Avis sur la question pénitentiaire dans les outre-mer

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0138 du 14 juin 2017
Record NumberJORFTEXT000034921230
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication14 juin 2017

(Assemblée plénière - 18 mai 2017 - Adoption : unanimité)

" Derrière les hauts murs, c'est un monde de souffrance, un lieu de douleur. "
Robert Badinter
1. Dans son étude sur l'effectivité des droits de l'homme Outre-mer, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) ne pouvait pas faire l'impasse sur la question pénitentiaire et ses spécificités dans les territoires ultra-marins au regard de l'accès aux droits fondamentaux. Quelle que soit la situation institutionnelle propre à chacun des douze territoires ultra marins, la justice et l'administration pénitentiaire, compétences régaliennes, relèvent de la République française, avec cependant des ajustements législatifs et réglementaires pour telle ou telle collectivité.
2. Dans l'avant-propos de son livre " Punir, une passion contemporaine ", Didier Fassin rappelle que " La France traverse la période la plus répressive de son histoire récente en temps de paix. Si l'on fait exception, en effet, des années qui ont immédiatement suivi la Seconde guerre mondiale, jamais autant d'hommes et de femmes n'y ont été emprisonnés. En un peu plus de soixante ans, la démographie carcérale a été multipliée par trois et demi. On comptait 20 000 détenus en 1955, 43 000 en 1985, 66 000 en 2015 " (1). En mars 2017, le chiffre est de 69 430 détenus, dont 5204 dans les établissements ultra-marins. Le 1er avril 2017, la barre des 70 000 est dépassée (2).
3. Sur ce sujet douloureux de la peine de prison, le nombre de rapports parlementaires nationaux est considérable (3), qu'il s'agisse de la surpopulation pénale et de ses conséquences en termes de respect de la dignité humaine ou qu'il s'agisse de l'accès à des droits fondamentaux, comme le droit à la santé (4) ou l'accès au travail ou à la formation professionnelle, par exemple. Plus généralement, le respect des droits fondamentaux des détenus en métropole, mais plus encore dans les territoires d'Outre-mer, demeure très en deçà de ce que l'on doit attendre de notre pays.
4. Les recommandations des organes des traités, ou du Comité des droits de l'homme des Nations unies, ne cessent de rappeler la France à sa responsabilité pour de graves manquements. Ainsi dans le 7e rapport périodique de la France, le 10 juin 2016 (5), le Comité exprime son inquiétude sur la surpopulation carcérale : " tout en notant les mesures prises par l'Etat partie, le Comité est préoccupé par le taux très élevé de surpopulation carcérale illustrée par un taux de remplissage de 116 % en 2014, et même au-delà dans certaines prisons telles que celles de Marseille (147 %) et de Nîmes (219 %), de même qu'en Polynésie (294 % (6). Le Comité déplore également les conditions matérielles inadéquates de détention qui prévalent dans certains établissements, notamment la vétusté et l'absence d'hygiène et de salubrité. Il est aussi préoccupé par la persistance de la violence entre détenus ainsi que par les allégations de mauvais traitements par le personnel pénitentiaire. Le Comité est enfin préoccupé par les difficultés rencontrées par certains détenus pour porter plainte contre ces violences, soit auprès des autorités administratives ou judiciaires, soit auprès du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (art. 11, 16). Le Comité recommande à l'Etat partie de poursuivre ses efforts pour améliorer d'urgence les conditions de détention en tenant compte des recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et notamment : a) de réduire de manière soutenue la surpopulation carcérale, en particulier par un recours accru à des peines de substitution à la privation de liberté, conformément aux Règles minima des Nations unies pour l'élaboration de mesures non privatives de liberté (Règle de Tokyo) et aux Règles des Nations unies concernant le traitement des détenues et l'imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) ; b) d'améliorer les conditions matérielles de détention ; c) de s'assurer que les faits de violence dans les établissements pénitentiaires sont portés à la connaissance des autorités compétentes et que des enquêtes approfondies et impartiales sont menées sur ces actes de violence ; d) de renforcer son Plan d'action national de lutte contre les phénomènes de violence en prison ; e) et de s'assurer que les détenus peuvent porter plainte sans peur de représailles, notamment auprès du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ".
5. L'avis de la CNCDH sur la question pénitentiaire dans les Outre-mer ne peut embrasser tous les sujets spécifiques ou plutôt à l'acuité particulière dans un certain nombre d'établissements ultra-marins, mais il est apparu indispensable, au vu des auditions auxquelles nous avons procédé et des visites que nous avons pu effectuer, de retenir deux focus : en premier lieu, celui précisément de la surpopulation carcérale et de ses incidences (I), et, en second lieu, celui de l'accès au travail et à la formation professionnelle, particulièrement défaillant outre-mer pour des raisons qui ne tiennent pas seulement à la situation économique locale (II). En effet, la surpopulation pénale est le plus sérieux problème commun aux établissements pénitentiaires d'Outre-mer, l'accès au travail et la formation professionnelle le suivant de près.

