Observations du Gouvernement sur la loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0076 du 31 mars 2018
Date de publication31 mars 2018
Record NumberJORFTEXT000036755708


Le Conseil constitutionnel a été saisi d'un recours de plus de soixante députés contre la loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


I. - Une première série de griefs est dirigée contre les dispositions des articles L. 2253-1 à L. 2253-3 du code du travail tels que modifiés par l'article 1er de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, l'article 1er de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social et les 14° et 15° du I de l'article 2 de la loi déférée, ainsi que contre l'article 16 de l'ordonnance n° 2017-1385. Ces dispositions, qui régissent les rapports entre conventions de branche (ou accords couvrant un champ territorial ou professionnel plus large) et accords d'entreprise ou d'établissement, sont critiquées comme méconnaissant l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, la liberté contractuelle et le principe de participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail.
1° En ce qui concerne, en premier lieu, les dispositions pérennes des articles L. 2253-1 et suivants du code du travail, il sera rappelé à titre liminaire qu'elles définissent la nature des rapports entre conventions de branche et accords d'entreprise en fonction des domaines concernés, répartis en trois catégories. Dans la première, qui comporte treize matières, la convention de branche prévaut sur les accords d'entreprise contraires, qu'ils soient antérieurs ou postérieurs ; tel n'est le cas, dans la deuxième catégorie (prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels, insertion professionnelle et maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés, conditions de désignation des délégués syndicaux et valorisation de leur parcours syndical, primes pour travaux dangereux ou insalubres), que lorsque la convention de branche le stipule expressément par une clause dite « de verrouillage » ; dans la troisième catégorie enfin, qui vise tous les autres domaines, les stipulations des accords d'entreprise priment sur celles des conventions de branche ayant le même objet, qu'elles soient antérieures ou postérieures, celles-ci n'ayant donc plus qu'une portée supplétive.
Loin d'introduire, comme le soutiennent les députés requérants, de la confusion dans l'identification des normes conventionnelles effectivement applicables, ces dispositions remplissent une fonction de sécurisation juridique qui permet le développement de la négociation d'entreprise, entravée par les incertitudes antérieures liées à la stratification des régimes successivement issus de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail et de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, tout en renforçant le rôle de régulation économique de la branche.
Ainsi, d'une part, les domaines respectivement visés par les trois articles critiqués du code du travail sont-ils définis d'une manière claire et excluant tout risque de recoupement, contrairement aux allégations, d'ailleurs dépourvues de toute précision, des auteurs de la saisine. Ainsi, d'autre part, la notion de « garanties équivalentes », dont la caractérisation permet, dans les domaines relevant de la première catégorie, à un accord d'entreprise comportant des stipulations différentes de celles de l'accord de branche de ne pas être écarté sur ce point, est-elle dépourvue d'ambiguïté, alors surtout que le b du 14° du I de l'article 2 de la loi déférée est venu préciser au dernier alinéa de l'article L. 2253-1 que cette équivalence s'apprécie par ensemble de garanties se rapportant à la même matière de négociation ; la notion n'est d'ailleurs pas sans précédents dans d'autres branches du droit (voir ainsi l'article L. 864-2 du code de la sécurité sociale, à propos de la couverture complémentaire santé).
S'il est enfin soutenu qu'aucun dispositif ne garantit que soient portées à la connaissance des intéressés les normes conventionnelles effectivement applicables après résolution des conflits selon les principes rappelés plus haut, il sera observé à cet égard que, selon l'article R. 2262-1 du code du travail, l'employeur est tenu, à défaut de convention de branche ou accord professionnel prévoyant d'autres modalités, de donner aux salariés, au moment de l'embauche, une notice les informant des textes conventionnels applicables dans l'entreprise ou l'établissement et de tenir à leur disposition, sur le lieu de travail et le cas échéant sur l'intranet, une version à jour de ces textes.
