Avis sur la santé publique et la coopération internationale dans le contexte de la Covid-19

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0260 du 25 octobre 2020
Record NumberJORFTEXT000042461212
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication25 octobre 2020

(Assemblée plénière - 15 octobre 2020 - Adoption : 37 voix pour, et cinq abstentions)
Sommaire

Introduction
I. - Le surgissement de la crise de la Covid-19 et la nécessité d'une action internationale rapide et coordonnée
II. - Garantir un accès sûr, équitable et universel aux diagnostics, aux traitements et aux vaccins
III. - Un nouvel équilibre à rechercher entre impératifs de santé et règles du commerce international pour les biens de santé
IV. - L'indispensable renforcement des systèmes de santé et du système de sécurité sanitaire mondial
V. - OMS : les enseignements de la gestion de la crise sanitaire
VI. - Bâtir l'Europe de la santé et une souveraineté stratégique
VII. - Actions spécifiques en faveur des pays les plus vulnérables
VIII. - L'effectivité des droits de l'homme en particulier des droits sociaux
IX. - Réfugiés, personnes déplacées, migrants
X. - Traite des êtres humains et formes contemporaines d'esclavage
Liste des recommandations

Introduction

1. Alors que, dans la mobilisation collective pour lutter contre la pandémie de la Covid-19, la santé est devenue une priorité nationale et internationale, la notion même d'un " droit à la santé " (1) a été quelque peu éclipsée dans sa dimension juridique face au discours scientifique et à l'urgence de terrain. Le droit est apparu trop souvent comme une simple contrainte formelle, dans une situation de nécessité qui suffisait à légitimer la décision politique. Pourtant, un cadre juridique particulièrement développé a été mis en place depuis la seconde guerre mondiale, aussi bien sur le plan interne qu'à l'échelle internationale pour consacrer pleinement le droit à la santé, en tant que droit fondamental de la personne humaine. La santé est tout à la fois un droit individuel et un bien collectif, dans une interaction permanente de droits et de responsabilités. Il importe de rendre sa place cardinale à ce droit, au lieu de le considérer comme un acquis allant de soi, alors que la pandémie a démontré notre fragilité individuelle et notre vulnérabilité collective.
2. Avant même la crise de la Covid-19, la CNCDH avait déjà présenté un bilan critique de la situation française, avec son avis du 22 mai 2018 intitulé " Agir contre les maltraitances dans le système de santé " qui garde toute son actualité. De même dans le cadre de son étude sur les droits de l'homme dans les outre-mer, elle a adopté le 17 octobre 2017 un avis sur " le droit à la protection de la santé dans les territoires ultramarins ", en soulignant la situation particulièrement préoccupante de la Guyane et de Mayotte en la matière. Deux ans après, la crise sanitaire rend encore plus nécessaire de mener des réformes prenant en compte l'approche par les droits de l'homme préconisée par la CNCDH dans son avis du 3 juillet 2018. Dans ce nouveau contexte, la CNCDH tient à souligner la dimension internationale de la crise qui constitue un défi global, appelant à une solidarité renforcée autour des " biens publics mondiaux " dans un monde interdépendant, ainsi que l'importance fondamentale de l'universalité, de l'indivisibilité et de l'effectivité des droits de l'homme.
3. Les textes fondateurs de l'ordre international de l'après-guerre consacrent l'importance de la santé publique dans le mandat des organisations spécialisées. Ainsi dès mai 1944, la Déclaration de Philadelphie donne comme objectif à l'Organisation internationale du travail (OIT) de contribuer à la réalisation d'" une protection adéquate de la vie et de la santé des travailleurs dans toutes les occupations " (III, g). En 1946, le Préambule de la Constitution de l'OMS après avoir défini la santé comme un " état de complet bien-être physique, mental et social " proclame que " la possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelle que soit sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique et sociale ". Affirmant que " la santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix et de la sécurité ", il souligne " que l'inégalité des divers pays en ce qui concerne l'amélioration de la santé et la lutte contre les maladies, en particulier les maladies transmissibles, est un péril pour tous ". Autrement dit, la santé est déjà conçue comme un droit fondamental de la personne - entendu comme le droit à " la possession du meilleur état de santé " (highest attainable standard of health) qu'un individu est capable d'atteindre et comme un " bien public mondial " pour la communauté internationale tout entière face à un péril commun. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 précise que " Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille " en visant notamment les soins médicaux et les services sociaux nécessaires (art. 25, § 1). Mais il faudra attendre 1966 pour que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en détaille la portée juridique, lorsque les Etats " reconnaissent le droit qu'à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre " (art. 12, § 1). Cela implique pour eux " d'assurer le plein exercice de ce droit " en prenant " les mesures nécessaires pour assurer : (…) la prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres, ainsi que la lutte contre ces maladies " (art. 12, § 2 c) et " la création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie " (art. 12, § 2 d).
