Observations du Gouvernement sur la loi relative au renseignement

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0171 du 26 juillet 2015
Date de publication26 juillet 2015
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000030932376


Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Président de la République, le Président du Sénat et plus de soixante députés pour qu'il soit statué sur la conformité à la Constitution de la loi relative au renseignement.
Ces saisines appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


Le projet de loi du Gouvernement visait à donner aux services de renseignement des moyens d'action adaptés à l'évolution des techniques et des menaces tout en renforçant le contrôle de l'action de ces services pour garantir la protection des libertés.
Ces garanties ont été renforcées et précisées lors des débats parlementaires grâce à l'adoption d'amendements proposés tant par le Gouvernement que par des députés et des sénateurs.
La loi qui est soumise au Conseil constitutionnel assure ainsi la nécessaire conciliation entre la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, à laquelle contribue l'action des services de renseignement, et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment le respect de la vie privée.
I. - Sur l'article L. 801-1.
Cet article rappelle que les atteintes portées à la vie privée par les techniques de recueil de renseignement mentionnées aux chapitres Ier à III du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure doivent être proportionnées aux motifs qui les justifient.
La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et le Premier ministre seront donc amenés à vérifier la proportionnalité des mesures concernées au regard des motifs précisés dans la demande d'autorisation de recourir à l'une de ces techniques. Il en ira de même pour le Conseil d'Etat s'il doit statuer sur des recours dirigés contre de telles mesures.
II. - Sur l'article L. 811-3.
A. - Cet article détermine les finalités pour lesquelles les services de renseignement peuvent être autorisés, dans le strict respect du principe de proportionnalité et pour le seul exercice de leurs missions respectives, à recourir aux techniques de renseignement prévues par la loi.
Les députés requérants soutiennent que ces finalités auraient été définies de manière trop large et trop imprécise ce qui ne permettrait pas de prémunir les citoyens contre le risque d'arbitraire.
B. - Un tel reproche est infondé.
Les finalités qui peuvent justifier la mise en œuvre des techniques de renseignement sont définies de manière limitative et précise. Elles répondent à la nécessité d'assurer la sauvegarde, c'est-à-dire la défense et la promotion, des intérêts fondamentaux de la Nation. Ceux-ci sont pris en compte par le Conseil constitutionnel au titre des normes constitutionnelles applicables au regard desquelles il exerce son contrôle (décision n° 2011-192 QPC).
En prévoyant que les techniques de renseignement pouvaient avoir pour objet d'assurer la promotion de certains intérêts fondamentaux de la Nation, le législateur a souhaité indiquer que l'action des services de renseignement doit permettre d'anticiper les attaques et les ingérences dont notre pays pourrait être la cible. Ainsi, le but de la loi est de pouvoir se défendre contre ces menaces et ces ingérences mais aussi de les prévenir avant qu'elles ne se réalisent. C'est d'autant plus vrai que les finalités définies par la loi encadrent aussi bien l'action des services de renseignement sur le sol national que celle qu'ils peuvent déployer à l'étranger.
Il convient également de rappeler que, pour l'ensemble des objectifs visés par la loi, l'autorisation d'utilisation des techniques de renseignement ne sera délivrée qu'au vu des motifs précis contenus dans la demande, ce qui permettra à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, au Premier ministre et au Conseil d'Etat, de contrôler, comme il a été indiqué, la proportionnalité de la mesure sollicitée.
1. La défense et la promotion des intérêts majeurs de la politique étrangère constituent une exigence inhérente à la sauvegarde des moyens de la diplomatie qui est l'un des intérêts fondamentaux de la Nation, comme l'indique l'article 410-1 du code pénal.
Comme l'a relevé la délégation parlementaire au renseignement dans son rapport public pour l'année 2014, il est nécessaire que les services compétents puissent rechercher, collecter et exploiter des renseignements afin de lutter contre des menaces mais également pour disposer d'une connaissance de la situation et des acteurs internationaux. Cette dimension est inhérente à l'action des services de renseignement, elle est évidemment pratiquée par les services de renseignement étrangers.
Mais le législateur a prévu que seules sont autorisées les mesures de renseignement relatives aux intérêts « majeurs » de la politique étrangère.
