Avis sur le respect et la protection des travailleurs humanitaires

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0136 du 14 juin 2014
Record NumberJORFTEXT000029075453
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication14 juin 2014



(Assemblée plénière - 22 mai 2014)


1. Alertée par plusieurs événements dramatiques, dont l'assassinat de 17 employés locaux d'Action contre la faim à Muttur au Sri Lanka en 2006 (1), la CNCDH avait adopté le 17 janvier 2008 un avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire. Dans cet avis, la CNCDH rappelait le cadre juridique et formulait des recommandations, dont certaines ont été mises en œuvre (par exemple, l'adaptation du droit pénal français au statut de la Cour pénale internationale), tandis que d'autres demeurent pertinentes et seront rappelées à l'appui des observations et recommandations formulées ci-dessous. En dépit de quelques avancées dans l'affaire précise de Muttur (2), advenues notamment grâce à la persévérance de la France, la situation globale du personnel humanitaire et sa protection continuent de poser problème.
2. En effet, les actes de violence visant le personnel humanitaire se sont multipliés ces dix dernières années (3). Les Nations unies ont récemment exprimé leur grave préoccupation face à « la forte et constante augmentation des enlèvements en 2012 et durant le 1er semestre 2013 » et déploré « avec force le fait que le personnel [humanitaire] soit délibérément pris pour cible et subisse des pertes lorsqu'il intervient dans des contextes d'urgence humanitaire complexes, en particulier durant les conflits armés et dans les situations d'après-conflit » (4). Les attaques n'épargnent pas les secours prodigués en cas de catastrophes naturelles, ni les acteurs qui s'emploient à la consolidation de la paix et au rétablissement de la cohésion sociale. Aujourd'hui, on relève même une menace grandissante pesant sur les soins de santé, qui a conduit le CICR à lancer une campagne mondiale, Halte à la violence contre les soins de santé (5).
3. A travers la dégradation des conditions d'intervention du personnel humanitaire, c'est l'effectivité même de l'action humanitaire qui peut être compromise. Les actes hostiles contre le personnel humanitaire constituent des obstacles majeurs à l'accès, d'une part, des humanitaires aux populations et, d'autre part, des populations aux secours et à la protection que leur garantit le droit international humanitaire. Le plus souvent, de tels actes remettent en cause la présence et l'action des organisations humanitaires dans des zones particulièrement sensibles.
4. C'est pourquoi la CNCDH formule aujourd'hui un avis approfondi et enrichi par la prise en compte des événements et des documents ayant marqué les six années écoulées. Au préalable, la CNCDH souhaite formuler trois observations liminaires.
5. D'une part, elle souligne l'importance de l'action humanitaire, qui permet, dans des situations extrêmes de conflits armés, de violences ou de catastrophes naturelles, de répondre aux besoins vitaux de la population (6). Cette action est protégée par le droit et, par voie de conséquence, les acteurs humanitaires qui s'exposent afin de la mettre en œuvre doivent faire eux aussi l'objet d'une protection juridique. La valeur intrinsèque du travail humanitaire et les principes d'humanité, de neutralité, d'indépendance et d'impartialité sur lesquels ce travail se fonde doivent être reconnus, acceptés, respectés et défendus. Il ressort de plusieurs des auditions menées que les principes humanitaires ont une vertu d'autant plus protectrice que leur bien-fondé est reconnu largement et qu'ils sont correctement respectés.
6. D'autre part, comme dans son avis de 2008, la CNCDH souligne que, s'« il appartient aux organisations humanitaires de mettre en place et de faire strictement respecter des procédures propres à garantir la sécurité de leur personnel comme de s'assurer de la réparation des préjudices que ceux-ci pourraient subir » (paragraphe 3), la protection du personnel humanitaire relève, au premier chef, de la responsabilité des Etats. Cette responsabilité incombe tout d'abord à l'Etat sur le territoire duquel s'accomplit l'action humanitaire et, éventuellement, aux groupes armés non étatiques en cas de conflit armé, puis à l'Etat de nationalité de l'acteur humanitaire et, finalement, à la communauté internationale dans son ensemble.
7. La CNCDH considère enfin, à l'instar de plusieurs personnes ou entités auditionnées, que l'un des facteurs majeurs de protection est la capacité à se faire accepter par l'ensemble des acteurs dans des contextes souvent complexes. Ainsi, la protection du personnel humanitaire est intimement liée à l'acceptation par la population environnante et au respect du mandat humanitaire par tous, acteurs et belligérants en cas de conflit armé. L'acceptation suppose pour les organisations humanitaires de développer une connaissance approfondie et fine du contexte dans lequel elles opèrent, comme le souligne la résolution 68/101 de l'Assemblée générale des Nations unies, qui insiste sur l'importance de s'assurer que le personnel humanitaire « connaisse et respecte les coutumes et les traditions nationales et locales des pays où ils se trouvent et exposent clairement leur mission et leurs objectifs aux populations locales afin qu'ils soient mieux acceptés, ce qui contribuera à leur sûreté et à leur sécurité » (7).


