Avis sur la situation des migrants (1) à Grande-Synthe

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0131 du 7 juin 2016
Date de publication07 juin 2016
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000032644487


Assemblée plénière du 26 mai 2016 (Adoption : unanimité)


1. Au début de l'année 2016, la CNCDH a été alertée par plusieurs de ses membres (Médecins du Monde, France Terre d'Asile, le Secours Catholique et La Cimade) de la situation extrêmement préoccupante des migrants en transit présents dans la commune de Grande-Synthe, où l'initiative pragmatique et courageuse prise par le maire d'établir un camp provisoire conforme aux normes humanitaires avec l'aide de Médecins sans Frontières (MSF) courait le risque d'être remise en cause par la préfecture du Nord pour des raisons de sécurité. La Commission a immédiatement décidé de s'autosaisir de ces questions et souhaité disposer d'un constat objectif. A cette fin, elle a procédé à des auditions et rencontres (2) puis réalisé, le 21 mars 2016, un déplacement à Grande-Synthe. Lors de celui-ci, la délégation de la CNCDH a été très impressionnée par la sincérité de l'engagement du maire et par l'exemplarité du dévouement de la société civile pour apporter de l'aide aux migrants.
2. A la suite de ce déplacement, la Présidente de la CNCDH a, le 24 mars 2016, adressé au ministre de l'Intérieur une lettre dans laquelle elle formule des constats et recommandations provisoires. Le ministre y a répondu, le 5 avril 2016, par un courrier très détaillé, avant que des membres de son cabinet ne soient auditionnés le 14 avril 2016. Aussi, la CNCDH ne peut-elle que se réjouir du dialogue riche et constructif qui a été engagé avec le ministre de l'Intérieur et de l'attention portée à ses premières préconisations.
3. A titre liminaire, il convient de brosser rapidement le contexte géopolitique expliquant la présence de migrants en transit sur le territoire de la commune de Grande-Synthe. Les mouvements migratoires consécutifs aux diverses crises ayant bouleversé le Moyen-Orient et le continent africain au cours des années 2000 (3), ont entraîné sur le littoral de la Manche, la multiplication de camps de fortune, plusieurs centaines, voire milliers, de migrants pouvant être recensés sur un seul et même site (4).
4. Cette situation est, il faut le rappeler avec force, la conséquence d'une situation géopolitique grave découlant du statut dérogatoire dont bénéficie le Royaume-Uni au sein de l'Union-Européenne (UE) ainsi que de la mise en œuvre de plusieurs traités et accords administratifs bilatéraux, ayant pour conséquence de délocaliser les contrôles frontaliers britanniques dans les zones portuaires et ferroviaires françaises. Si ces textes internationaux ont eu pour objectif initial d'endiguer les mouvements migratoires vers le Royaume-Uni, leur mise en œuvre aboutit en pratique à interdire aux migrants de quitter la France et à faire du littoral une « zone d'attente » où se concentrent des exilés en transit, avec les enjeux sécuritaires et les risques humanitaires que cela implique. Cet enchevêtrement de traités et d'arrangements administratifs divers, largement en contradiction avec le droit de l'UE, est extrêmement préoccupant dans la mesure où il conduit à faire de la France le « bras policier » de la politique migratoire britannique. La CNCDH demande une nouvelle fois aux autorités concernées de reconsidérer de façon globale la politique migratoire entre le Royaume-Uni et la France, sans omettre ses composantes humanitaires et sociales. Elle invite donc les pouvoirs publics à une particulière vigilance à l'heure de la redéfinition des politiques migratoires de l'UE, en réitérant les recommandations formulées dans son avis du 2 juillet 2015 sur la situation des migrants à Calais et dans le Calaisis (5), à commencer par la révision de l'ensemble des engagements bilatéraux avec le Royaume-Uni. A cet égard, la CNCDH précisera sa position dans un avis de suivi sur la situation des migrants à Calais et dans le Calaisis qui devrait être adopté en juillet 2016.
5. Du fait de sa situation géographique et de sa proximité des côtes britanniques, la commune de Grande-Synthe est devenue un lieu de transit pour les personnes cherchant à rejoindre le Royaume-Uni, le passage pouvant avoir lieu soit par la voie maritime (à partir de Calais, de Dunkerque ou même de Zeebrugge) soit par la voie ferroviaire (Eurotunnel). La présence de migrants (entre 20 et 50) dans cette ville est constatée depuis 2006 dans le quartier du Basroch sur un terrain d'une superficie d'environ 20 hectares, accidenté, boueux et exposé aux intempéries et, pour ces raisons, impossible à aménager. Notons que l'année 2015 a été marquée par une forte augmentation du nombre de migrants - très majoritairement des Kurdes irakiens - arrivant à cet endroit. Les auditions conduites à la CNCDH ne permettent qu'une évaluation approximative de ce mouvement. Ils étaient environ :
190 à la fin du mois d'août 2015 ;
545 à la fin du mois de septembre 2015 ;
800 à la fin du mois d'octobre 2015 ;
1 400 à la fin du mois de novembre 2015 ;
2 800 à la fin du mois de décembre 2015 (6).
6. Il convient d'insister sur le fait qu'en janvier 2016, près de 3 000 personnes vivaient dans une totale promiscuité sur le terrain du Basroch, dans des conditions épouvantables, sous des abris de fortune dangereux et insalubres (bâches, tentes et cabanes précaires), dans un état de détresse et de dénuement total. L'aide aux migrants était exclusivement apportée par le secteur associatif (Secours Catholique, MSF, Salam, Terre d'errance, Emmaüs, etc.) et par de nombreux bénévoles britanniques qui travaillaient dans des conditions matérielles extrêmement rudes en étant contraint de « gérer la pénurie ».
7. En réaction à cette situation humainement inacceptable et par crainte de ses effets délétères sur sa commune, le maire de Grande-Synthe a décidé :


- d'entreprendre, en coopération avec MSF, la construction sur le terrain dit de la Linière d'un camp humanitaire provisoire dont la capacité d'accueil n'est pas destinée à évoluer ;
- de procéder à l'évacuation des personnes, au nettoyage et à la remise en état du terrain du Basroch. C'est ainsi qu'entre les 7 et 9 mars 2016, un millier de personnes ont été transférées dans le nouveau camp et ce, sans incident notable. Depuis lors, le terrain du Basroch est totalement inoccupé.


Partant, dans le présent avis, la CNCDH dressera des constats (I), avant de formuler des recommandations (II).


I. - Les constats de la CNCDH
A. - Une population de migrants en majorité Kurdes irakiens


8. Au jour du déplacement de la CNCDH, le lundi 21 mars 2016, 1 333 personnes (dont 133 enfants) vivaient dans le camp. A l'issue des opérations d'évacuation du terrain du Basroch, sur les 3 000 personnes alors présentes à Grande-Synthe, seules 1 000 d'entre elles se sont déclarées volontaires pour intégrer le camp de la Linière. Plusieurs explications sont avancées pour éclairer cette diminution très nette. Certains migrants ont accepté une orientation en centre d'accueil et d'orientation (CAO), alors que d'autres se seraient dirigés plus au sud ou vers la Belgique. Par ailleurs, à la suite du démantèlement de la zone sud de la lande, 300 autres personnes seraient venues de Calais.
Le nombre de personnes présentes dans le camp s'élevait approximativement :


- à 1101, dont 93 femmes et 119 enfants à la fin du mois d'avril 2016 ;
- à 1021, dont 30 femmes (20 d'entre elles étant enceintes) et 121 enfants le mercredi 11 mai 2016.


9. Peu d'informations sont disponibles sur le profil de ces personnes, en l'absence de recensement officiel à l'entrée du camp. Il s'agit très majoritairement de Kurdes irakiens (à hauteur de plus de 90 %) qui seraient originaires d'une région spécifique d'Irak. La CNCDH a également été informée de la présence d'Iraniens, de Syriens et d'un groupe de 7 Vietnamiens. Ces migrants sont pour la plupart des hommes seuls âgés de 18 à 35 ans. De son côté, la CNCDH a relevé, lors de son déplacement sur les lieux, la présence de familles entières avec des jeunes enfants et celle de mineurs non accompagnés.


B. - Le travail exemplaire de la commune de Grande-Synthe et des associations
1. Les conditions minimales d'existence


10. Ne pouvant accepter les conditions inhumaines et dégradantes dans lesquelles vivaient les personnes en transit dans sa commune, le Maire de Grande-Synthe a décidé - en s'appuyant sur l'expérience et les compétences de Médecins sans Frontières (MSF) - d'organiser l'ouverture d'un camp humanitaire composé de baraques en bois (« shelters »), sur un ancien terrain agricole d'une superficie d'un peu plus de 5 hectares (7) à l'entrée duquel est bâti un corps de ferme. L'installation du camp de la Linière a coûté près de 3,5 millions d'euros (2,5 millions pris en charge par MSF ; 900 000 euros pris en charge par la commune et la communauté urbaine de Dunkerque). Quant au coût de fonctionnement des installations, il est estimé à près de 4,4 millions d'euros annuels (8). Dans sa configuration actuelle, ce camp est calibré pour offrir des services à 1 500 personnes. La capacité d'accueil n'est pas destinée à augmenter, mais à diminuer au fur et à mesure des départs. Il s'agit donc d'un camp de mise à l'abri pour des migrants en transit, conçu pour être limité en nombre de places et en durée.
11. Au départ, c'est l'association Utopia 56 qui avait été choisie, d'une part, pour organiser le site, d'autre part, pour coordonner l'action et les synergies entre les différents intervenants associatifs (9). A la mi-mai 2016, l'AFEJI a pris le relais en s'appuyant sur 70 salariés et 50 bénévoles minimum, afin de permettre aux migrants d'accéder dans les meilleures conditions :


- à l'eau potable (5 points d'eau comprenant huit robinets chacun accessibles de jour et de nuit) ;
- à un hébergement dans des abris de 5 m2 (« shelters »)10, dont la structure est en bois et le toit en tôle, destinés à recevoir 4 personnes. Ces abris, surélevés pour éviter les infiltrations d'eau, sont équipés de poêles à fioul sécurisés par le biais d'un système de chauffage à infra-rouges, de dispositifs de ventilation et de détecteurs de fumée. Il convient de...

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