I. - La surpopulation carcérale et ses incidences

6. Peu après sa nomination comme garde des Sceaux, Christiane Taubira mettait en place une conférence de consensus sur la prévention de la récidive ; le 20 février 2013, les douze recommandations de la conférence de consensus furent rendues publiques (7). La première de ces recommandations mérite d'être rappelée : " Le jury de la conférence de consensus considère, de manière générale, que la sanction doit prioritairement se traduire par une peine qui vise l'insertion ou la réinsertion des personnes qui ont commis une infraction. Il recommande de concevoir la peine de prison non plus comme une peine de référence, mais comme une peine parmi d'autres. " Cette préconisation légitime et légale, si peu suivie d'effet, doit être mise en parallèle avec la première recommandation de la commission du Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire, installée par le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, le 24 janvier 2017, peu après son entrée au gouvernement. Les propositions de la commission ont été rendues publiques le 4 avril 2017 (8). La première proposition est ainsi rédigée : " Dynamiser la recherche d'alternatives à l'incarcération pour les personnes prévenues, ainsi que les aménagements de peine pour les personnes condamnées. De plus, réguler les flux d'incarcération d'orientation et d'affectation des condamnés afin de respecter strictement les capacités d'accueil des nouveaux établissements et d'accompagner la résorption de la surpopulation dans les établissements existants ". Paradoxalement le rapport en son entier est ensuite consacré à la construction d'établissements pénitentiaires (9) sans recommandations précises pour développer les alternatives à la détention provisoire et aux courtes peines d'emprisonnement, ce que regrette vivement la CNCDH.
7. Trois jours avant la remise du rapport, le 31 mars 2017, le directeur de l'administration pénitentiaire (38 000 agents) démissionnait. Cette démission sonnait comme un désaveu de l'incapacité des pouvoirs publics à répondre à la surpopulation carcérale en métropole et dans les Outre-mer. Comme l'observent le Conseil de l'Europe et bien d'autres institutions internationales ou nationales, la question de la surpopulation pénale ne peut pas être résolue par la seule construction de nouvelles places de prison (10).
Après avoir dressé un constat alarmant (A), on fera état des recours fondés sur la surpopulation pénale et l'atteinte au principe de dignité (B).

A. - Un constat alarmant

8. Au mois de mars 2017, 69 430 personnes étaient détenues en France, nouveau record, dont 5 204 personnes sous écrou dans les Outre-mer, réparties dans les 15 établissements des collectivités ou départements d'Outre-mer relevant de la Mission Outre-mer de l'administration pénitentiaire (11). Sur ces 5 204 détenus, 186 sont des femmes et 101 des mineurs (12). Sachant que le nombre total de places est dans ces quinze établissements de 4 065, le taux de surpopulation moyen est de 128 %, avec de très grosses variations selon les établissements. En effet, trois centres de détention ne sont pas en surpopulation, celui du Port (88 %), et celui de Saint-Denis (96 %), l'un et l'autre à la Réunion, ainsi que celui de Saint-Pierre et Miquelon (45 %). Deux petites maisons d'arrêts en Polynésie, dont l'une aux îles Marquises, ne sont pas non plus en sureffectif, la maison d'arrêt d'Uturoa-Raiatea (60 %, 20 places) et celle de Taiohea (60 %, 5 places).
Les tableaux ci-dessous exposent la situation. Le premier tableau rend compte de la population pénale par établissement pénitentiaire ultramarin. Si le nombre de femmes et de mineurs détenus semble relativement faible, leurs conditions d'incarcération sont loin de répondre aux spécificités exigées par la loi.
Le deuxième tableau présente le pourcentage de prévenus et de condamnés, en 2015 et 2016, pour les principaux établissements pénitentiaires des Outre-mer. Le troisième tableau isole, pour certains territoires en 2013, les personnes sous écrou ayant bénéficié d'un aménagement de peine.
De façon générale, la surpopulation pénale est saisissante. A la différence de la métropole, elle touche et les maisons d'arrêt et les établissements pour moyenne et longue peine dans les Outre-mer, à l'exception de la Réunion. Concernant le rapport entre les prévenus et les condamnés, on peut observer que les deux établissements pénitentiaires où le taux de prévenus est particulièrement important, sont ceux de Guyane et de Mayotte, territoires où les étrangers en situation irrégulière sont nombreux (pour la Guyane, beaucoup de prévenus sont originaires du Brésil, du Surinam, du Guyana ; pour Mayotte, les étrangers sont...

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