Avis sur la protection des biens culturels en période de conflit armé

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0166 du 21 juillet 2015
Date de publication21 juillet 2015
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000030911687


Assemblée plénière du 2 juillet 2015
(Adopté à l'unanimité)


1. Destructions de la vieille ville de Dubrovnik en Croatie en 1991 et 1992 (1), des Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan en 2001 (2), du Mausolée de Tombouctou au Mali en 2012 (3), des cathédrales de Bagdad en Irak en 2010 (4) et d'Alexandrie en Egypte en 2011 (5), des collections du musée de Mossoul et de la ville antique de Nimrud en Irak en février et mars 2015 (6), ou encore menaces qui pèsent actuellement sur la ville de Palmyre en Syrie etc., autant d'exemples qui démontrent l'importance de protéger les biens culturels et religieux dans les conflits armés actuels. Les biens culturels sont parfois détruits dans le cadre de bombardements aveugles mais sont également de plus en plus souvent délibérément visés en raison de ce qu'ils représentent. A travers leur destruction, « c'est l'identité [même] de l'adversaire, son histoire, sa culture et sa foi que l'on cherche à anéantir » (7). Au-delà, ce sont également les racines communes de l'humanité et son patrimoine historique qui sont attaqués, « les attaques commises contre le patrimoine culturel de tout pays [devant être considérées comme] des attaques commises contre le patrimoine commun de l'humanité toute entière » (8). Les Etats, réunis au sein de l'Assemblée générale des Nations unies, ont récemment affirmé « que la destruction du patrimoine culturel, qui est une manifestation de la diversité de la culture humaine, efface la mémoire collective d'une nation, déstabilise les populations et fragilise leur identité culturelle » et souligné « l'importance de la diversité et du pluralisme culturels ainsi que de la liberté de religion et de conviction, pour la paix, la stabilité, la réconciliation et la cohésion sociale » (9). La préservation des biens culturels, en ce qu'elle promeut la diversité culturelle, est donc dorénavant reconnue comme un facteur de paix.
2. Face à ces événements, qualifiés de « nettoyage culturel » par la directrice générale de l'UNESCO (10), la communauté internationale a décidé de réagir sous diverses formes et à différents niveaux afin de protéger plus efficacement le patrimoine culturel dans les conflits armés actuels. Le Conseil de sécurité des Nations unies a ainsi intégré la protection du patrimoine culturel au mandat de la mission de maintien de la paix au Mali (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali - MINUSMA) (11) et a dernièrement adopté une résolution condamnant « les destructions du patrimoine culturel irakien et syrien », qui, en l'espèce, a pour objectif de générer des revenus, destinés à financer des actions en matière de terrorisme (12). Comme précédemment évoqué, l'Assemblée générale des Nations unies a récemment adopté une résolution portant sur la sauvegarde du patrimoine culturel de l'Irak dans laquelle elle se dit « profondément indignée par les actes de destruction et de pillage auxquels se livre l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL), également appelé Daech, qui visent le patrimoine culturel de l'Irak, berceau de la civilisation mésopotamienne, dans ses musées, bibliothèques, archives et sites archéologiques, lieux de culte, y compris les mosquées, lieux saints et églises, ainsi que les objets religieux et culturels, infligeant ainsi des pertes irréparables à l'Irak et à l'humanité tout entière » (13). Elle appelle par cette résolution tous les Etats à soutenir les actions de sauvegarde du patrimoine en Irak menées par les autorités irakiennes et l'UNESCO.
3. L'UNESCO a, pour sa part, défini une nouvelle série de propositions stratégiques concrètes visant à réagir à la menace posée par l'Etat islamique à l'encontre des biens culturels (14). Elle a, en outre, mis en place, en partenariat avec l'Union européenne, un observatoire du patrimoine culturel syrien qui rassemble l'ensemble des données pertinentes sur l'état de conservation de ce patrimoine, et ce en vue d'anticiper la reconstruction post-conflit (15).
4. Enfin, Interpol s'est saisi de la question, sous l'angle spécifique des vols et trafics de biens culturels (16). Plusieurs initiatives ont été prises dans ce domaine, sous l'égide de l'UNESCO permettant ainsi de mener des missions d'évaluations, des formations et un échange d'informations. Interpol a notamment participé à la protection des sites culturels maliens, a apporté son soutien et son assistance à des pays confrontés à des situations de conflits comme ce fut le cas pour le trafic illicite des biens culturels après les crises survenues en Irak, en Egypte, en Libye et en Syrie. Interpol a également consacré deux colloques récents à la protection des biens culturels dans les situations de crise et de conflit (17).
5. Ces initiatives viennent compléter utilement le dispositif juridique mis en place à partir du début du XXe siècle, et renforcé ensuite, en réaction aux spoliations et aux destructions successives des biens culturels. Ce dispositif résulte d'une prise de conscience progressive de la communauté internationale sur le fait que la protection des biens culturels est liée à la protection de la population civile et doit faire partie intégrante de la réponse juridique, politique et humanitaire aux conflits en vue d'une paix durable.
6. Les règlements annexés aux Conventions de La Haye concernant les lois et les coutumes de la guerre sur terre de 1899 et 1907 protégeaient déjà les lieux cultuels des conséquences des conflits armés (18).
7. La Convention de La Haye et son premier Protocole additionnel, adoptés le 14 mai 1954, constituent les premiers instruments internationaux spécifiquement dédiés à la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Ils prévoient des mesures de sauvegarde, à prendre en temps de paix, ainsi que des dispositions visant au respect des biens culturels en temps de conflit armé. Ainsi, les biens culturels, à l'instar de leurs dispositifs de protection et de leurs abords immédiats, ne doivent pas être utilisés « à des fins qui pourraient exposer ces biens à une destruction ou à une détérioration en cas de conflit armé » et doivent être protégés contre tout acte d'hostilité. Il ne peut être dérogé à ces obligations, sauf « dans les cas où une nécessité militaire l'exige, d'une manière impérative » (article 4, §1 et §2, de la Convention). En outre, la Convention met en place un régime de protection spéciale pour certains biens culturels immeubles « de très haute importance » (articles 8 à 11). Ces deux instruments ont été ratifiés par la France le 7 juin 1957.
8. La Convention de La Haye pose, en son article 1er, une définition des biens culturels qui désignent, « quels que soient leur origine ou leur propriétaire :
a) Les biens, meubles ou immeubles, qui présentent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples, tels que les monuments d'architecture, d'art ou d'histoire, religieux ou laïques, les sites archéologiques, les ensembles de constructions qui, en tant que tels, présentent un intérêt historique ou artistique, les œuvres d'art, les manuscrits, livres et autres objets d'intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collections scientifiques et les collections importantes de livres, d'archives ou de reproductions des biens définis ci-dessus ;
b) Les édifices dont la destination principale et effective est de conserver ou d'exposer les biens culturels meubles définis à l'alinéa a, tels que les musées, les grandes bibliothèques, les dépôts d'archives, ainsi que les refuges destinés à abriter, en cas de conflit armé, les biens culturels meubles définis à l'alinéa a;
c) Les centres comprenant un nombre considérable de biens culturels qui sont définis aux alinéas a et b, dits “centres monumentaux”.
9. Les deux Protocoles du 8 juin 1977, additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949, ratifiés par la France, complètent ce dispositif en interdisant « la destruction et l'appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires […] tels que les monuments historiques, les œuvres d'art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples ; de les utiliser à l'appui de l'effort militaire et d'en faire l'objet de représailles » (article 53 du 1er Protocole relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux) ou en interdisant « de commettre tout acte d'hostilité dirigé contre les monuments historiques, les œuvres d'art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples et de les utiliser à l'appui de l'effort militaire » (article 16 du 2e Protocole relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux).
10. La recrudescence des destructions des biens culturels pendant les conflits armés des années 90 a révélé les faiblesses de ces instruments. Leurs dispositions ont alors été complétées par un second Protocole à la Convention de La Haye, adopté le 26 mars 1999, qui...

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