Avis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national. Etat des lieux un an après la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers (dispositif national de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0156 du 8 juillet 2014
Record NumberJORFTEXT000029206302
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication08 juillet 2014

(Assemblée plénière - 26 juin 2014)

1. Alors que la France est confrontée depuis quelques années à l'arrivée sur son territoire de mineurs isolés étrangers (MIE) (1), la prolifération de discours sécuritaires, voire xénophobes, " affolant " l'opinion publique (2), provoque un climat de suspicion généralisée à l'encontre de ces jeunes (3) dont le droit fondamental le plus élémentaire est celui d'obtenir une protection de la part des autorités (article 20 de la Convention relative aux droits de l'enfant, ci-après CIDE) (4). Dans ce contexte, les craintes exprimées d'afflux massif doivent d'emblée être ramenées à de plus justes proportions, dès lors que, contrairement à ce qui est parfois affirmé, il n'y a pas eu d'augmentation importante du nombre de MIE sur le territoire français ces dernières années (5) : " En réalité, pendant longtemps, l'Etat a (sciemment ?) sous-estimé ce phénomène en ne reconnaissant “que” la prise en charge de 4 000, MIE alors même que les associations estimaient leur présence réelle à 8 000 " (6). A ce jour, les données chiffrées demeurent lacunaires, les estimations variant de 4 000 à 9 000 MIE (7) (provenant principalement de Guinée, du Nigeria, de Côte d'Ivoire, de République démocratique du Congo, du Mali, du Bangladesh, d'Albanie, du Pakistan, d'Angola et d'Afghanistan [8]), auxquels il faut ajouter les quelque 3 000 mineurs isolés pour le seul Département de Mayotte (9). Une évaluation fiable supposerait de pouvoir disposer d'informations précises et complètes sur les différentes manières d'entrer sur le territoire français. Comme ces données sont actuellement parcellaires, il n'est possible de comptabiliser que l'activité des services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) chargés de protéger ces mineurs, en excluant du chiffrage ceux qui ne se présentent pas à l'ASE, ne sollicitant donc aucune protection, ainsi que ceux qui, persistant à se déclarer mineurs, saisissent le juge des enfants avec l'aide d'associations en vue de voir reconnaître leur minorité. Quoi qu'il en soit, les statistiques permettent de relativiser le poids des MIE au regard de la totalité des mineurs pris en charge au titre de la protection de l'enfance (10) : en 2012, 113 772 enfants étaient placés au titre de l'enfance en danger (confiés à l'ASE ou au secteur associatif) et 110 060 mineurs étaient suivis dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (11).
2. Le climat de suspicion entretenu à l'encontre des MIE est au demeurant fondé sur des considérations totalement fantasmatiques. Dans ce contexte inquiétant, le Défenseur des droits, par une décision du 19 décembre 2012, avait déjà fait part de ses préoccupations, en ce qui concerne l'accueil, l'évaluation et l'accompagnement des MIE, formulant 15 recommandations à l'attention de la garde des sceaux (12). Par ailleurs, les nombreuses auditions conduites à la CNCDH ont permis d'établir que ces jeunes, lorsqu'ils bénéficient d'une mesure de protection, sont en grande majorité très déterminés, ne posent pas de problèmes particuliers et souhaitent s'intégrer rapidement dans la société française. Selon un rapport récent de l'IGAS, " les mineurs isolés étrangers se caractérisent (…) par leur comportement dans les structures où ils sont accueillis. Ces jeunes sont décrits par les professionnels de la protection de l'enfance comme “gratifiants”, “pacificateurs”, et montrant une forte volonté d'apprentissage et d'insertion professionnelle " (13). En dépit de cette réalité, il est regrettable que la terminologie utilisée pour désigner ces jeunes ne soit pas toujours neutre. Le choix et l'ordre des mots ont toute leur importance dans la perception et l'image que l'on peut se faire de ces mineurs (14), que l'on dénomme tantôt " mineurs isolés étrangers " tantôt " mineurs étrangers isolés ". Insister sur l'une ou l'autre de ces caractéristiques (l'isolement ou l'extranéité) revient à considérer ces jeunes, soit comme des individus particulièrement vulnérables qu'il convient de protéger, soit comme des étrangers au statut administratif précaire et soumis aux vicissitudes de la politique nationale d'immigration. Aussi, la CNCDH est-elle favorable à l'emploi de l'expression communément acceptée en France de " mineurs isolés étrangers ", afin d'insister sur l'isolement de ces mineurs plutôt que sur leur statut d'étranger comme le suggère l'appellation " mineur étranger isolé " (15). Il convient également d'écarter d'autres appellations telles que " enfants séparés " (16), " mineurs non accompagnés " (17) ou " jeunes errants ", qui ne tiennent pas suffisamment compte de la diversité des parcours de ces jeunes, ni ne laissent aucune - ou au moins trop peu - de place à leur situation d'isolement et de danger, censée pourtant être au cœur du dispositif de protection. Ou encore les expressions de " clandestins " ou de " mineurs sans-papiers ", elles aussi inadaptées, en raison de l'absence d'obligation de possession d'un titre de séjour pour les mineurs présents sur le territoire français (18).
3. Un MIE se définit comme une " personne âgée de moins de dix-huit ans qui se trouve en dehors de son pays d'origine sans être accompagnée d'un titulaire ou d'une personne exerçant l'autorité parentale, c'est-à-dire sans quelqu'un pour la protéger et prendre les décisions importantes la concernant " (19). Il existe donc trois critères pour qu'un jeune soit qualifié de MIE : c'est une personne mineure, incapable juridiquement, autrement dit un " enfant " au sens de l'article 1er de la CIDE, c'est une personne isolée donc vulnérable du fait de l'absence ou de l'éloignement de ses représentants légaux et c'est accessoirement un étranger ne disposant pas des avantages propres aux nationaux. La catégorie de MIE n'est pas une catégorie de droit commun ; elle n'existe en tant que telle ni dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) (20) ni dans le code de l'action sociale et des familles (CASF). La seule référence explicite aux MIE se trouve dans le code de procédure pénale, au détour d'une disposition sur les frais de justice (article R. 93 du CPP) (21). Le choix qui a été fait à cet endroit de les nommer " mineurs étrangers isolés " est révélateur du climat général de suspicion à l'égard de ces enfants, considérés au premier chef, on l'a déjà relevé, comme des étrangers.
4. Une étude sociologique menée en 2002 par Angelina Etiemble pour la direction de la population et des migrations (22) a dressé une typologie comprenant cinq catégories de MIE, selon leur histoire et leur parcours migratoire :

- les " exilés " fuient une région en guerre, l'enrôlement forcé dans l'armée ou encore la persécution. Ils sont souvent demandeurs d'asile (23) et n'ont aucune possibilité de retour dans leur pays ;
- les " mandatés " sont envoyés en Europe par leur famille, afin d'y poursuivre leurs études ou de travailler pour aider celle-ci restée au pays. La famille se trouve souvent dans une situation économique et sociale telle, qu'elle considère que l'exil est la seule chance pour son enfant d'échapper à la grande précarité ;
- les " exploités " sont victimes de traite (réseaux de prostitution, de mendicité, de délinquance, etc.) et sont contraints au travail illégal ;
- les " fugueurs " ont quitté le domicile familial en raison de mauvais traitements ou de relations conflictuelles ;
- les " errants " sont souvent déjà à la rue dans leur pays d'origine et, au cours de leur errance, ont pu franchir plusieurs frontières.

Les personnes auditionnées par la CNCDH s'accordent à dire que ces catégories sont toujours pertinentes tout en précisant qu'elles ne sont pas toujours exclusives les unes des autres. En effet, une catégorisation trop rigide des MIE aurait pour conséquence fâcheuse d'enfermer ces jeunes migrants dans une représentation trop figée de la réalité qui minimise la complexité de leur histoire propre et de leur processus migratoire.
5. La circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers (24) ainsi que le protocole conclu entre l'Etat et les départements (25) font suite aux demandes des conseils généraux qui sont les premiers concernés par la prise en charge croissante de ces mineurs. En juillet 2011, Claude Bartolone, alors président du conseil général de la Seine-Saint-Denis, s'est plaint de l'arrivée massive de ces jeunes avant de décider de suspendre par arrêté l'accueil des MIE dans son département au titre de l'ASE, estimant que cette problématique relève de l'Etat (26). Pourtant, le domaine de la protection de l'enfance relève prioritairement, depuis la loi du 5 mars 2007 (27) de la compétence des départements (28), l'Etat étant pour sa part compétent en matière de maîtrise des flux migratoires et de lutte contre l'immigration clandestine. L'intérêt supérieur de l'enfant, qui devrait primer dans toutes les décisions le concernant (article 3 de la CIDE), se trouve depuis lors mis à mal par ce " ping-pong institutionnel " (29) entre l'Etat et les départements. Dans ce contexte, de nombreuses associations signalent la situation alarmante des MIE sur le territoire français qui se dégrade depuis plusieurs années. Le Défenseur des droits a également interpellé la garde des sceaux au sujet de l'application de ses recommandations générales de 2012 (30).
6. Pour tenter de résoudre la crise de la prise en charge de ces jeunes, la garde des sceaux, Christiane Taubira, a piloté un groupe de travail qui a donné le jour, le 31 mai 2013, à la circulaire et au protocole précités organisant un dispositif national de mise à l'abri (31) comprenant un système de répartition des MIE dans les départements, l'orientation s'effectuant " d'après une clé de répartition correspondant à la part de population de moins de 19 ans dans chaque département ". Ce mécanisme est contestable, dès lors qu'il ne se fonde pas sur l'intérêt supérieur de l'enfant à vivre dans tel ou tel département, selon son projet scolaire ou professionnel...

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