Avis sur la situation des migrants à Calais et dans le Calaisis

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0157 du 9 juillet 2015
Record NumberJORFTEXT000030858783
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication09 juillet 2015

(Assemblée plénière du 2 juillet 2015 - Adoption : unanimité - une abstention)

1. Au début du printemps 2015, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a été alertée par plusieurs de ses membres (Médecins du Monde, France Terre d'Asile, le Secours Catholique et La Cimade) de la situation humanitaire extrêmement préoccupante des migrants à Calais et dans le Calaisis. Elle a immédiatement décidé de s'en autosaisir et souhaité disposer d'un constat objectif et impartial. A cette fin, elle a procédé à de nombreuses auditions et rencontres puis réalisé, le 4 juin 2015, un déplacement à Calais. Lors de celui-ci, la délégation de la CNCDH a été profondément choquée par les conditions inhumaines dans lesquelles les migrants tentent de survivre et par l'impasse dans laquelle se trouvent non seulement ces exilés mais aussi les autorités publiques confrontées à des problèmes d'une particulière complexité.
2. Du fait de sa situation géographique et de sa proximité des côtes britanniques, Calais est un lieu de transit incontournable pour les personnes cherchant à rejoindre le Royaume-Uni, le passage pouvant avoir lieu soit par la voie maritime soit par la voie ferroviaire (Eurotunnel). La présence importante de migrants dans cette ville et sa proche région depuis près de 25 ans est incontestablement la conséquence d'une situation géopolitique grave découlant du statut dérogatoire dont bénéficie le Royaume-Uni au sein de l'Union européenne (UE).
D'une part, cet Etat n'est pas partie à la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 instituant un espace de libre circulation des personnes, même si certaines dispositions de cet accord relatives à la coopération policière, à l'exclusion toutefois du droit de poursuite et du volet immigration, sont intégrées en droit britannique.
D'autre part, la France et le Royaume-Uni ont conclu plusieurs traités et accords administratifs bilatéraux, afin de délocaliser les contrôles frontaliers britanniques dans les zones portuaires et ferroviaires françaises et de renforcer les dispositifs de sécurité dans ces dernières (1). Si ces textes internationaux ont eu pour objectif initial d'endiguer les mouvements migratoires vers le Royaume-Uni (2), leur mise en œuvre aboutit en pratique à interdire aux migrants de quitter la France et à faire de Calais et de sa proche région une zone de concentration de personnes en exil avec les enjeux sécuritaires et les risques humanitaires que cela implique (3). Cet enchevêtrement de traités et d'arrangements administratifs divers, largement en contradiction avec le droit de l'UE, est extrêmement préoccupant dans la mesure où il conduit à faire de la France le " bras policier " de la politique migratoire britannique (4). Il convient de mettre à plat ces textes bilatéraux élaborés pour la plupart sans transparence, de sorte qu'aucun contrôle politique effectif n'a pu être exercé sur eux, et que, non publiés, ils échappent au contrôle juridictionnel et aboutissent de facto à créer une zone de non droit. Face à l'accélération du mouvement migratoire dans le Calaisis, la CNCDH se montre soucieuse de voir les pouvoirs publics prendre en compte de façon globale la politique migratoire entre le Royaume-Uni et la France, sans omettre ses enjeux humanitaires et sociaux. Elle invite donc les pouvoirs publics à une particulière vigilance à l'heure de la redéfinition des politiques migratoires de l'UE.
3. Une approche segmentée et à court terme de ces questions augure une " répétition de l'histoire ". En septembre 1999, a été créé dans un ancien hangar sis à Sangatte, le Centre d'hébergement et d'accueil d'urgence humanitaire administré par la Croix-Rouge. En trois ans, 67000 migrants en transit, soit plus de 20000 par an, ont séjourné dans ce camp avec l'espoir de pouvoir franchir la frontière (5). Au mois de décembre 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, a ordonné la fermeture du centre à la suite de négociations particulièrement difficiles avec le Gouvernement du Royaume-Uni (6). Pour autant, cette décision n'a pas eu l'effet escompté de mettre fin à l'afflux de migrants en divers endroits du Nord de la France (7). Du fait des mouvements migratoires consécutifs aux diverses crises ayant bouleversé le Moyen-Orient et le continent africain au cours des années 2000 (8), le littoral de la Manche a vu se multiplier les camps de fortune, plusieurs centaines de migrants pouvant être recensés sur un seul et même site (9). L'appellation " jungle " (10) sera couramment utilisée, y compris par les pouvoirs publics, en référence aux conditions de vie infra-humaines dans lesquelles sont maintenues ces personnes en exil, en violation de la dignité humaine (article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l'UE).
4. Les années 2014 et 2015 sont marquées par une forte augmentation du nombre de migrants arrivant à Calais et dans sa proche région. Les auditions conduites à la CNCDH ne permettent qu'une évaluation approximative de ce mouvement. A la fin de l'année 2013, il y avait entre 300 et 400 migrants présents à Calais. Ils étaient 800 en juillet 2014, puis 1500 en fin d'année. A ce jour, leur nombre oscille entre 2500 et 3000. Peu d'informations sont disponibles sur le profil de ces migrants (11). Il s'agit majoritairement d'hommes seuls âgés de 18 à 35 ans venant du Soudan, d'Erythrée, d'Ethiopie, d'Egypte, d'Afghanistan, de Syrie et d'Irak. Le nombre de femmes présentes à Calais a augmenté ces derniers mois, elles seraient aujourd'hui environ 300 (12). Il en est de même des mineurs non accompagnés, dont plusieurs centaines sont originaires d'Afghanistan et d'Erythrée (13). Il est patent que du fait notamment de leurs parcours migratoires et de leurs conditions de vie, ces personnes exilées sont toutes intrinsèquement vulnérables. Dispersées dans des camps de fortune ou des squats insalubres, elles survivent dans la plus grande précarité et dans des conditions sanitaires déplorables. Dans ce contexte, les arrivées de ces derniers mois ont engendré une situation inédite de crise humanitaire dénoncée avec vigueur par l'ensemble des associations présentes sur le terrain (14).
En réaction à cette situation d'urgence et par crainte de ses effets délétères sur sa commune, la Maire de Calais (15) a proposé en août 2014 l'ouverture d'un centre d'accueil " éloigné des habitations des riverains " et la mise à disposition du terrain adjacent. Après quelques hésitations, cette proposition sera finalement retenue par le ministre de l'intérieur (16). L'objectif est clairement d'éloigner les migrants du centre-ville et de rendre leur présence invisible, ainsi que le démontre amplement la multiplication, depuis lors, d'opérations policières destinées à l'évacuation des squats et autres " jungles ". Cependant la CNCDH espère encore voir dans la création du centre d'accueil un premier pas dans le sens d'une réponse respectueuse de la dignité des personnes. C'est dans cet esprit qu'elle formulera ses recommandations dans le présent avis.
5. Il convient de relever que depuis la fermeture du centre de Sangatte, l'aide aux migrants est parfois le fruit d'initiatives individuelles spontanées (17). Elle est surtout apportée par le secteur associatif qui bénéficie de dons privés ou de subventions publiques (18). Afin de remédier à la dispersion des actions (19) et de soutenir les bénévoles, un collectif inter-associatif s'est mobilisé pour créer, en octobre 2011, une plateforme de services aux migrants (PSM) (20). En dépit d'une réelle volonté de coordination avec les autorités politiques et administratives, le dialogue reste encore souvent difficile, alors que l'abstention des pouvoirs publics a contraint les associations à remplir des missions relevant normalement de la compétence de l'Etat et des collectivités territoriales. Aussi, la CNCDH se doit-elle tout particulièrement de saluer le travail considérable et l'engagement exemplaire des associations impliquées au premier chef dans l'accueil, l'orientation, l'hébergement et l'accompagnement des migrants présents à Calais et dans le Calaisis. Ces dernières travaillent fréquemment dans des conditions très difficiles. En raison de moyens insuffisants, elles sont contraintes en permanence de " gérer la pénurie " (21).
Recommandation n° 1 : la CNCDH recommande aux pouvoirs publics d'accorder toute l'importance qu'il se doit au savoir-faire des associations et à leurs propositions. Au regard des missions de service public qui leur sont confiées, des financements suffisants doivent être prévus. De plus, il est urgent de coordonner les synergies entre l'Etat, les collectivités territoriales et les associations.
6. Plus fondamentalement, il est, pour la CNCDH, urgent de remettre au cœur de l'action étatique et des politiques européennes, le respect des libertés et droits fondamentaux des migrants et des demandeurs d'asile (22). La tâche n'est certes pas aisée, mais plus que nécessaire dans la période actuelle marquée par la prolifération des extrémismes (23) et des discours populistes souvent teintés de racisme et de xénophobie (24). Il est essentiel que l'opinion publique soit clairement informée des enjeux politiques, sociaux, sécuritaires et humanitaires de la situation calaisienne. Il ne faudrait pas que les événements dramatiques relayés par la presse banalisent le rejet de ces populations qui, il convient de le rappeler, fuient avec courage, au péril de leur vie, les conflits armés sévissant au Moyen-Orient et ailleurs. C'est donc sans angélisme ni naïveté que la CNCDH se prononce avec force en faveur de la mise en œuvre :

- d'une politique nationale réaliste et respectueuse des droits fondamentaux des migrants (I.) ;
- d'une politique européenne solidaire et respectueuse des droits fondamentaux des migrants (II.).

I. - POUR LA MISE EN ŒUVRE D'UNE POLITIQUE NATIONALE RÉALISTE ET RESPECTUEUSE DES DROITS FONDAMENTAUX DES MIGRANTS
A. - Les conditions minimales d'existence
1. Le constat de la CNCDH : une...

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