Champ de l'avis


8. Faute de pouvoir s'appuyer sur une définition officielle du personnel humanitaire (8), la CNCDH forge sa propre définition, en empruntant divers éléments à plusieurs documents juridiques qui mentionnent les « tâches humanitaires » (9) et « les employés apportant du secours », l'ensemble évoquant aussi bien l'assistance que la protection. La CNCDH entend adopter une définition large du personnel humanitaire, qui désigne : toute personne qui accomplit une action humanitaire conformément aux principes fondateurs d'humanité, d'impartialité, d'indépendance et de neutralité. Il s'agit de l'ensemble du personnel, quel que soit le degré de sa participation à l'action humanitaire, y compris le personnel assurant le support logistique ou même l'entretien des locaux, quel que soit son statut à l'égard de son employeur (salarié, volontaire, stagiaire, bénévole) et quelle que soit sa nationalité (personnel local ― de plus en plus souvent dit « national » ― et personnel expatrié ressortissant du pays siège de l'organisation ou non).
9. L'avis s'intéresse à la question du statut du personnel humanitaire, aux insuffisances duquel s'ajoutent les faiblesses de la mise en œuvre des dispositions existantes. Puis il aborde la situation du personnel national ― le plus nombreux ― employé d'organisations françaises. De manière générale, la mission humanitaire est effectuée par l'ensemble du personnel expatrié et national dans un souci d'efficience, de cohésion et de complémentarité. S'ils encourent le plus souvent les mêmes risques, certaines tâches peuvent cependant exposer plus spécifiquement le personnel national. Enfin, l'avis se penche sur quelques-uns des enjeux actuels relatifs à la situation du personnel expatrié français. Sur chaque point, l'avis procède à une analyse de la situation avant d'esquisser des pistes d'action se fondant sur le triptyque prévention - répression - réparation, et adressées au Gouvernement dans son double rôle d'Etat de nationalité du siège d'organisations humanitaires et de membre de la communauté internationale.


I. - Renforcer le statut international des travailleurs humanitaires


10. Il n'existe pas de statut international propre au personnel humanitaire valable en toutes circonstances. On peut néanmoins identifier des normes de protection propres à certaines situations et à certains personnels, selon la mission qu'ils exercent.


A. - Le constat
Les obligations en cas de conflit armé, international ou non international
les dispositions du droit international humanitaire


11. Selon le droit international humanitaire, le personnel humanitaire peut a minima bénéficier de la protection générale accordée à la population civile (10). En outre, quelques mentions spécifiques du personnel humanitaire dans le corpus juridique conduisent à s'interroger sur une protection particulière.
12. Ces mentions sont prévues en cas de conflit armé international, à propos de l'accès aux victimes nécessitant assistance. L'article 71 du Protocole additionnel I relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux impose le respect et la protection du « personnel de secours » (11). En cas de conflit armé non international, le droit international humanitaire ne contient pas de disposition similaire mais l'étude du CICR sur le droit international coutumier mentionne, à la règle 31, que « le personnel de secours humanitaire doit être respecté et protégé », indépendamment du caractère international ou non international du conflit (12). L'étude rappelle que, selon la pratique collectée, l'expression « seront respectés et protégés » couvre outre l'interdiction des attaques, celle du harcèlement, de l'intimidation, de la détention arbitraire, des mauvais traitements, des violences physiques et morales, meurtre, coups, enlèvement, prise d'otages, harcèlement, rapt, arrestation et détention illégales.
13. Par ailleurs, d'autres règles régissant l'accès aux populations évoquent les organisations et le personnel de secours. Ainsi, l'article 142 de la quatrième convention de Genève indique que « les Etats parties, sous réserve des mesures (...) indispensables pour garantir leur sécurité ou faire face à toute autre nécessité raisonnable, (...) réserveront le meilleur accueil aux organisations religieuses, sociétés de secours, ou tout autre organisme qui viendrait en aide aux personnes protégées ». Ils devront leur accorder « toutes facilités nécessaires ainsi qu'à leurs délégués dûment accrédités, pour visiter les...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT