Observations du Gouvernement sur la loi de modernisation de notre système de santé

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0022 du 27 janvier 2016
Record NumberJORFTEXT000031914745
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication27 janvier 2016

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs de recours dirigés contre la loi de modernisation de notre système de santé.
Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. - Sur l'article 22

A. - L'article 22 interdit les arômes et les additifs dans les cigarettes, le tabac à rouler, les filtres et le papier à cigarettes. Il prévoit l'interdiction des capsules contenant des arômes dès 2016.
Les députés requérants soutiennent que cet article méconnaît les dispositions de la directive 2014/40/UE du 3 avril 2014.
B. - Un tel grief ne saurait prospérer.
1. Comme l'indiquent les députés requérants, l'article 22 procède à la transposition des dispositions de l'article 7 de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes.
Les dispositions de cet article imposent aux Etats membres d'interdire la mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant. Le paragraphe 14 de cet article prévoit néanmoins que ces dispositions ne s'appliqueront qu'à compter du 20 mai 2020 pour les produits du tabac contenant un arôme caractérisant particulier, dont le volume des ventes à l'échelle de l'Union représente 3 % ou plus dans une catégorie de produits déterminée.
L'article 22 de la loi déférée se borne à assurer la transposition de ces dispositions de la directive du 3 avril 2014 qui sont inconditionnelles.
Or, en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel juge qu'il n'est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union européenne. En effet, dans un tel cas, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne (voir en dernier lieu décision n° 2014-690 DC, 13 mars 2014, cons. 30 à 32).
2. Au demeurant, le paragraphe 14 de l'article 7 prévoit un délai d'entrée en vigueur différent pour les produits du tabac contenant un arôme caractérisant particulier, qui sont visés aux paragraphes 1 à 5 de cet article, et pas pour les produits du tabac contenant des arômes dans l'un de leurs composants, tels que les capsules placées dans les filtres des cigarettes, qui sont visés au paragraphe 7.
Cette interprétation, préconisée par la Commission européenne dans une note du 14 décembre 2015, a déjà été mise en œuvre par la Hongrie et la Finlande qui ont déjà transposé les dispositions de l'article 7 de la directive en interdisant les arômes dans les capsules dès 2016.