Il en ira de même pour la défense et la promotion de la bonne exécution des engagements européens et internationaux de la France, qui constitue une exigence pour l'exécutif en application des articles 5 et 16 de la Constitution.
Quant à la prévention de toute ingérence étrangère, elle concourt à la sauvegarde de l'indépendance nationale, qui figure parmi les intérêts fondamentaux de la Nation.
2. La défense et la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France permettent de sauvegarder les éléments du potentiel scientifique et économique de la France qui constituent également des intérêts fondamentaux de la Nation, comme le rappelle l'article 410-1 du code pénal.
Dans les luttes d'influence auxquelles se livrent les Etats, « la guerre économique » a aujourd'hui supplanté les conflits militaires. L'Etat ne peut être désarmé dans cette situation tant pour faire face aux capacités de renseignement économique d'autres pays que pour disposer de moyens propres à sauvegarder ses intérêts. Cette finalité s'inscrit d'ailleurs dans le cadre des stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui permet à l'autorité publique de porter atteinte au droit au respect de la vie privée lorsque cette ingérence constitue une mesure nécessaire au bien-être économique du pays. Certains de nos partenaires ont d'ailleurs transposé dans leur législation cette notion plus large que celle retenue par la loi relative au renseignement qui ne permet l'utilisation des techniques de renseignement que pour les intérêts économiques majeurs de la France (voir, par exemple, pour la législation britannique sur le renseignement, CEDH, Kennedy c/Royaume-Uni, 18 mai 2010, n° 26839/05, § 32).
Le dernier rapport d'activité de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité rappelle que les autorisations d'interceptions de sécurité accordées sur le fondement du motif économique ou scientifique ne représentent que 0,5 % du total des autorisations accordées à l'heure actuelle. En visant la défense et la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques « majeurs » de la France, la loi ne modifiera guère cette proportion mais elle permettra à notre pays de prévenir les atteintes aux intérêts économiques français. Ces intérêts peuvent d'ailleurs rejoindre d'autres intérêts fondamentaux, comme, par exemple, la capacité de la France à préserver une certaine autonomie technologique en matière de défense.
3. La prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique et la prévention de la criminalité et de la délinquance organisée concourent à la sauvegarde de l'ordre public.
Au demeurant, ces notions, qui font référence aux terminologies retenues par le code pénal et le code de procédure pénale, ne souffrent d'aucune ambiguïté.
Les atteintes à la paix publique sont définies par les articles 431-1 à 431-30 du code pénal. En visant la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique, le législateur n'a entendu viser que les atteintes particulièrement graves, comme l'organisation de groupes de combat ou la participation préméditée à des attroupements violents susceptibles de menacer la sécurité des personnes et des biens.
La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité admet déjà, au titre de la sécurité nationale, de telles mesures.
De même, la notion de criminalité et de délinquance organisées renvoie aux dispositions prévues par l'article 706-73 du code de procédure pénale qui liste des crimes et délits permettant l'utilisation des techniques spéciales d'enquête, ainsi qu'aux délits punis par l'article 414 du code des douanes lorsqu'ils sont commis en bande organisée.
La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité exerce d'ores et déjà un contrôle sur le bien-fondé de la mise en œuvre des interceptions de sécurité en se fondant sur la définition du code de procédure pénale.
Là encore, il convient de rappeler que le contrôle de proportionnalité de la mesure de renseignement au regard des motifs qui la motive s'exercera au moment de l'autorisation de la mesure mais également au cours de son exécution et une fois qu'elle sera achevée.
Cet article est donc conforme à la Constitution.
III. - Sur l'article L. 811-4.
A. - Cet article prévoit que d'autres services que les services spécialisés de renseignement peuvent être autorisés par décret en Conseil d'Etat à recourir aux techniques de renseignement prévues par la loi.
Les députés auteurs de la saisine estiment qu'en ne définissant pas lui-même ce deuxième cercle de services qui peuvent recourir à des techniques de renseignement, le législateur a méconnu sa compétence.
B. - Tel n'est pas le cas.
L'article 34 de la Constitution impose au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. La loi déférée a répondu à ces exigences en fixant des règles précises pour encadrer, par un contrôle tant administratif que juridictionnel, les conditions de mise en œuvre des techniques de renseignement.
En revanche, la définition des services pouvant recourir à ces techniques relève, en application de...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT