Avis sur le projet de loi relatif à la réforme de l'asile

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0005 du 7 janvier 2015
Record NumberJORFTEXT000030056287
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication07 janvier 2015


(Assemblée plénière - 20 novembre 2014)


1. Le 16 juillet 2013, le ministre de l'intérieur a initié une concertation nationale sur la réforme du droit d'asile présidée par deux parlementaires, la sénatrice Valérie Létard et le député Jean-Louis Touraine. Cette concertation a associé l'ensemble des acteurs de l'asile : le secteur public et les associations engagées dans ce domaine (1). La CNCDH a été auditionnée le 13 novembre 2013, avant que la concertation ne s'achève, le 28 novembre 2013, par la remise d'un rapport au ministre de l'intérieur (2). Le 23 juillet 2014, un projet de loi relatif à la réforme de l'asile a été adopté en Conseil des ministres.
2. Par lettre du 5 août 2014, le ministre de l'intérieur a saisi la CNCDH en vue de recueillir son avis sur ce texte.
3. Le Gouvernement a ensuite, le 30 septembre 2014, engagé la procédure accélérée sur le projet de loi. Aussi, la CNCDH ne peut-elle d'emblée que rappeler une nouvelle fois sa ferme opposition à la mise en œuvre de cette procédure dans une matière aussi sensible pour les droits et libertés que la garantie du droit d'asile. La réforme constitutionnelle de 2008 a certes entraîné une diminution du temps parlementaire consacré à l'examen des projets de loi ce qui, en pratique, conduit le Gouvernement à mettre en œuvre plus fréquemment la procédure accélérée. Cependant celle-ci ne permet pas un fonctionnement normal du Parlement, dès lors qu'elle restreint considérablement le temps de réflexion et de maturation nécessaire au débat démocratique, et nuit, par ricochet, à la qualité de la loi (3).
4. La présente réforme s'inscrit dans le processus de communautarisation de l'asile (4). En effet, à la suite de l'adoption par le Conseil européen du programme de Stockholm, le traité de Lisbonne a confié à l'Union européenne (UE) la tâche de développer « une politique commune en matière d'asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d'un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement » (article 63.1). Après cinq années de négociations, le Conseil de l'UE et le Parlement ont adopté en juin 2013 les textes révisés des directives « Accueil » et « Procédures » devant être transposées d'ici à juillet 2015 (5), du règlement « Dublin III » directement applicable à compter de janvier 2014 (6) et du règlement « Eurodac » directement applicable à compter de juillet 2015 (7). La refonte de la directive « Qualification » avait eu lieu en 2011, le délai de transposition étant fixé au 21 décembre 2013 (8).
5. Le projet de loi intervient dans un contexte extrêmement difficile où des populations entières fuient, au péril de leur vie, les conflits armés sévissant en Irak et en Syrie (9), et ailleurs aussi. A cela s'ajoute la survenance récente d'événements tragiques aux frontières de l'espace Schengen (10) qui laisse fortement craindre que les pouvoirs publics ne soient tentés de durcir encore leur politique de contrôle des flux migratoires (11). Si la CNCDH peut, sans naïveté, comprendre les craintes d'afflux massif exprimées dans l'Etude d'impact (12), elle estime néanmoins celles-ci doivent être ramenées à de plus justes proportions. A cet égard, la CNCDH rappelle que :


- au sein de l'UE, le nombre de demandeurs d'asile (à peine supérieur à 330 000 en 2012, selon Eurostat) reste dérisoire au regard de la population (13) et de la puissance économique des pays composant l'Union (14) ;
- en France, le nombre des bénéficiaires d'une protection internationale au titre de l'asile reste stable, soit 169 990 personnes en 2013 (15), nombre qui reste très inférieur à celui des bénéficiaires de cette protection en 1953 (224 829 réfugiés, source ministère de l'intérieur) et est comparable à celui de 1993 (165 531 réfugiés, source OFPRA).


Si ces chiffres démentent la réalité d'un afflux massif, il faut rappeler que le souci de répondre à une telle situation est déjà pris en compte par le droit de l'UE qui a institué une protection temporaire (16), procédure restée jusqu'à ce jour inappliquée (17).
6. Pourtant, et alors même que le Gouvernement exprime la volonté de « garantir que la France assure pleinement son rôle de terre d'asile en Europe » (18), l'exposé des motifs du projet de loi souligne que le dispositif actuel crée une « incitation au détournement de la procédure d'asile à des fins migratoires » avant de définir les deux axes qu'il se propose de suivre, à savoir non seulement : « améliorer encore la protection des personnes réellement en besoin d'une protection internationale », mais aussi « permettre plus facilement au dispositif d'écarter rapidement la demande d'asile infondée » (19). La CNCDH ne peut que déplorer ce type de formulation récurrente depuis plus de vingt ans, qui, en opposant les « bons » demandeurs d'asile aux « mauvais », contribue à créer un climat de suspicion généralisée à l'encontre de ceux qui sollicitent une protection internationale (20). De même, l'emploi de doubles négations dans plusieurs articles du projet de loi (par exemple, l'exigence que la demande de réexamen ne soit pas irrecevable ou que la demande d'asile à la frontière ne soit pas manifestement infondée) peut être compris comme posant une présomption d'absence de sincérité des demandes d'asile. En outre, plusieurs dispositions du projet de loi mentionnent malencontreusement « l'étranger » (voir les articles 12 et 13), cette terminologie entretenant une confusion fâcheuse entre les questions d'asile et d'immigration. Les deux procèdent pourtant de logiques bien différentes : le droit de l'asile repose sur une logique de protection, alors que le droit des étrangers repose sur une logique de contrôle (21). Au regard de ce qui précède, la CNCDH recommande une amélioration de la rédaction du projet de loi. A une époque où prolifèrent les discours sécuritaires « affolant » l'opinion publique et entraînant un repli identitaire, voire xénophobe (22), elle se doit d'appeler les pouvoirs publics à une grande vigilance, dès lors que tout processus d'étiquetage, délibéré ou non, ne pourra que porter préjudice à l'exercice du droit d'asile (23).
7. Au regard de ce qui précède, il est de la responsabilité de la CNCDH de rappeler les grands principes gouvernant le droit d'asile, dont la protection est d'abord conventionnelle. Elle découle de la Convention de Genève sur les réfugiés du 28 juillet 1951 qui, sans exiger des Etats l'octroi d'un asile aux réfugiés, leur impose une double obligation, d'une part, de non-refoulement vers un pays dans lequel leur vie ou leur liberté serait menacée pour l'un des motifs de la convention (article 33-1), d'autre part, d'immunité pénale pour leur entrée ou séjour irrégulier (article 31-1), qui constitue le principe cardinal du droit des réfugiés (24). L'on doit à la Charte des droits fondamentaux de l'UE d'avoir consacré le « droit d'asile » en tant que droit fondamental en l'amarrant à la Convention de Genève et au traité instituant la Communauté européenne (article 18). Le droit dérivé de l'Union a, quant à lui, reconnu un « droit à l'asile » tant aux réfugiés qu'aux bénéficiaires de la protection subsidiaire (article 24 de la directive « Qualification »). La protection de ce droit est ensuite nationale, dès lors que le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, intégré dans le bloc de constitutionnalité, reconnaît un droit d'asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté. En outre, « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif » (article 53-1 de la Constitution de 1958). Pour le Conseil constitutionnel, le droit d'asile est un « droit fondamental » et un « principe de valeur constitutionnelle » (25). Le Conseil d'Etat en a, lui, affirmé le caractère de « droit constitutionnel » et de « liberté fondamentale » au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA) (26).
8. Le caractère de « droit fondamental » du droit d'asile interdit en premier lieu de confondre les questions d'asile et d'immigration : l'asile ne saurait, parce qu'il est un droit, être soumis aux vicissitudes de la politique de l'immigration. A cet égard, la CNCDH entend réaffirmer qu'une véritable politique de l'asile ne peut tolérer une approche purement quantitative et économique mettant en exergue la hausse du nombre de demandeurs, partant, l'accroissement des coûts. Réduire la question de l'asile à un problème de gestion des flux ou de réduction des coûts est inacceptable dès lors qu'est en cause l'exercice d'un droit fondamental (27). La réforme législative faisant l'objet du présent avis est d'une grande ampleur et les importantes modifications apportées au droit d'asile devront faire l'objet de moyens suffisants dans les projets de lois de finances à venir.
En second lieu, le caractère de « droit fondamental » du droit d'asile impose au législateur de ne pas adopter des dispositions qui en affectent le contenu essentiel (28). Les Etats sont au demeurant libres d'offrir une protection plus étendue que celle résultant du droit de l'UE (29), pourvu qu'elle soit compatible avec lui. Ils doivent, comme l'UE, faire prévaloir une interprétation de la Charte qui soit protectrice des droits et libertés qu'elle énonce, ainsi que de ceux inscrits dans les conventions internationales auxquelles ils sont parties, comme la Convention de Genève et la Convention européenne des droits de l'homme (article 53 de la Charte des droits fondamentaux).
9. De plus, dans l'hypothèse où la transposition des directives de l'UE ne respecterait pas les droits fondamentaux, dont le droit d'asile, protégés au plus haut niveau, la CNCDH rappelle qu'à la vigilance classique de la Cour européenne des droits de l'homme s'ajoute désormais le contrôle de la Cour de justice de...

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