II. - Sur les articles 23 et 27

A. - L'article 23 prévoit notamment une interdiction de la publicité pour les produits du tabac à l'intérieur des bureaux de tabac. L'article 27 instaure la neutralité des emballages de cigarettes et de tabac à rouler.
Les députés et les sénateurs auteurs des saisines estiment que l'article 27 a été introduit en méconnaissance des dispositions de l'article 44 de la Constitution et en méconnaissance de la procédure d'adoption et de présentation des projets de loi prévue à l'article 39, qu'il est entaché d'incompétence négative et que, combiné avec l'interdiction prévue à l'article 23, il porte atteinte au droit de propriété des fabricants de tabac. Les députés requérants font également valoir que ces deux articles portent atteinte à la liberté d'entreprendre.
B. - Ces griefs ne pourront qu'être écartés.
1. Sur la procédure d'adoption.
Le Conseil constitutionnel juge que les griefs tirés de la méconnaissance des exigences relatives aux projets de loi concernant leur présentation sont inopérants à l'encontre d'articles introduits par voie d'amendement (décision n° 2010-618 DC, cons. 8).
Et le fait que les dispositions de l'article 27 aient été introduites par amendement du Gouvernement, conformément à l'article 44 de la Constitution, ne peut être regardé comme ayant altéré la clarté et la sincérité des débats. La question du paquet neutre a été amplement débattue pendant l'examen de la loi qui s'est déroulée de mars à décembre 2015.
Ce grief ne pourra donc prospérer.
2. Sur l'atteinte au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel juge qu'en l'absence de privation du droit de propriété, il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le droit pour le propriétaire d'une marque de cigarettes d'utiliser celle-ci et de la protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France entrait dans le champ de la protection constitutionnelle du droit de propriété. Mais il a constaté que la prohibition de la publicité en faveur du tabac ne procédait pas à un transfert de propriété qui entrerait dans le champ des prévisions de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Et il a également constaté que cette interdiction ne portait pas une atteinte disproportionnée aux conditions d'exercice du droit des marques au regard de l'objectif poursuivi qui trouve son fondement dans le principe constitutionnel de protection de la santé publique garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, cons. 7 à 11).
L'instauration du paquet neutre et l'interdiction de la publicité pour le tabac dans les débits de tabac s'inscrivent dans le cadre des principes posés par le Conseil constitutionnel.
Les dispositions contestées ne procèdent pas plus à un transfert de propriété des marques appartenant aux fabricants de cigarettes. Ces sociétés pourront continuer à utiliser le nom de leur marque sur leurs paquets. Ces marques continueront à être protégées à l'égard des tiers. Les représentations figuratives pourront d'ailleurs continuer à être utilisées par les fabricants de tabac dans leurs relations avec des professionnels.
Si elles renforcent les limitations aux conditions d'utilisation des marques, ces dispositions sont proportionnées à l'objectif de protection de la santé poursuivi par le législateur.
La consommation de tabac engendre 78 000 morts par an, soit 14 % des décès en France et constitue la première cause de mortalité évitable. Le tabac tue vingt fois plus que les accidents de la route. Il constitue également la première cause de cancer.
Malgré les différentes actions menées depuis de nombreuses années, la consommation de tabac reste en France à des niveaux préoccupants. Les derniers résultats du baromètre santé pour 2014 (1) montrent que 34 % des Français de 15 à 75 ans sont fumeurs et que 28,2 % fument tous les jours, soit 13,2 millions de personnes. Parmi les hommes de 20 à 44 ans, les niveaux de tabagisme quotidien sont proches de 40 %. Parmi les femmes de 20 à 54 ans, presqu'un tiers fume quotidiennement.
Et l'entrée dans le tabagisme reste extrêmement importante parmi les jeunes. En 2014, près de 7 adolescents de 17 ans sur dix ont déjà fumé une cigarette. L'usage quotidien du tabac continue de progresser dans cette population, passant de 31,5 % en 2011 à 32,4 % en 2014. Cette augmentation résulte principalement d'une progression chez les filles (+ 1,7 point). Plus de 6 % des filles et 9 % des garçons fument plus de 10 cigarettes par jour. Ce sont chaque année 250 000 jeunes qui commencent à fumer.
L'instauration du paquet neutre permettra d'améliorer cette situation.
Le conditionnement du paquet de cigarettes est utilisé par les industriels du tabac pour conférer à leurs marques une image positive et attirer de nouveaux consommateurs. Cette dimension est un élément important de la stratégie mise en œuvre par les industriels pour conquérir de nouveaux consommateurs. Des recherches ont confirmé que les logos, les visuels et les couleurs présents sur les paquets de cigarettes suffisent pour rappeler aux consommateurs l'univers des marques de tabac.
Face à cette influence du conditionnement, le paquet neutre est une mesure efficace permettant de réduire la prévalence du tabac.
Plus de 60 études ont été réalisées afin de tester l'intérêt du paquet neutre dans une politique globale de lutte contre le tabagisme. Selon ces recherches, celui-ci permet d'améliorer la visibilité, la mémorisation et l'efficacité des avertissements sanitaires, d'éviter la désinformation des consommateurs quant à la réelle dangerosité du tabac, d'augmenter l'envie d'arrêter de fumer et de diminuer la consommation. Concernant les adolescents, le paquet neutre ne donne pas envie d'être acheté ni de commencer à fumer, supprime la fonction marketing de l'emballage, réduit l'attractivité de la marque et rend moins séduisant l'acte de fumer.
Les chercheurs soulignent que le paquet neutre est d'autant plus efficace qu'il est combiné à des avertissements sanitaires visuels de grande taille qui suscitent des émotions négatives et motivent les fumeurs à arrêter ou diminuer leur consommation de tabac.
Les études menées en Australie depuis la mise en place du paquet neutre en décembre 2012 démontrent les éléments suivants :
Concernant les fumeurs adultes :

- ils ont davantage arrêté de fumer, sont davantage motivés à arrêter de fumer, ont plus fréquemment écrasé une cigarette qu'ils avaient commencé à fumer (2) ;
- ils réagissent davantage aux avertissements sanitaires insérés sur des paquets neutres : davantage remarqués, ces messages leur...

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