, rappelant cependant qu'il importe de respecter pleinement les droits à la liberté d'expression et d'association des membres de la société civile et la liberté de religion ou de conviction . Dans la mesure où ces régimes de sanctions institués et contrôlés par le Conseil de sécurité s'imposent aux Etats, en vertu de l'article 29 de la Charte, et qu'ils ont été relayés par des sanctions régionales, notamment européennes, et renforcés par des mesures nationales, ils ont un impact direct sur les activités des ONG, a fortiori des organisations humanitaires. En matière pénale, les législations nationales ont aussi été renforcées pour lutter contre le terrorisme en réprimant les auteurs et les complices d'actes terroristes.
6. L'Assemblée générale des Nations unies a synthétisé toutes les réflexions sur la lutte contre le terrorisme, notamment celles lancées par le Secrétaire général, dans son rapport du 2 mai 2006 s'unir contre le terrorisme , à la suite d'une première stratégie adoptée lors du sommet mondial de septembre 2005, pour définir la Stratégie anti-terroriste mondiale des Nations unies, figurant en annexe de la résolution 60/288 du 8 septembre 2006. Cette stratégie repose sur quatre piliers (6), le dernier étant la protection des droits de l'homme et le renforcement de l'Etat de droit. C'est dans ce cadre qu'un centre des Nations unies pour la lutte contre le terrorisme a été créé, à la suite de l' équipe spéciale mise en place en 2005, ayant pour mission de coordonner l'action de 38 entités au sein des Nations unies. On peut relever que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) et le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) ont le statut d'observateur auprès de l'équipe spéciale. Dix ans après, à la suite du rapport précité du Secrétaire général du 3 avril 2017, l'Assemblée générale a adopté la résolution 71/291 du 15 juin 2017 qui renforce le dispositif en créant un Bureau de lutte contre le terrorisme, confié à un Secrétaire général adjoint, avec la mission de mettre en œuvre les mandats de l'Assemblée générale, de mieux coordonner l'action des entités impliquées dans la stratégie et de renforcer les capacités des Etats. Cette restructuration est présentée comme la première étape de la restructuration des Nations unies par le Secrétaire général. La CNCDH note que les enjeux relatifs à l'action humanitaire sont traités dans les actions relevant du quatrième pilier qui concernent l'aide aux victimes, comme l'illustre la conférence de février 2016 sur les droits de l'homme des victimes du terrorisme. Alors que la stratégie vise la lutte contre le terrorisme qu'en temps de paix, la spécificité des règles du droit international humanitaire devrait être pleinement prise en compte. À cet égard, la CNCDH estime qu'un pilier spécifique devrait lui être dédié.
7. Le cadre international de la lutte contre le terrorisme comporte également un réseau dense d'une vingtaine d'instruments multilatéraux, conventions et protocoles, ayant une vocation universelle, qui incriminent des actes terroristes . La convention internationale sur le financement du terrorisme, adoptée en 1999, a une portée particulièrement large, puisqu'elle impose aux Etats parties d'incriminer ce financement sous ses diverses formes, soit de manière directe, soit indirectement, par l'intermédiaire d'organisations qui ont aussi ou prétendent avoir un but caritatif, culturel ou social . À la différence de la plupart des autres instruments qui ne visent que le temps de paix, en renvoyant au droit international humanitaire les actes terroristes commis en période de conflit armé, la convention de 1999 s'applique en tout temps.
8. Ce cadre juridique est complété au niveau régional. Ainsi le Conseil de l'Europe a adopté le 4 juillet 2018 par le Comité des ministres une stratégie 2018-2022 dans le domaine de la lutte contre le terrorisme (CM52018) 86), autour de trois axes, la prévention, la répression et la protection. Ces actions sont coordonnées par le nouveau comité directeur contre le terrorisme (CDCT). La Convention européenne sur la prévention du terrorisme (n° 196) adoptée à Varsovie en 2005 constitue la pièce maîtresse du dispositif normatif. Elle a reçu 40 ratifications, dont celle de l'Union européenne effectuée le 26 juin 2018. Un protocole additionnel à la Convention européenne sur la prévention du terrorisme (n° 217) venant la compléter a été adopté à Riga en 2010 ; il déjà fait l'objet de 13 ratifications, dont celles de la France et de l'Union européenne. Une disposition de l'article 26 §4 de la Convention portant sur ses effets note qu'elle ne modifie pas les obligations des Etats au regard du droit international, y compris le droit international humanitaire , sans que le...

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