Avis sur le projet de loi d'orientation et de programmation relatif à la politique de développement et de solidarité internationale

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0038 du 14 février 2014
Date de publication14 février 2014
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000028594834



(Assemblée plénière du 30 janvier 2014)


1. La CNCDH a été saisie pour avis, par le ministre délégué chargé du développement, du projet de loi d'orientation et de programmation relatif à la politique de développement et de solidarité internationale, tel que soumis à la délibération du conseil des ministres. Elle n'avait pas été associée aux réflexions récentes sur la politique française de développement, qui se sont notamment déroulées dans le cadre des Assises du développement, et qui ont précédé l'élaboration du projet de loi qui lui est aujourd'hui soumis. L'avis ci-contre se concentre sur les points essentiels au regard du mandat de la CNCDH dans le domaine des droits de l'homme et du droit humanitaire et n'a pas pour objet de commenter l'ensemble des dispositions et annexes du projet de loi.
2. La CNCDH rappelle que le droit au développement, pleinement consacré par la Déclaration de 1986 (1), fait partie intégrante des droits de l'homme et doit être respecté et mis en œuvre au même titre que tous les autres droits, en vertu des principes d'indivisibilité et d'interdépendance. Ce droit, qui est à la fois individuel et collectif, est intrinsèquement lié à la réalisation effective des droits de l'homme, qu'ils soient civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
3. Depuis la Conférence mondiale des droits de l'homme de Vienne de 1993, les Nations unies soulignent le lien étroit entre droits de l'homme, développement et paix (2). Plus récemment, la haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies a présenté un important rapport sur la place des droits de l'homme dans l'Agenda du développement post-2015 (3), dont il convient de tenir pleinement compte.


Nature et portée de la loi


4. La CNCDH salue l'initiative de ce projet de loi qui permet pour la première fois d'inscrire les orientations de la politique française en matière de développement dans la loi et qui participe à l'effort plus général de transparence sur l'utilisation des fonds publics (4). Elle constate cependant que celui-ci revêt une nature avant tout symbolique, présentant les « aspirations » de la politique de développement. S'il est admis que les lois d'orientation et de programmation « constituent une exception à l'exigence constitutionnelle de normativité », leur permettant de comporter des dispositions dépourvues de valeur normative, ces dispositions n'échappent toutefois pas toujours à la censure (5). Le Conseil constitutionnel a ainsi censuré une loi de programme contenant des « définitions non normatives » (6).
5. Par ailleurs, le projet de loi adopte à l'article 2 un rapport annexé qui détaille les objectifs et priorités, les principes, les leviers d'actions et les modes de financement de la politique de développement de la France. La CNCDH rappelle que le Conseil constitutionnel a estimé que les orientations présentées dans un rapport annexé à une loi sont dotées d'une valeur juridique sans pour autant détenir formellement une valeur normative (7). Il convient donc de limiter le contenu des annexes aux orientations ou éléments de programmation dans la mesure où, n'entraînant pas d'obligations précises, celles-ci sont difficilement applicables et invocables.
6. De manière générale, les dispositions législatives, quel que soit leur objet, doivent être rédigées de manière suffisamment précise et claire, ce qu'exigent les principes d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Or, à l'exemple de l'article 1er qui réunit des concepts et objectifs très divers, le projet de loi et le rapport annexé peinent à présenter de manière hiérarchisée et claire les grands axes de la politique de développement. Ainsi, les objectifs se mélangent aux principes et les domaines prioritaires aux questions transversales, tout en indiquant que « les actions en matière de gouvernance démocratique, droits de l'homme, égalité entre les femmes et les hommes et assistance technique seront, quant à elles, possibles dans l'ensemble des pays d'intervention ». Le projet de loi apparaît alors comme une énumération des activités de développement de la France sans véritable priorisation politique ni vision d'avenir.
7. Sur ce dernier aspect, la manière dont la politique de développement intégrera l'agenda du développement post-2015 et déclinera les Objectifs de développement durable (8) qu'il contiendra devrait être mentionnée. La CNCDH regrette que le projet de loi ne fasse pas état de cet agenda qui succédera aux objectifs du millénaire aujourd'hui dépassés. La position française sur ce sujet a fait l'objet d'un rapport récent, élaboré en concertation avec la société civile, qui pointe justement la nécessité de placer l'approche par les droits, la durabilité, le développement durable et l'égalité entre les hommes et les femmes au centre des politiques de développement à l'horizon post-2015 (9). Cette approche ― qui est aussi celle de la stratégie « Genre et développement » de la France (10) ― est insuffisamment reflétée dans le projet de loi.
8. De plus, le projet de loi évoque, sans distinction ni définition, les « pays pauvres », les « pays en développement », les « pays en crise », les termes « pauvreté », « pauvreté extrême » et « extrême pauvreté », ou encore, à la place de « droits de l'homme », les notions de « libertés fondamentales » ou de « principes et normes définis par la communauté internationale en matière de défense des droits de l'homme ». Il conviendrait d'utiliser ces notions de manière homogène et précise et de respecter le langage agréé en droit international et dans la sphère diplomatique. En outre, d'autres termes comme celui d'« opérateurs de l'expertise technique internationale » demandent également à être définis. Enfin, le texte devrait être plus rigoureux dans l'énumération et l'articulation des « valeurs », des « principes », des « normes », des « priorités » et des « objectifs ».


Pour une déclinaison opérationnelle des principes directeurs des Nations unies
sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme


9. Si la politique française de développement entend « participer à l'effort international de lutte contre la pauvreté extrême » (article 1er, paragraphe 2 du projet de loi), alors ce projet de loi devrait affirmer l'attachement de la France à la mise en œuvre des Principes directeurs sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, adoptés en 2012 par le Conseil des droits de l'homme, « accueillis avec satisfaction » par l'Assemblée générale des Nations unies et activement soutenus par la diplomatie française (11).
10. Ces Principes directeurs affirment de manière claire que les Etats ont «...

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