Avis sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0269 du 18 novembre 2017
Date de publication18 novembre 2017
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000036039262


(Assemblée plénière - 6 juillet 2017 - Adoption : 25 voix « pour », 4 voix « contre », 2 abstentions)


« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre et finit par perdre les deux. »
Benjamin Franklin
1. Comme de nombreux pays, la France vit actuellement sous une menace terroriste de forte intensité. La CNCDH reconnaît qu'il est du devoir des pouvoirs publics de protéger la population et d'apporter des réponses concrètes et efficaces pour assurer sa sécurité. Toutefois, la CNCDH tient une nouvelle fois à rappeler solennellement que la restriction des libertés publiques fondamentales ne peut être la réponse au terrorisme. Bien au contraire, dans les multiples manifestations de leur émotion et de leur douleur, les citoyens français ont exprimé leur volonté de voir la République plus que jamais fière de ses valeurs et de ses libertés, sans en renier aucune. C'est pourquoi, la CNCDH, à l'occasion de l'examen du nouveau projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, déposé le 22 juin 2017 par le Gouvernement au Sénat, tient à rappeler son profond attachement aux principes fondamentaux de notre Etat de droit et, par conséquent, le caractère nécessairement exceptionnel et provisoire des dispositions relevant de l'état d'urgence. Si la CNCDH partage la volonté affichée de sortir de l'état d'urgence, annoncée solennellement par le Président devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017, elle s'inquiète de la forme prise par cette sortie, si celle-ci passe par l'inscription des mesures emblématiques de l'état d'urgence dans le droit commun.
2. Présenté en même temps que le sixième projet de loi de prorogation de l'état d'urgence, le projet de loi déposé le 22 juin 2017 au Sénat vise à « doter l'Etat de nouveaux instruments permanents de prévention et de lutte contre le terrorisme » à travers une énième réforme du droit. A titre préalable, la CNCDH ne peut, une fois de plus, que déplorer la prolifération de textes législatifs en matière de lutte contre le terrorisme, ainsi que rappeler l'importance de dispositifs de prévention et d'une politique pénale et de sécurité équilibrés, stables, lisibles et dotés de moyens humains et matériels suffisants. En outre, ainsi que le relevait très justement Guy Braibant, « les crises laissent derrière elles, comme une marée d'épais sédiments de pollution juridique », dès lors que des lois au caractère opportuniste survivent aux circonstances qui les ont fait naître (1).
3. Alors que les plus hautes instances françaises garantes de l'Etat de droit n'avaient admis les mesures d'exception de l'état d'urgence qu'en raison de leur caractère provisoire (2), alors que la commission des lois de l'Assemblée nationale, en charge du contrôle de l'état d'urgence (3), mais aussi certaines organisations de la société civile, avaient reconnu leur inutilité à long terme (4), le Gouvernement propose, à rebours de l'ensemble de ces mises en garde solennelles, ce qui s'apparente à une prolongation indéfinie de l'état d'urgence. Ce faisant, le Gouvernement passe outre ces mises en garde par une nouvelle réponse précipitée aux attentats terroristes. Des mesures prévues dans le cadre du régime dérogatoire de l'état d'urgence, conçu comme une suspension temporaire des droits et libertés garantis par la Constitution, se voient aggravées et pérennisées par leur inscription dans le droit ordinaire, affectant gravement le régime français des libertés et droits fondamentaux, issu d'une longue et progressive construction historique. Si la CNCDH note avec soulagement que le Gouvernement a pris en compte certaines préconisations émises par le Conseil d'Etat dans son avis du 15 juin 2017 (5), les quelques limites ainsi apportées par le projet de loi aux prérogatives exorbitantes reconnues aux autorités administratives dans le cadre de l'état d'urgence lui paraissent néanmoins insuffisantes.
4. La CNCDH tient à rappeler que sa mission est de favoriser le dialogue et les débats entre le Gouvernement, le Parlement, les institutions et la société civile dans le domaine des droits de l'homme ainsi qu'en matière de droit et d'action humanitaire et, qu'à ce titre elle se doit de : conseiller le Gouvernement et le Parlement sur des projets et propositions de loi. Fidèle à cette mission, la CNCDH a déjà souligné, à de multiples reprises, les dangers d'une normalisation de l'état d'urgence (6). Face à ce qui constitue une nouvelle étape dans l'affermissement de cette tendance, la CNCDH déplore de ne pas avoir été saisie par le Gouvernement, alors qu'une telle démarche se justifiait pleinement étant donné le caractère extrêmement sensible de la matière au regard de la protection des droits et libertés fondamentaux et, en conséquence, d'avoir été contrainte de s'autosaisir. En raison des délais extrêmement brefs dont elle dispose pour remplir de manière efficace sa mission consultative de gardienne des droits et libertés fondamentaux et de l'importance quantitative du projet de loi, la commission doit se contenter de formuler des commentaires et recommandations sur quelques articles seulement du projet de loi, essentiellement ceux qui pérennisent les principales mesures de l'état d'urgence par leur inscription dans le droit commun (7).
Des pouvoirs de police exorbitants :
5. Le droit français distingue traditionnellement la police administrative, définie par sa finalité préventive - assurer le maintien de l'ordre public, notamment à travers des activités de surveillance - de la police judiciaire, définie par sa finalité répressive - rechercher, poursuivre, et juger les auteurs d'infraction. C'est dans le cadre des procédures judiciaires, parce qu'elles ont une finalité répressive et...

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