4. Depuis lors les engagements conventionnels se sont multipliés, dans le cadre des Nations Unies, en visant notamment les femmes, les enfants, les travailleurs migrants et les personnes handicapées (2). Les organes des traités comme les rapporteurs spéciaux ont rappelé toute l'importance de ces obligations juridiques dans le contexte de la crise sanitaire (3). Dans le cadre du Conseil de l'Europe, le Comité de bioéthique a adopté en avril 2020 une déclaration qui précise que " le principe de l'équité d'accès aux soins de santé, énoncé à l'article 3 de la Convention d'Oviedo doit être respecté, même dans un contexte de rareté des ressources. Il exige que l'accès aux ressources existantes soit guidé par des critères médicaux, afin notamment que l'existence de vulnérabilités ne conduise pas à des discriminations dans l'accès aux soins. Cela est certainement pertinent pour les soins des personnes atteintes du Covid-19, mais également pour tout autre type de soins susceptible d'être rendu plus difficile par les mesures de confinement et la réallocation des ressources médicales pour lutter contre la pandémie. La protection des personnes les plus vulnérables, telles que les personnes handicapées, les personnes âgées, les réfugiés ou les migrants, est effectivement en jeu dans ce contexte. Il s'agit là de décisions d'allocation des ressources rares, de fourniture de l'assistance nécessaire à ceux qui en ont le plus besoin, ainsi que de protection et de soutien des personnes vulnérables lourdement touchées par les conséquences des mesures de confinement " (4). A cet égard la CNCDH tient à rappeler d'emblée l'importance primordiale du principe de non-discrimination dans l'accès aux services de santé, comme un droit fondamental pour tous.
5. Avec l'adoption en 2015 par l'Assemblée générale des Nations unies de " l'Agenda 2030 ", la communauté internationale s'est fixée des objectifs de développement durable (ODD) à réaliser d'ici 2030, en particulier dans le domaine de la santé avec l'objectif 3 " Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge ". Il est à noter que douze autres objectifs (sur dix-sept) concernent directement la santé ou les déterminants de la santé : élimination de la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde (ODD 1), lutte contre la malnutrition (ODD 2), contre les discriminations liées au genre et autonomisation des femmes (ODD 5), accès à l'eau potable et à des systèmes d'assainissement et d'hygiène (ODD 6), promotion d'une croissance inclusive et durable et accès à un travail décent pour tous (ODD 8), lutte contre les désastres naturels et la pollution de l'air (ODD 11 et 12), lutte contre les changements climatiques et leurs impacts (ODD 13) ainsi que lutte contre les violences (ODD 16).
6. Sur le plan international, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) joue un rôle central dans la réalisation de l'objectif 3 de développement durable pour lequel elle coordonne un plan d'action mondial. En outre, l'OMS se fixe des objectifs très ambitieux pour elle-même à travers son 13e Programme général de travail (PGT) 2019-2023 : " promouvoir la santé ; préserver la sécurité mondiale et garder le monde dans une sécurité sanitaire ; servir les populations vulnérables ". Trois priorités stratégiques (" le triple milliard ") sont arrêtées pour cette période : un milliard de personnes supplémentaires devant bénéficier de la couverture santé universelle ; un milliard de personnes supplémentaires étant mieux protégées face aux situations d'urgence sanitaires ; un milliard de personnes supplémentaires menant des vies en meilleure santé et avec plus de bien-être. Force est de constater que ces objectifs seront encore plus difficiles à atteindre dans le contexte de la Covid-19 et alors même que le système multilatéral est en crise.

I. - Le surgissement de la crise de la Covid-19 et la nécessité d'une action internationale rapide et coordonnée

7. Le 30 janvier 2020, suite à l'avis du comité d'urgence réuni au titre du règlement sanitaire internationale (RSI), le Directeur général de l'OMS déclare la flambée de nouveau coronavirus (2019-nCoV) " urgence de santé publique internationale " (USPPI), requérant une action internationale coordonnée et immédiate. Le 11 mars 2020, l'OMS qualifie la Covid-19 d'épidémie.
8. L'ampleur de la crise et de ses implications dans le domaine...

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