Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0062 du 15 mars 2011
Date de publication15 mars 2011
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000023708212



Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours identiques dirigés contre la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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I. - Sur l'article 1er


A. ― Les auteurs des saisines font grief à l'article 1er de la loi, approuvant le rapport sur les objectifs et les moyens de la sécurité intérieure à l'horizon 2013 qui lui est annexé, d'être dépourvu de valeur normative, ce qui justifierait sa censure au regard des exigences issues de la décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 relative à la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.
Ce débat est toutefois inopérant en l'espèce. La loi déférée revêt en effet le caractère d'une loi de programmation prise sur le fondement de l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution. Dans ces conditions, les objectifs qui y sont présentés n'ont pas à être revêtus de la portée normative qui doit en principe s'attacher à la loi. C'est ainsi dans le respect des exigences constitutionnelles que l'article 1er a pu approuver le rapport annexé à la loi, sans que le caractère rétrospectif de certains éléments qu'il contient ou l'absence en son sein de dispositions de nature budgétaire revêtent d'incidence sur la régularité de cette approbation.


II. - Sur l'article 4


A. ― Les auteurs des saisines font grief à l'article 4 de la loi déférée, qui confère à l'autorité administrative le pouvoir d'empêcher l'accès à certains sites internet diffusant des images ou des représentations à caractère pédopornographique, d'avoir opté pour un dispositif inefficace au regard de l'objectif poursuivi et de porter une atteinte excessive à la liberté de communication en ne prévoyant pas une intervention préalable du juge pour encadrer ce pouvoir.
B. ― Le Gouvernement estime que ces griefs devront être écartés.
1. Sur l'efficacité du régime retenu.
L'article 4 crée un mécanisme de blocage de l'accès à certains sites précisément identifiés par l'entremise des fournisseurs d'accès à internet. Il s'inspire de dispositifs analogues déjà en vigueur dans certains pays, comme la Suède, la Norvège, le Danemark ou les Pays-Bas. Il est né de la concertation avec les représentants des fournisseurs d'accès. Sa faisabilité technique a été expertisée, notamment par le conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies.
En pratique, le ministre de l'intérieur adressera aux fournisseurs d'accès à internet une liste des adresses des sites dont l'accès doit être interdit à raison des contenus à caractère pédopornographique qu'ils diffusent.
Cette façon de procéder est la seule adaptée, en l'état actuel de la technique, pour bloquer l'accès à des sites hébergés à l'étranger. Les mécanismes de coopération judiciaire internationale sont encore trop lourds à mettre en œuvre et inaptes à perturber le fonctionnement de sites nombreux et volatils. Au surplus, le risque, évoqué par les auteurs des saisines, de « surblocage » d'un site entier alors que seule l'une des pages de ce site diffuserait un contenu pédopornographique ne doit pas être surestimé. Il dépend en effet de la technique de blocage mise en œuvre (par DNS, par adresse IP, par serveur). Le décret prévu par la loi prévoira le mode de blocage le plus fin possible assurant par ailleurs le respect d'un bon usage des deniers publics, dès lors que, comme le prévoit expressément l'article 4, les éventuels surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs seront intégralement compensés.
Dans ces conditions, le Gouvernement estime que les modalités retenues par le législateur ne sont pas manifestement inappropriées au but poursuivi.
2. Sur l'atteinte à la liberté de communication.
Sans doute l'article 4 de la loi déférée affecte-t-il la liberté de communication. Mais contrairement à ce qu'estiment les auteurs des saisines, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence en ne subordonnant pas l'exercice du pouvoir conféré au ministre de l'intérieur à l'intervention préalable d'un juge.
La compétence reconnue au ministre s'analyse en effet comme un pouvoir de police administrative spéciale, destiné à prévenir les comportements contraires à l'ordre public. De ce point de vue, la référence opérée par l'article 4 de la loi déférée à l'article 227-13 du code pénal ne doit pas se comprendre comme traduisant la volonté d'inscrire le dispositif prévu par cet article dans une procédure répressive, mais comme une limitation du champ matériel d'intervention de l'autorité administrative pour exercer la compétence préventive qui lui est octroyée.
Le Gouvernement estime que ce pouvoir de police spéciale a pu être instauré sans priver de garantie légale le respect de la liberté de communication.
Contrairement à ce que font valoir les auteurs des saisines, il ne lui apparaît pas, en particulier, que l'article 4 de la loi déférée puisse être assimilé au dispositif examiné par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la décision n° 2009-580 du 10 juin 2009 relative à la loi dite « Hadopi ».
Dans cette décision, il a été jugé que, pour l'exercice d'un pouvoir de sanction à l'encontre de l'ensemble de la population et au regard de l'objectif poursuivi qui était de protéger les droits d'auteur et les droits voisins, l'intervention préalable d'un juge était requise pour assurer le respect de la liberté de communication par internet.
Or en l'espèce, aucun pouvoir de sanction n'est reconnu à l'autorité administrative. Le pouvoir de police spéciale ne s'exercera pas à l'encontre de l'ensemble de la population mais uniquement à l'encontre des animateurs de sites diffusant des contenus pédopornographiques. Il n'aura par ailleurs ni pour objet ni pour effet de priver les personnes concernées de leur accès à l'internet mais uniquement de bloquer l'accès des tiers à certains contenus mis en ligne. En outre, l'objectif poursuivi par le législateur obéit à un objectif éminent de protection de l'ordre public. Dans ces conditions le législateur a pu, sans méconnaître aucune règle ni aucun principe à valeur constitutionnelle, faire le choix de ne pas subordonner la possibilité de bloquer un site internet diffusant un contenu pédopornographique à l'intervention préalable d'un juge.
Il convient de signaler au demeurant que les mesures décidées par le ministre de l'intérieur pourront faire l'objet d'un recours en annulation devant le juge administratif qui vérifie traditionnellement dans ce type de situation la proportionnalité des moyens retenus au but poursuivi, y compris lorsqu'il est saisi en référé sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qui lui ouvre le pouvoir d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales, au nombre desquelles figure la liberté de communication. Et le recours revêtira un caractère effectif approprié à la matière : dans ce cas, le juge se prononce en effet dans un délai de quarante-huit heures.
Au bénéfice de ces considérations, les griefs des auteurs des saisines pourront être écartés.


III. - Sur l'article 11


A. ― L'article 11 de la loi déférée a notamment pour objet d'insérer dans le code de procédure pénale des dispositions qui figuraient jusqu'alors aux articles 21 et 21-1 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, respectivement relatifs au régime des fichiers de police d'antécédents et des fichiers de police servant à l'analyse sérielle.
Les auteurs de la saisine n'articulent de critique expresse que contre le régime des fichiers d'antécédents. Ils font tout d'abord valoir que l'imprécision du fichier STIC constatée par la CNIL dans son rapport pour 2009 justifie que les réserves d'interprétation sous le bénéfice desquelles l'article 21 de la loi du 18 mars 2003 avait été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 soient renforcées. Ils soutiennent en outre que le régime différencié d'effacement des classements sans suite selon leurs motifs prévu par l'article 11 est contraire au principe d'intelligibilité de la loi et au principe d'égalité. Il est par ailleurs demandé au Conseil constitutionnel de se prononcer expressément sur la conformité à la Constitution du régime des fichiers d'analyse sérielle.
B. ― Le Gouvernement estime que les régimes prévus pour ces deux types de fichiers de police judiciaire sont conformes à la Constitution.
1. S'agissant des fichiers d'antécédents.
a. Il convient tout d'abord de signaler que les exigences fixées par la décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 sont respectées par les dispositions que l'article 11 introduit dans le code de procédure pénale.
Les principales garanties prévues par la loi du 6 janvier 1978 continueront de s'appliquer aux traitements créés en application de ces dispositions.
Il en est ainsi du principe de finalité des fichiers, qui se traduit notamment, lorsque ceux-ci seront utilisés à des fins administratives, par la règle selon laquelle les éléments contenus dans les fichiers ne constituent, dans chaque cas, qu'un élément de la décision prise, sous le contrôle du juge, par l'autorité administrative.
Le principe de proportionnalité conserve lui aussi toute sa rigueur : il est toujours fait obligation au décret qui interviendra désormais en application de l'article 230-11 du code de procédure pénale de prévoir une durée de conservation limitée par la nécessité première des fichiers qui est d'identifier les auteurs d'infraction.
Le droit d'accès et de rectification est pour sa part renforcé par l'intervention, désormais prévu par le nouvel article 230-6 du code de procédure pénale, d'un magistrat chargé de suivre la mise à jour des données contenues dans les fichiers. Dans le régime à venir, il incombera toujours au procureur de la République de contrôler dans le fichier les données...

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