Avis sur le respect des droits fondamentaux des populations vivant en bidonvilles

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0034 du 10 février 2015
Date de publication10 février 2015
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000030214006


Mettre fin à la violation des droits
(Assemblée plénière du 20 novembre 2014)
(Adoption à l'unanimité)


Alors que l'année 2012 avait suscité un regain d'espoir quant au respect des droits fondamentaux des populations vivant en bidonvilles, illustré notamment par la circulaire interministérielle du 26 août 2012, il est nécessaire de constater deux ans après que l'on est encore très loin du « traitement égal et digne de toute personne en situation de détresse sociale » appelé dans son préambule.
La CNCDH s'est saisie de la question du respect des droits fondamentaux des populations vivant en bidonvilles, alertée par le nombre d'évacuations sans précédent enregistrées au cours de la dernière année. La commission dénonce l'application partielle et hétérogène sur le territoire de cette circulaire - dont le volet répressif a supplanté les actions d'insertion et d'accompagnement social - et estime qu'on ne peut construire une politique sur la violation des droits.
Ces évacuations forcées contraignent ces personnes à l'errance et rendent impossible l'accès aux droits fondamentaux. Elles illustrent par ailleurs une volonté répressive guidée par une acceptation grandissante des attitudes racistes et discriminantes à l'égard des populations roms migrantes vivant en bidonville. Ces dernières sont présentées trop fréquemment comme un « groupe à part », associé à l'insalubrité, à la délinquance et aux expédients, et ne souhaitant pas s'intégrer.
L'accès au droit commun des populations vivant en bidonvilles prime sur toute autre considération et relève de deux conditions préalables :


- dans l'urgence, la commission recommande l'arrêt immédiat des évacuations de bidonvilles sans que des solutions de relogement et d'accompagnement dignes, adaptées et pérennes soient proposées aux familles ;
- à moyen et long terme, la commission appelle à une stratégie de sensibilisation et de lutte contre un racisme « anti-Roms » prégnant dans l'ensemble de la société, condition incontournable à une politique d'Etat humaine et cohérente.


A cet égard, la CNCDH recommande la mise en place de dispositifs effectifs de domiciliation pour les populations vivant en bidonvilles, condition préalable à l'accès au panel des droits sociaux garantis en France.
La commission recommande que tombent les obstacles illégaux qui font barrage au respect effectif du droit à la scolarisation des enfants vivant en bidonville, scolarisation d'autant plus nécessaire qu'elle limite les risques encourus par une population jeune et rendue vulnérable par ses conditions de vie.
La CNCDH appelle au soutien des services de protection de l'enfance auprès d'une population encore trop méconnue. L'attention portée aux phénomènes de délinquance dissimule la vraie problématique de l'exploitation des mineurs et des réseaux de traite dont ces enfants sont avant tout victimes.
La CNCDH recommande la suppression des entraves à l'accès aux soins et aux prestations sociales entretenues par certains organismes sociaux ainsi que la systématisation des dispositifs de médiation sanitaires.
Dans le cadre de la fin des mesures transitoires, la CNCDH appelle à une clarification des conditions d'accès aux prestations pour demandeurs d'emploi (tant auprès de la population qu'auprès des services concernés) ainsi qu'à l'accès effectif à l'ensemble des dispositifs d'insertion professionnelle.
Enfin, en matière de liberté de circulation et de droit au séjour, la CNCDH recommande le plein respect du droit européen.


1. L'évacuation le 21 octobre 2014 du bidonville dit des Coquetiers, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), qui accueillait encore récemment quelque 300 habitants, dont une majorité d'enfants scolarisés, a suscité une vive émotion parmi les défenseurs des droits de l'homme. L'évacuation d'un lieu de vie considéré comme l'un des plus anciens bidonvilles de ce genre, s'est faite dans une précipitation qui a rendu, inopérante les propositions de relogement proposées à certaines familles et a laissé d'autres sans solution, au mépris du caractère inconditionnel du droit à l'hébergement. Ainsi, à la veille de l'hiver, des hommes, des femmes et des enfants se sont retrouvés à la rue, dans une précarité toujours plus grande (1). La légalité même de cette évacuation est mise en doute : la mairie de Bobigny a en effet pris un arrêté d'évacuation du bidonville au mépris de la décision du 2 juillet 2014 du juge des référés de Bobigny motivée par le respect des droits fondamentaux au logement et à une vie familiale (2) reconnus par la CEDH dans son arrêt Winterstein contre France (3). La détermination politique semble sans faille lorsqu'il s'agit de démanteler des bidonvilles : peu importe qu'aucune solution globale et sérieuse de relogement ne soit prévue, que les motifs invoqués - insalubrité, présence de déchets, risques d'incendie - soient liés au refus de la mairie de respecter ses obligations en matière d'assainissement et qu'ils n'aient pas été retenus par le juge des référés de Bobigny. On ne peut accepter que des familles soient chassées de leur lieu de vie sans solution, et qu'elles se trouvent contraintes à s'installer ailleurs, dans des conditions qui ne sont pas meilleures, voire pires.
2. La CNCDH souhaite, à travers ce nouvel avis, appeler à l'application du droit commun en faveur de tous, les populations vivant en bidonvilles y compris. Le respect des droits fondamentaux de ces populations n'est ni optionnel, ni œuvre de charité. Ces droits découlent des normes internationales (4) et internes auxquelles la France s'est obligée et qui nécessiteraient que soit mise en œuvre une politique publique volontariste et cohérente, à commencer par un travail de lutte contre le racisme, les préjugés et les discriminations et par l'arrêt immédiat des évacuations sans solution adaptée et pérenne de relogement, d'une part, et d'accompagnement vers l'accès aux droits, d'autre part.
3. Le titre de l'avis retenu par la CNCDH relève de cette attention particulière portée à l'accès au droit des personnes en situation de grande précarité. L'utilisation d'une référence terminologique aux « populations vivant en bidonvilles » par la CNCDH procède ainsi d'une volonté de défendre l'accès au droit commun des personnes directement visées par la politique nationale d'évacuation des bidonvilles. Dans le cadre de cet avis, la dénomination « populations vivant en bidonvilles » désigne les populations migrantes contraintes à vivre dans ce type d'habitat indigne se reconnaissant ou non comme Roms. Ces populations demeurent encore à ce jour les victimes d'une violation banalisée, et parfois délibérée, de leurs droits. La CNCDH entend souligner que la référence au terme de « Roms » comporte un risque de catégorisation, et qu'au motif légitime de lutter contre les discriminations dont ces populations sont victimes on risque de les assigner à des identités homogènes et prédéterminées, sans aborder les problématiques dans toute leur diversité. Cependant, si la terminologie de « populations vivant en bidonville » est défendue par la CNCDH dans le cas d'une violation répétée des droits (indépendamment de l'identité ethnique ou culturelle), le terme de « Roms » demeure approprié quand l'exclusion de ces populations est abordée sous le prisme de l'intolérance, du racisme et des discriminations.
4. On qualifie ainsi de « Roms migrants » en France les personnes vivant sur le territoire national, venant essentiellement des pays d'Europe centrale et orientale (majoritairement de Roumanie [5], mais également de Bulgarie et de pays d'ex-Yougoslavie), se reconnaissant comme Roms. Les observations des associations et des services administratifs en contact avec les populations vivant en bidonville conduisent à estimer qu'elles représentent 15 000 à 20 000 personnes en France (soit 0,03 % de la population française) : un chiffre stable depuis une décennie (6). Cette migration est avant tout familiale, essentiellement économique, mais aussi le résultat de discriminations ethniques subies dans leur pays d'origine, et caractérisée par une grande proportion d'enfants qui représentent près d'un quart d'une population vivant en grande précarité (7).
5. La CNCDH s'est déjà par le passé fait l'écho de la vulnérabilité et de l'instabilité dont sont victimes les populations vivant en bidonvilles en France. En 2008, elle interpellait déjà le Gouvernement sur le difficile, voire impossible, accès au droit commun des populations Roms et des « gens du voyage » (8). A la suite de l'interpellation de la France par les instances internationales, la CNCDH dénonçait dans son avis de 2012 les manquements au respect des droits fondamentaux des « gens du voyage » et des Roms migrants (9). Enfin, la commission dressait en 2013 un bilan négatif de la mise en œuvre de la circulaire du 26 août 2012, alors qu'elle avait pourtant été saluée par les associations de défense des droits de l'homme, dans la mesure où elle illustrait un changement de discours de la part des autorités (10). La CNCDH se doit de faire le constat de la quasi-absence d'avancées concrètes face aux recommandations émises ces dernières années.
6. A la différence de ses dernières recommandations de juillet 2013 (11), la commission a fait le choix, dans cet avis, de se détacher de la mise en œuvre de la circulaire interministérielle du 26 août 2012 afin de concentrer ses efforts sur la véritable problématique, celle de l'accès aux droits. Cet avis n'a donc pas pour but de dresser un bilan de la mise en œuvre effective de la circulaire, laquelle se limite dans son application à une justification de pure forme d'une politique par ailleurs répressive et axée sur les « campements illicites ». Dans les faits, les évacuations de bidonvilles sans solution pérenne de relogement et d'accompagnement se sont multipliées en France depuis son entrée en vigueur (12). Ainsi, à une politique d'intégration, c'est une politique d'évacuation qui a été privilégiée, faisant fi des situations humaines tragiques et institutionnalisant...

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