Avis sur le régime d'asile européen commun

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0287 du 11 décembre 2013
Record NumberJORFTEXT000028313286
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication11 décembre 2013



(Assemblée plénière du 28 novembre 2013)


1. A la suite de l'adoption par le Conseil européen du programme de Stockholm, le traité de Lisbonne a confié à l'Union européenne (UE) la tâche de développer « une politique commune en matière d'asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d'un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement » (article 63.1) (1). Après cinq années de négociations, le conseil de l'UE (Justice et affaires intérieures) et le Parlement ont adopté en juin 2013 les textes révisés des directives « Accueil » et « Procédures » devant être transposées d'ici à juillet 2015 (2), du règlement « Dublin III » directement applicable à compter de janvier 2014 (3) et du règlement « Eurodac » directement applicable à compter de juillet 2015 (4). La refonte de la directive « Qualification » avait eu lieu en 2011, le délai de transposition étant fixé au 21 décembre 2013 (5).
2. Le 16 juillet 2013, le ministre de l'intérieur a initié une concertation nationale sur la réforme du droit d'asile. Un projet de loi est annoncé pour la fin de l'année.
3. La forte médiatisation d'affaires relatives à des étrangers déboutés de leur demande d'asile conjuguée à la survenance récente d'événements tragiques aux frontières de l'espace Schengen laissent craindre que les pouvoirs publics ne soient tentés, dans le cadre de la politique de contrôle des flux migratoires, de prendre des mesures de plus en plus restrictives concernant l'exercice du droit d'asile à l'occasion de la préparation de la réforme.
4. En effet, la prolifération de discours sécuritaires « affolant » l'opinion publique risque d'entraîner un repli identitaire, voire xénophobe, qui ne pourra que porter préjudice à l'exercice du droit d'asile en provoquant un climat de suspicion généralisée à l'encontre de ceux qui sollicitent une protection internationale. Dans ce contexte, les craintes exprimées d'afflux massif doivent être ramenées à de plus justes proportions. A cet égard, la CNCDH tient à rappeler que le nombre de demandeurs d'asile au sein de l'Union européenne (à peine supérieur à 330 000 en 2012, selon Eurostat) reste dérisoire au regard de la population et de la puissance économique des pays composant l'Union (6).
5. S'agissant de la France, il convient de souligner, pour savoir raison garder, la relative stabilité du nombre des bénéficiaires d'une protection internationale au titre de l'asile, soit 176 984 personnes en 2012 (rapport OFPRA 2013), qui reste très inférieur au nombre des bénéficiaires de cette protection en 1953 (224 829 réfugiés reconnus) et comparable à celui de 1993 (165 531 réfugiés, source OFPRA). Si ces chiffres démentent la réalité d'un afflux massif, il faut rappeler que le souci de répondre à un tel afflux est déjà pris en compte par le droit de l'Union qui a institué une protection temporaire (7), procédure restée jusqu'à ce jour inappliquée (8).
6. A cette occasion, il est de la responsabilité de la CNCDH de rappeler les grands principes gouvernant le droit d'asile, dont la protection est d'abord conventionnelle. Elle découle de la convention de Genève sur les réfugiés du 28 juillet 1951 qui, sans exiger des Etats l'octroi d'un asile aux réfugiés, leur impose une double obligation, d'une part, de non-refoulement vers un pays où leur vie ou leur liberté serait menacée pour l'un des motifs de la convention (article 33-1), d'autre part, d'immunité pénale pour leur entrée au séjour irrégulier (article 31-1), qui constitue les principes cardinaux du droit des réfugiés (9). L'on doit à la Charte des droits fondamentaux de l'UE d'avoir consacré le « droit d'asile » en tant que droit fondamental en l'amarrant à la convention de Genève et au traité instituant la Communauté européenne (article 18). Le droit dérivé de l'Union a quant à lui reconnu un « droit à l'asile » tant aux réfugiés qu'aux bénéficiaires de la protection subsidiaire (article 24 de la directive « Qualification »).
7. La protection de ce droit est ensuite nationale, puisque le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, intégré dans le bloc de constitutionnalité, reconnaît un droit d'asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté. En outre, « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif » (article 53-1 de la Constitution de 1958). Le Conseil constitutionnel a reconnu au droit d'asile la nature de « droit fondamental » et de « principe de valeur constitutionnelle » (10). Le Conseil d'Etat en a affirmé le caractère de « droit constitutionnel » et de « liberté fondamentale » au sens de l'article L. 521-2 du CJA (11).
8. Le caractère de « droit fondamental » du droit d'asile interdit en premier lieu de confondre les questions d'asile et d'immigration : l'asile ne saurait, parce qu'il est un droit, être soumis aux vicissitudes de la politique de l'immigration. A cet égard, la CNCDH entend réaffirmer qu'une véritable politique de l'asile ne peut tolérer une approche purement quantitative et économique mettant en exergue la hausse du nombre de demandeurs et l'accroissement des coûts. Réduire la question de l'asile à un problème de gestion des flux ou de réduction des coûts est inacceptable dès lors qu'est en cause l'exercice d'un droit fondamental (12).
9. En second lieu, le caractère de « droit fondamental » du droit d'asile impose au législateur de ne pas adopter des dispositions qui en affectent le contenu essentiel et ne l'autorise pas à apporter à ce droit, comme d'ailleurs à tout autre droit fondamental, d'autres limitations que celles qui, dans le respect du principe de proportionnalité, sont « nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union européenne ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui » (article 52-1 de la Charte des droits fondamentaux). Par ailleurs, la clause passerelle de l'article 52-3 de la Charte des droits fondamentaux, qui impose de donner à ceux des droits fondamentaux correspondant à des droits conventionnels, le sens et la portée que leur confère la convention européenne, interdit aux Etats de prendre toute mesure en matière d'asile qui limiterait des droits intangibles (13). Les Etats sont par ailleurs libres d'offrir une protection plus étendue que celle résultant du droit de l'UE (14), pourvu qu'elle soit compatible avec lui. Ils doivent, comme l'UE, faire prévaloir une interprétation de la Charte protectrice des droits et libertés qu'elle énonce ainsi que de ceux des conventions internationales auxquelles ils sont parties, comme la convention de Genève et la Convention européenne des droits de l'homme (article 53 de la Charte des droits fondamentaux).
10. Contre une compréhension trop hâtive de l'exigence de transposition des directives, s'il devait s'avérer que certaines dispositions ne respectent pas les droits fondamentaux, dont le droit d'asile, protégés au plus haut niveau, la CNCDH rappelle qu'à la vigilance classique de la Cour européenne des droits de l'homme s'ajoute désormais le contrôle de la Cour de justice de l'UE précisément appelée à s'assurer de la conformité de ce droit dérivé avec la Charte des droits fondamentaux (15) et partant avec la convention de Genève dont elle devient ainsi l'interprète.
11. Enfin, la CNCDH se montre très préoccupée par la complexification croissante de la législation relative au droit d'asile. Il en résulte un droit extrêmement touffu et peu lisible, auquel, à l'exception de spécialistes, peu de personnes et surtout pas les principaux intéressés ont la possibilité d'accéder. Il convient au demeurant de rappeler que le rapport Mazeaud, sollicité par le Président de la République pour réfléchir à l'amélioration de la procédure d'asile, a considéré qu'une modification du contentieux ne serait pas pertinente, mais que en revanche, il convenait d'améliorer, le plus en amont possible, la procédure administrative (16).
12. Cette complexification découle en grande partie de l'extrême segmentation des problématiques lors des dernières réformes intervenues en la matière. La CNCDH s'inquiète à cet égard des conditions d'élaboration du droit de l'Union et de la transposition des directives qui ne lui permettent pas d'exercer sa mission suffisamment en amont. Ainsi, la directive « Qualification », adoptée en 2011, risque d'être transposée avant la fin de cette année indépendamment du reste du « paquet asile », par voie d'ordonnance et sans que la CNCDH ait été mise à même de rendre un avis. Dans ce contexte, elle tient, au-delà de certaines avancées de cette nouvelle directive qu'elle se doit de saluer, à rappeler les réserves déjà exprimées à propos d'un certain nombre de notions et dispositions introduites en 2004 dans la première directive « Qualification » (17) et reprises dans cette directive de 2011, qu'il s'agisse notamment de la notion d'agent de protection, d'asile interne (18), de certaines clauses de révocation ou de non-renouvellement du statut de réfugié (19) ou d'exclusion (20) contraires à la convention de Genève, ou encore du principe d'une protection à deux niveaux (réfugié et protection subsidiaire [21]). Elle déplore également que la directive « Qualification » soit si peu contraignante concernant le maintien de l'unité familiale (article 23). Il importe donc que le législateur engage au plus vite une réforme de la procédure de réunification familiale, et ce, d'autant plus que des obstacles pratiques en entravent l'exercice de manière récurrente (22).
13. Dans ces conditions, la CNCDH ne peut que souhaiter une réforme d'envergure traduisant une vision politique d'ensemble et garantissant notamment aux demandeurs d'asile leur droit :
― à un accès effectif à la procédure d'asile (I) ;
― au...

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