CONSEIL CONSTITUTIONNEL Observations du Gouvernement en réponse aux saisines du Conseil constitutionnel en date du 27 mars 1997 par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°97 du 25 avril 1997
Record NumberJORFTEXT000000200613
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication25 avril 1997

LOI PORTANT DIVERSES DISPOSITIONS

RELATIVES A L'IMMIGRATION


Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, adoptée le 26 mars 1997.
Des nombreux développements que les auteurs de ces saisines consacrent à la critique de ce texte, et si l'on met à part les arguments d'ordre politique qui ne font que prolonger le débat qui a eu lieu devant le Parlement, se dégagent essentiellement deux idées :
- d'une part, la loi imposerait aux libertés protégées des étrangers, même lorsqu'ils sont en situation irrégulière, des contraintes qui ne seraient pas justifiées ;
- d'autre part, de telles contraintes ne pourraient relever que de l'autorité judiciaire, et plus particulièrement des juges du siège.
Avant d'aborder l'examen des griefs adressés à chacune des dispositions contestées, le Gouvernement entend, à titre liminaire, récuser ces deux prémisses.
En premier lieu, le postulat de départ qui fonde les saisines semble ignorer que le problème de l'immigration irrégulière est un problème de société, en France comme dans la plupart des grands pays développés. Elle est la source de difficultés sociales et de problèmes d'intégration qui mettent en cause l'ordre public. L'exécutif se doit d'y remédier dans le cadre légal de la police spéciale des étrangers, laquelle est naturellement placée, s'agissant d'une police administrative, sous le contrôle du juge administratif.
Cette police est naturellement définie pour l'essentiel par la loi, car elle met en cause des situations individuelles, dans des conditions qui la rattachent aux catégories de l'article 34 de la Constitution. Mais elle n'en reste pas moins une police administrative obéissant aux principes dégagés par la jurisprudence, et notamment celui tiré de l'équilibre indispensable entre deux exigences l'une comme l'autre d'ordre constitutionnel : les droits et libertés des intéressés, d'une part ; et les nécessités de l'ordre public,
d'autre part.
Cette conciliation, qui a été consacrée au rang des principes fondamentaux s'imposant au législateur par la décision no 93-325 du 13 août 1993, doit être réalisée avec pragmatisme et discernement.
Au demeurant, c'est bien à partir de l'expérience acquise depuis les lois des 24 août et 30 décembre 1993 que le Gouvernement a estimé nécessaire de proposer au Parlement les ajustements techniques dont la loi déférée est la traduction formelle.
En raison de cette indispensable conciliation entre exigences de niveau constitutionnel, aucune des mesures figurant dans ce texte ne peut être appréciée, même au plan strictement juridique, indépen-damment des données concrètes qui ont conduit les pouvoirs publics à estimer nécessaire chacune des dispositions adoptées. L'analyse par article, sans reprendre leur discussion en opportunité, que reflètent les débats parlementaires, en présentera néanmoins l'intérêt pratique, pour montrer que la loi déférée a bien concilié avec réalisme et mesure les nécessités de l'ordre public avec les droits et libertés en cause.
En second lieu, il n'est pas davantage possible d'accepter l'idée, qui sous-tend les recours, selon laquelle la police des étrangers devrait relever d'un contrôle purement judiciaire. Comme le souligne la décision no 89-261 DC du 28 juillet 1989, l'article 66 de la Constitution ne requiert l'intervention de l'autorité judiciaire que lorsque est en cause la liberté individuelle, au sens précis de ce terme, tandis que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République conduisent à réserver à la juridiction administrative le contrôle des actes de la puissance publique, au nombre desquels figurent ceux qui sont pris au titre de la police des étrangers, à commencer par la délivrance des titres de séjour et les mesures d'éloignement. La même décision souligne que la garantie effective des droits des intéressés peut être satisfaite aussi bien par la juridiction administrative que par la juridiction judiciaire.
Du point de vue des voies de recours ouvertes aux étrangers, il importe surtout de souligner que, dans le cadre de la loi déférée, les compétences générales du juge administratif ne sont en rien remises en cause, pas plus que celles que détient l'autorité judiciaire dans le cas particulier où se trouve mise en jeu la liberté individuelle, au sens de la l'article 66 de la Constitution.
Pour en finir avec les généralités, deux affirmations des requérants doivent être démenties :
- d'une part, la prétendue insuffisance du contrôle juridictionnel, alors qu'à l'évidence bien peu de domaines juridiques font ainsi intervenir d'aussi près l'ensemble de l'appareil juridictionnel, sans qu'il soit nécessaire que chaque disposition de la loi le rappelle expressément ;
- d'autre part, le refus des saisissants d'admettre l'intervention du parquet en qualité de garant de la liberté individuelle, alors que celui-ci fait pleinement partie de l'autorité judiciaire, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans la décision no 93-326 du 11 août 1993, et que son indépendance, dans le cadre de son statut propre, est garantie tant par l'article 64 de la Constitution que par la longue tradition de la magistrature debout.
Ceci va au-delà de la seule inamovibilité des magistrats du siège et institue, comme l'avait dit en 1958 le garde des sceaux, M. Michel Debré, > (discours devant le comité consultatif constitutionnel, Maus, Favoreu et Parodi, septembre 1992, page 673). Ceci vaut sans préjudice de la réflexion en cours sur la justice et la bonne application de la loi.
Sous le bénéfice de ces observations préliminaires, les critiques adressées par les auteurs des saisines à chacun des articles contestés appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. - Sur l'article 1er


