Avis sur les ressortissants français condamnés à mort ou encourant la peine de mort en Irak

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0028 du 2 février 2020
Record NumberJORFTEXT000041515060
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication02 février 2020

Assemblée plénière du 28 janvier 2020 Adoption : 40 voix " pour ", 3 voix " contre "


Depuis l'éclatement du groupe terroriste " Etat islamique " (EI), plusieurs ressortissants français se trouvant dans la zone syro-irakienne ont été transférés en Irak où ils ont été condamnés à mort ou risquent de l'être par les tribunaux irakiens pour appartenance à l'EI et actes de terrorisme.
La CNCDH s'inquiète de cette situation et considère que plusieurs arguments militent en faveur de leur rapatriement en France. Premièrement, un transfert vers un Etat prévoyant la peine de mort et pratiquant la torture est contraire au principe de non-refoulement. Deuxièmement, les condamnations à la peine capitale ont été prononcées à la suite de procès inéquitables. Troisièmement, la peine de mort est contraire aux engagements juridiques et diplomatiques de la France. Quatrièmement, la protection consulaire assurée aux personnes détenues est insuffisante. Cinquièmement, les juridictions françaises sont également compétentes pour juger les auteurs de ces actes graves en raison de leur nationalité. A ces arguments juridiques, s'ajoute une considération décisive, la prise en compte d'un impératif de sécurité pour la France et pour l'Europe.

1. La CNCDH s'inquiète de la situation des ressortissants français en zone syro-irakienne. Si elle a déjà demandé au gouvernement français, pour des raisons principalement humanitaires mais aussi sécuritaires, le rapatriement dans les plus brefs délais des enfants français retenus dans les camps en Syrie par un avis rendu le 24 septembre 2019 (1), elle ne saurait oublier la situation des ressortissants français condamnés à mort ou encourant la peine de mort en Irak.
2. Depuis que le conflit armé syrien a éclaté en 2011, des étrangers en provenance de plus de 80 Etats ont rejoint des groupes qualifiés de terroristes dont " l'Etat islamique d'Irak et du Levant " (EI) qui s'est formé entre la Syrie et l'Irak. Un nombre considérable de citoyens européens en faisait partie, parmi lesquels environ 1 300 ressortissants français. Entre 2014 et 2019, l'EI a perdu progressivement le contrôle de l'ensemble des territoires qu'il occupait face aux offensives menées par la coalition internationale formée, entre autres, par la France et les Etats-Unis. Suite à sa défaite militaire, des milliers de personnes vivant sous son joug ont été placées dans des camps au Kurdistan syrien, contrôlé par les forces démocratiques syriennes (FDS) composées majoritairement de Kurdes.
3. En février 2019, des hommes soupçonnés d'appartenance à l'EI ont été transférés depuis le nord est syrien vers l'Irak afin d'y être jugés. En mai et juin 2019, la Cour pénale centrale de Bagdad a prononcé des condamnations à mort par pendaison à l'encontre de 11 d'entre eux, français, pour appartenance à l'EI et faits de terrorisme. Vers la fin du mois d'août 2019, ils ont été transférés à la prison d'Al Rusafa à l'est de Bagdad. Depuis lors, une seule visite consulaire a pu être effectuée le 17 décembre 2019. De nombreuses personnes, dont 60 à 70 ressortissants français soupçonnés d'activités djihadistes, seraient toujours détenues dans le nord de la Syrie par les FDS et risquent à tout moment d'être transférées en Irak pour y être jugées (2).
4. Cette situation suscite des interrogations sur le respect des droits fondamentaux des ressortissants français tels que garantis par le droit international : le principe de non-transfert vers un pays pratiquant la torture, le droit à un procès équitable, l'interdiction de la peine de mort, et ce alors que la protection consulaire peine à s'appliquer et qu'en tout Etat de cause, les juridictions françaises sont compétentes pour les juger.

Un transfert vers l'Irak contraire au principe de non-refoulement

5. La CNCDH s'interroge sur les conditions du transfert des ressortissants français depuis la Syrie vers l'Irak, sans aucune base légale et contrevenant au principe de non-refoulement vers un pays pratiquant la torture. L'article 3 de la Convention contre la torture dispose en effet " [qu'] aucun Etat n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture ". La Cour européenne des droits de l'Homme retient également cette approche de façon constante depuis 1989, en interprétant " par ricochet " l'article 3, notamment vis-à-vis des personnes risquant d'être renvoyées vers un Etat où elles sont passibles de la peine de mort (3).
6. De plus, dans ses commentaires de l'article 3 commun aux Conventions de Genève, le CICR considère que, s'agissant d'un conflit armé international ou non, " dans son sens traditionnel, le principe de non-refoulement interdit le transfert d'une personne d'un Etat vers un autre, de quelque manière que ce soit, s'il y a des motifs sérieux de croire que la personne risque d'être victime d'une violation de certains de ses droits fondamentaux dans cet Etat. Cela est notamment admis dans les cas de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de privation arbitraire de la vie (y compris à la suite d'une condamnation à mort prononcée sans respect des garanties fondamentales propres à un procès équitable), […] " (4). La CNCDH considère que la France aurait dû empêcher le transfert de ses ressortissants, et demande que son rôle dans ces opérations soit clarifié. Elle appelle les autorités nationales à prendre les dispositions nécessaires afin d'éviter la réitération de transferts illégaux.

Des condamnations prononcées à la suite de procès inéquitables

7. Toutes les condamnations à mort à l'encontre des ressortissants français auraient été prononcées, selon les observateurs extérieurs présents, à l'issue de procès expéditifs et inéquitables (5), tenus dans un climat sécuritaire oppressant. D'une durée excessivement brève, de 30 minutes au maximum, ces procès, dépourvus d'aucune véritable instruction préalable, ne respectent les principes ni du procès équitable ni de l'individualisation des peines. Les droits de la défense sont inexistants (6) faute notamment pour les avocats, la plupart du temps commis d'office, de disposer des pièces du dossier et de pouvoir s'entretenir avec leur client autrement que quelques minutes avant l'audience. De plus, ces avocats ne plaident que rarement, et quand c'est le cas, très brièvement (7). Quant aux accusés, confrontés à de graves difficultés liées notamment à leur méconnaissance de la langue arabe, ils n'ont droit à la parole que pour de...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT