Avis sur le projet de loi autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0155 du 7 juillet 2015
Record NumberJORFTEXT000030852737
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication07 juillet 2015

(Assemblée plénière du 21 mai 2015 - Adoption : unanimité)

1. La France et le Maroc sont liés par la convention d'entraide judiciaire en matière pénale signée le 18 avril 2008, autorisée à l'approbation par la loi n° 2010-609 du 7 juin 2010 et publiée par le décret n° 2011-960 du 16 août 2011, qui abrogeait, dans son domaine spécifique, les dispositions de la convention franco-marocaine d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur et d'extradition du 5 octobre 1957 (1). La nouvelle convention réglemente les différentes facettes d'une coopération judiciaire classique comme, par exemple, le contenu des demandes d'entraide, leur transmission, leur exécution, etc. L'application de cette convention, comme de toute forme de coopération judiciaire entre la France et le Maroc, a été suspendue de manière unilatérale par le Maroc en février 2014 (2).
2. Un projet de loi autorisant l'approbation du protocole additionnel à la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale dans le cadre de la procédure accélérée (3). Ce protocole vise à introduire un nouvel article 23 bis à cette convention d'entraide. Une Etude d'impact, pour le moins sommaire, relève que le protocole est de nature à resserrer les liens avec l'un de nos principaux partenaires " tout en précisant que cette " coopération plus durable et efficace entre la France et le Maroc " intervient " dans le respect du droit interne et des engagements internationaux des deux Parties " (4).
3. La CNCDH ne peut d'emblée que réitérer sa ferme opposition à la mise en œuvre de la procédure accélérée dans des matières sensibles pour les droits et libertés (5). La réforme constitutionnelle de 2008 a certes entraîné une diminution du temps parlementaire consacré à l'examen des projets de loi ce qui, en pratique, conduit le Gouvernement à mettre en œuvre plus fréquemment la procédure accélérée. Celle-ci ne permet cependant pas un fonctionnement normal du Parlement, dès lors qu'elle restreint considérablement le temps de réflexion et de maturation nécessaire au débat démocratique, et nuit, par ricochet, à la qualité de la loi. Ce souci de cohérence, d'intelligibilité de la loi et de sécurité juridique vaut tout particulièrement pour la conduite des relations internationales. Comme l'a souligné la CNCDH dans son avis du 19 mars 2015 sur la conférence de haut niveau de Bruxelles, une étude d'impact approfondie sur les droits de l'homme devrait être effectuée systématiquement pour tout projet ou proposition de loi (6). De même, la saisine de la CNCDH devrait être opérée en temps utile pour permettre un débat éclairé, malgré les contraintes de la procédure accélérée.
4. La CNCDH a décidé de s'autosaisir du projet de loi, en considérant que celui-ci ne suscite pas seulement des considérations d'ordre politique, mais qu'il met en cause des questions d'ordre juridique dont les conséquences dépassent les relations diplomatiques bilatérales entre deux pays ayant des liens de coopération étroits. Malgré son caractère voulu anodin (un article unique autorise l'approbation d'un protocole additionnel qui se borne lui-même à ajouter un seul article à la Convention d'entraide judiciaire de 2008), le projet de loi comporte des enjeux juridiques et judiciaires d'importance, au regard notamment des règles relatives à la compétence répressive internationale des lois et juridictions françaises.
5. A cet égard, la CNCDH tient particulièrement à rappeler ses études et ses avis en matière de justice pénale internationale, spécialement son avis du 23 octobre 2012 sur le bilan de la Cour pénale internationale, qui précisent ses positions de principe et recommandations en matière de compétence universelle (7). Elle déplore que les réponses gouvernementales à ses préoccupations et recommandations restent loin des attentes formulées au sujet de la transposition en droit français du statut de Rome (8). La CNCDH rappelle également les préconisations convergentes sur le sujet des organes de supervision des traités relatifs aux droits de l'homme, comme le Comité contre la torture en 2010 (9) et le Comité des disparitions forcées en 2013 (10).
6. En outre et surtout, si la CNCDH reconnaît bien volontiers que la coopération franco-marocaine revêt une importance particulière, notamment dans la lutte contre le terrorisme, elle rappelle que cette entente ne saurait s'établir aux dépens du respect des droits et libertés constitutionnels et d'autres engagements internationaux pris par la France, que ceux-ci poursuivent un objet proprement répressif ou bien de protection des droits de l'homme. De plus, le protocole additionnel ayant été signé, le 6 février 2015, par la France et le Maroc, il est à craindre que sa ratification par le Parlement n'apparaisse comme une simple formalité, et ce d'autant plus que le débat porte sur une question juridique extrêmement technique.
7. Le projet de loi introduit dans la convention d'entraide de 2008, à la suite d'un article 23 intitulé " Dénonciation aux fins de poursuites " et avant un article 24 intitulé " Echange spontané d'informations ", un nouvel article 23 bis intitulé " Application des conventions internationales " et composé de quatre paragraphes. Sa rédaction imprécise et peu claire montre qu'il s'agit en réalité d'un protocole sui generis, dont la mise en œuvre conduira à contourner les règles traditionnelles de compétence pénale découlant tant du droit interne que du droit international (11). Il apparaît à la CNCDH que par le biais d'un amendement à un traité bilatéral, les deux Etats entendent fixer un régime sui generis d'entraide judiciaire, visant ainsi à réviser indirectement des obligations juridiques établies par des conventions multilatérales. Sans évoquer in abstracto la question technique de la hiérarchie des engagements internationaux, il faut rappeler que, comme l'a énoncé la Cour internationale de justice dans son avis du 28 mai 1951 sur les réserves à la convention sur le génocide : " on peut considérer comme un principe reconnu que toute convention multilatérale est le fruit d'un accord librement conclu sur ses clauses et qu'en conséquence il ne peut appartenir à aucun des contractants de détruire ou de compromettre, par des décisions unilatérales ou des accords particuliers, ce qui est le but et la raison d'être de la convention "(12).
8. Pour l'examen du protocole, la CNCDH formulera un certain nombre d'observations en suivant l'ordre des nouvelles stipulations et en se plaçant du seul point de vue des obligations de la France.

I. - Le titre de l'article 23 bis

9. D'emblée, la CNCDH ne manquera pas de relever le caractère inhabituel au sein d'accords bilatéraux ou multilatéraux d'entraide judiciaire de l'intitulé : " Application des conventions internationales ". De plus, le protocole ne précise pas quelles sont ces conventions internationales : des conventions dont l'objet est spécifiquement répressif, qu'il s'agisse d'incriminer un comportement ou de coopérer au plan judiciaire, des conventions dont l'objet est général, des conventions de protection des droits de l'homme ? Et encore des conventions multilatérales, bilatérales ? etc. L'Etude d'impact fait référence " à la bonne mise en œuvre des conventions " qui lient la France et le Maroc, " telles que la convention des Nations unies contre la...

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