A aucun égard donc, les dispositions critiquées ne sauraient être regardées comme méconnaissant l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 (décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, cons. 9) ni comme mettant indirectement en cause le droit à un recours juridictionnel effectif contre les accords collectifs.
2° En ce qui concerne, en second lieu, les dispositions transitoires de l'article 16 de l'ordonnance n° 2017-1385 déterminant le sort, au regard de cette nouvelle hiérarchie, des conventions et accords conclus antérieurement à son entrée en vigueur, leur économie s'articule autour de trois grands principes.
Le IV a ainsi prévu que, dans les matières relevant de la troisième catégorie, pour lesquelles prévalent désormais, le cas échéant, les accords d'entreprise, les clauses des conventions de branche en vigueur, quelle que soit leur date de conclusion, cesseraient de produire leurs effets vis-à-vis des accords d'entreprise à compter du 1er janvier 2018 ; une période de transition de plus de trois mois a ainsi été laissée, à des fins de sécurité juridique, aux acteurs de la négociation collective et aux salariés.
Dans les matières relevant de la deuxième catégorie, dans lesquelles la convention de branche ne prévaut désormais le cas échéant qu'en vertu d'une stipulation expresse, les I et II de l'article 16 prévoient que les clauses dites « de verrouillage » résultant de conventions de branche conclues sous l'empire de la législation antérieure devront, pour continuer à produire leurs effets vis-à-vis des accords d'entreprise, être confirmées par voie d'avenant conclu avant le 1er janvier 2019 - et ceci que ces anciennes clauses soient explicites ou implicites, comme elles pouvaient l'être, dans le régime issu de l'article 45 de la loi du 4 mai 2004 abrogé par le III de l'article 16 de l'ordonnance n° 2017-1385, lorsqu'elles résultaient de conventions alors déjà en vigueur.
Les députés requérants voient là une atteinte inconstitutionnelle à la liberté contractuelle protégée par l'article 4 de la Déclaration de 1789. Le Gouvernement ne partage pas cette appréciation dès lors que les atteintes ce faisant portées aux conventions de branche légalement conclues sont justifiées par des motifs d'intérêt général suffisant (sur cette exigence voir la décision n° 2017-685 QPC du 12 janvier 2018, paragraphe 15, ou, plus anciennement et en substance, la décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000, cons. 40 à 42), tirés, d'une part, de l'intelligibilité de la norme conventionnelle applicable et, partant, de la sécurité juridique des acteurs du dialogue social, et, d'autre part, du renforcement de la négociation d'entreprise. Le délai, supérieur à un an, laissé aux intéressés pour s'approprier la nouvelle articulation des conventions de branche et accords d'entreprise est en outre suffisant.
Aucune atteinte au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises, qui est protégé par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et dont il revient au législateur de déterminer les conditions de mise en œuvre (décision n° 77-79 DC du 5 juillet 1977, cons. 3 ; décision n° 2017-652 QPC du 4 août 2017, paragraphe 5), ne saurait par ailleurs être caractérisée dans les dispositions contestées. Celles-ci, en effet, donneront au contraire à ce principe une portée plus effective en permettant de relancer la négociation collective, tant au niveau des branches, pour la conclusion d'avenants, que des entreprises, mieux éclairées désormais sur les responsabilités qui leur incombent. L'éventualité d'un échec des négociations sur un avenant, qui est inhérent au principe même de la négociation, ne saurait par ailleurs s'analyser comme un droit de veto conféré à l'une et l'autre des parties.
Il apparaît ainsi que l'ensemble des griefs soulevés à l'encontre des dispositions relatives aux rapports entre conventions de branche et accords d'entreprise devront être écartés.
II. - Est ensuite contesté, en ce qu'il porterait atteinte à la liberté contractuelle ainsi qu'au droit d'obtenir un emploi garanti par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, et en ce qu'il serait entaché d'incompétence négative, l'article L. 2254-2 du code du travail tel que modifié par l'article 3 de l'ordonnance n° 2017-1385 et le 16° du I de l'article 2 de la loi déférée. Cette disposition, qui harmonise et simplifie les conditions de recours aux différents accords dits « de compétitivité » dans les diverses formes que leur avait successivement données le législateur (accords de réduction du temps de travail, accords de mobilité géographique et professionnelle interne...

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