Cette modification de l'article 5-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France introduit un nouveau cas de refus du visa de certificat d'hébergement lorsque >.
A. - En premier lieu, les députés requérants estiment que cette disposition donne au préfet le pouvoir de porter une atteinte grave à la liberté individuelle.
1. Il convient d'abord de rappeler ce qu'est le certificat d'hébergement et de souligner les risques de dévoiement auxquels la loi entend faire échec.
a) Le certificat d'hébergement, contrairement à ce qui a été prétendu çà et là, n'est nullement une obligation faite à tout hébergeant de déclarer l'étranger qu'il héberge. Il est une facilité offerte à un étranger venant en France pour une visite privée, c'est-à-dire en dehors d'un cas de visite touristique ou de voyage d'affaires, pour obtenir un visa >.
Cette facilité a pour conséquence concrète de diminuer substantiellement le montant des ressources dont l'étranger doit justifier pour son séjour en France, séjour luimême limité à trois mois au plus. A la différence d'un voyage touristique par exemple, le titulaire d'un certificat d'hébergement n'a pas à justifier d'une réservation hôtelière, et il peut faire état d'un niveau de ressources réduit.
Le certificat d'hébergement permet ainsi à des étrangers ne disposant pas de ressources importantes d'obtenir un visa > afin de se rendre en France à titre privé, par exemple dans le cadre d'une visite familiale ou bien pour y rencontrer des relations.
b) Cette facilité joue non pas à l'encontre, mais bien en faveur des visiteurs étrangers. Toutefois, il convient d'éviter qu'elle ne donne lieu à des dévoiements. Or l'expérience a montré que, depuis sa création en 1982, le certificat d'hébergement avait effectivement donné lieu à de tels abus. Telle est bien la raison pour laquelle le décret du 27 mai 1982 a été substantiellement révisé par un décret du 30 août 1991, qui a notamment prévu la présentation personnelle de l'hébergeant en mairie, les contrôles que celle-ci effectue sur les demandes et la possibilité d'une visite domiciliaire de l'Office des migrations internationales.
Force est pourtant de reconnaître que le résultat n'est pas entièrement satisfaisant.
Les détournements de procédure que la disposition critiquée vise à conjurer peuvent s'illustrer à travers les quatre exemples suivants :
- dans une commune des Yvelines, un même hébergeant a souscrit 27 certificats d'hébergement en une seule année, au bénéfice de ressortissants dont l'expérience a montré, après une enquête de police, qu'aucun ne s'était rendu au domicile de l'hébergeant ;
- dans une autre commune, en 1995, neuf certificats d'hébergement ont été souscrits et huit en janvier de l'année suivante au bénéfice du même hébergeant ;
- troisième exemple : des demandes multiples de certificats d'hébergement ont été souscrites par un même hébergeant au bénéfice de jeunes filles, dans des circonstances permettant de présumer, comme la suite l'établit, la constitution d'un réseau de prostitution ;
- un dernier exemple de détournement de procédure est la souscription de certificats d'hébergement par un ressortissant pour recevoir ses enfants,
alors que ceux-ci résidaient déjà régulièrement en France, ce qui laisse à penser que les certificats d'hébergement ont été souscrits au bénéfice d'étrangers mineurs rentrant irrégulièrement en France sous une fausse identité.
Les détournements de procédure existent donc malheureusement, même si l'on veut croire qu'ils restent en nombre limité.
Mais le dévoiement de la procédure, par lui-même et plus encore par ses mobiles, est trop grave pour qu'il soit refusé à l'autorité administrative,
qui vise les certificats d'hébergement, d'opposer l'existence d'un détournement de procédure antérieurement à une nouvelle demande.
Naturellement, elle ne doit pas le faire sans être éclairée au préalable et sans avoir pu établir la fraude à la loi, d'où la nécessité d'une enquête menée par un service de police ou une unité de gendarmerie. Cette enquête a bien le caractère d'une enquête administrative...

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