Avis sur l'indépendance de la justice

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0176 du 31 juillet 2013
Date de publication31 juillet 2013
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000027778844



(Assemblée plénière du 27 juin 2013)


1. Le 14 mars 2013, le Gouvernement a adopté en conseil des ministres plusieurs projets de loi constitutionnelle, notamment le projet portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Le 21 mai 2013, un nouveau projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique a été déposé à l'Assemblée nationale. Ces différents projets de loi font suite à des engagements du Président de la République, qui avait annoncé vouloir garantir l'indépendance de la justice et de tous les magistrats (1). La CNCDH s'est autosaisie sur le problème de l'indépendance de l'autorité judiciaire d'une manière générale plutôt que sur chacun de ces projets de loi. Ces projets de loi ne traitant que de la justice judiciaire, la CNCDH ne se prononcera pas sur l'indépendance des juridictions administratives et financières.

(1) Projet présidentiel pour 2012. ― 53e engagement de campagne de François Hollande



2. L'indépendance de l'autorité judiciaire est reconnue par l'article 64 de la Constitution. Elle est également reconnue par différents instruments internationaux, notamment par la Déclaration universelle des droits de l'homme (2), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (3), la Convention européenne des droits de l'homme (4), la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (5). De nombreuses recommandations d'instances internationales rappellent régulièrement l'importance de ce principe, notamment l'ONU (6), et le Conseil de l'Europe (7).

(2) Article 10 : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » (3) Article 14 : 1. « Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. (...) » (4) Article 6. ― Droit à un procès équitable : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) » (5) Article 47 : Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial : « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice. » (6) Voir notamment les Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature adoptés par le septième congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l'Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 et les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet adoptés par le huitième congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990 (7) Voir notamment Recommandation Rec(94)12 F 13 octobre 1994 sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges, Recommandation CM/Rec(2010)12 du comité des ministres aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités



3. A la suite du Conseil de l'Europe, la CNCDH souligne que « l'indépendance de la justice garantit à toute personne le droit à un procès équitable et qu'elle n'est donc pas un privilège des juges mais une garantie du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui permet à toute personne d'avoir confiance dans le système judiciaire » (8) ; en effet, l'indépendance des juges est un « élément inhérent à l'Etat de droit et indispensable à l'impartialité des juges et au fonctionnement du système judiciaire » (9). La garantie d'une justice indépendante est donc nécessaire pour l'ensemble du système de protection des droits de l'homme en France.

(8) Recommandation CM/Rec(2010)12 du comité des ministres aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (adoptée par le comité des ministres le 17 novembre 2010, lors de la 1098e réunion des délégués des ministres) (9) Idem



I. ― Une justice en crise


4. Le dépôt de ces différents projets de loi au Parlement intervient alors que la justice judiciaire traverse depuis quelques années une crise importante. La stigmatisation, de la part d'une partie de la classe politique, du travail de la justice est en effet fréquente. Cette stigmatisation a alimenté dans l'opinion publique le mythe selon lequel les juges seraient laxistes. Sous les deux précédentes législatures, les lois se sont succédé pour restreindre progressivement le pouvoir des juges : peines planchers ou succession de lois restreignant l'office du juge en matière de droit des étrangers par exemple. A ces lois se sont ajoutées, de 2002 à 2012, des instructions de plus en plus précises adressées au ministère public, tenu par exemple de requérir l'application des peines planchers pour toute récidive ou d'utiliser la procédure de comparution immédiate pour certains types de faits.
5. Par ailleurs, l'insuffisance criante du budget de la justice, dont témoigne le classement de la France par rapport aux autres pays du Conseil de l'Europe (10), a d'importantes conséquences sur le travail des juges au quotidien. La mise en place, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, d'objectifs et indicateurs de performance concernant l'activité judiciaire a eu d'importantes conséquences sur le fonctionnement du service public de la justice : les unes a priori favorables : la réduction du délai moyen de traitement des procédures, la réduction du taux de cassation des affaires civiles et pénales et le taux de mise à exécution des décisions de justice. En revanche, d'autres sont plus discutables : augmentation du nombre d'affaires civiles et pénales traitées par un seul magistrat, réponse pénale à tout prix (11). De même, les indicateurs de performance ont également restreint le pouvoir d'appréciation des juges, contraints de systématiser leur travail pour satisfaire aux objectifs de performance. Au total, cette réforme a « été l'occasion pour la chancellerie de mettre en place un cadre très centralisé » (12) qui a eu un effet de « renforcement de l'autorité politique sur l'autorité judiciaire » (13).

(10) Rapport CEPEJ. (11) Projet de loi de finances pour 2013, Projet annuel de performance relatif à la justice. (12) Didier Marshall « L'impact de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) sur les juridictions », Revue française d'administration publique 1/2008 (n° 125), p. 121-131. (13) Jean-Paul Jean, « Le ministère public entre modèle jacobin et modèle européen », Revue de science criminelle 2005, p. 670.



6. Enfin, les réformes progressives de la procédure pénale française ont eu pour effet de bouleverser les subtils équilibres de pouvoirs entre magistrature du parquet et magistrature du siège. La question du statut du parquet et son lien avec le pouvoir exécutif est devenu un sujet de crispation important. Ce contexte pousse à une réforme d'ampleur pour protéger l'indépendance de la justice. Une telle réforme devrait passer...

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