Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi de finances pour 2010

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0303 du 31 décembre 2009
Record NumberJORFTEXT000021560045
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication31 décembre 2009



Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi de finances pour 2010.
Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


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I. - Sur l'application du principe de sincérité


Les auteurs de la saisine font grief à la loi de finances pour 2010 d'être fondée sur des hypothèses de croissance exagérément pessimistes, de sous-évaluer les dotations affectées à certaines missions, de détourner l'objet des mises en réserve de crédits et de ne pas comporter les dispositions relatives au « grand emprunt » annoncé par les pouvoirs publics, en méconnaissance des prescriptions de l'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette analyse.
A. ― Sur la sincérité des hypothèses macroéconomiques fondant le budget pour l'année 2010.
1. Les requérants estiment en premier lieu que l'hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement (0,75% du PIB), inférieure à la moyenne des hypothèses des conjoncturistes, révèle une sous-estimation volontaire destinée à masquer des sous-budgétisations.
La thèse des auteurs de la saisine repose, semble-t-il, sur l'idée que le Gouvernement aurait occulté par ce biais un volant de recettes qu'il lui serait loisible d'affecter ultérieurement de manière discrétionnaire en échappant à toute discussion budgétaire préalable.
Cette thèse ne résiste pas à l'analyse. Depuis la révision de la LOLF intervenue en 2005, le Gouvernement est en effet amené à prévoir ex ante l'affectation d'éventuels surplus de recettes, dès le stade de la discussion du projet de loi de finances. La LOLF dispose en effet désormais à son article 34 que la loi de finances « arrête les modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations de la loi de finances de l'année, du produit des impositions de toute nature ». La loi de finances pour 2010 dispose en l'occurrence à son article 67, qui est l'article d'équilibre, que de tels surplus seraient affectés à la réduction du déficit.
Il convient d'ajouter, en pratique, que, depuis la loi de finances initiale pour 2003, le Gouvernement s'est toujours astreint à respecter en exécution l'autorisation parlementaire de dépense accordée en loi de finances initiale, et ce quelle que soit l'hypothèse de croissance économique ou son écart éventuel par rapport à la prévision. C'est tout le sens d'un pilotage du budget de l'Etat fondé sur une norme de dépense : le fait que les recettes fiscales s'avèrent plus élevées que prévu, grâce à une croissance supérieure aux prévisions, n'a nullement pour effet de fournir davantage de marge de manœuvre au Gouvernement sur l'exécution en dépenses du PLF.
2. Les auteurs de la saisine estiment en second lieu qu'indépendamment de toute manœuvre les hypothèses de croissance « exagérément pessimistes » ont pour effet de rendre insincère la loi de finances prise dans son ensemble.
Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.
Il convient de souligner, tout d'abord, que l'estimation de croissance retenue par le Gouvernement se trouve dans le cœur de fourchette des prévisions élaborées par les conjoncturistes, comprises entre 0,5 % (Natixis) et 1,5 % (Exane BNP-Paribas). Parmi 17 conjoncturistes ayant formé des hypothèses de croissance, cinq d'entre eux avaient émis des hypothèses inférieures à celle du Gouvernement. Le choix retenu par le Gouvernement était donc crédible au moment où il a été formé. Il sera en outre souligné que celui-ci demeure plus élevé que les prévisions moyennes retenues pour la zone euro à la même période : la Commission européenne prévoyait pour 2010 une décroissance moyenne de 0,1 % pour la zone euro.
En tout état de cause, à supposer que le taux de croissance observé fasse apparaître que l'hypothèse retenue par le Gouvernement était sous-évaluée, un tel grief ne saurait conduire à l'annulation de la loi de finances pour 2010.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel tient en effet compte de la nature aléatoire des prévisions (voir en ce sens la décision n° 2004-511 DC du 29 décembre 2004 relative à la LFI 2005 : « les prévisions de recettes sont inévitablement affectées des aléas inhérents à de telles estimations et des incertitudes relatives à l'évolution de l'économie »). Dans un contexte de sortie progressive de la crise économique et financière, cette incertitude est particulièrement forte, à la hausse comme à la baisse.
Il sera observé en outre que l'écart avec la moyenne des prévisions reste limité (à 0,5 %, comme le mentionnent eux-mêmes les auteurs de la saisine), ce qui ne peut être considéré comme une « erreur manifeste », qui seule pourrait être sanctionnée au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir en ce sens la décision n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003 relative à la LFI pour 2004, au sujet de l'hypothèse de croissance et de la prévision de déficit budgétaire).
A toutes fins utiles, le Gouvernement souhaite, enfin, souligner que le surplus de recettes budgétaires (+ 10 Mds d'euros), supposément lié au surcroît de croissance de + 0,5 % postulé par les auteurs de la saisine, est nettement surévalué par ces derniers. Sur la base d'un PIB représentant environ 2 000 Mds d'euros, 0,5 % de croissance supplémentaire équivaut en effet précisément à 10 Mds d'euros de richesse supplémentaire produite. L'assertion des requérants revient à estimer que la totalité de cette richesse supplémentaire viendrait alimenter les caisses du seul Etat, à l'exclusion des autres administrations publiques et du « pouvoir d'achat » des acteurs économiques privés. Cette hypothèse ne semble pas conforme au fonctionnement normal d'une économie de marché.
B. ― Sur la sincérité des autorisations de crédits.
Les auteurs de la saisine critiquent dans le budget pour l'année 2010 des sous-budgétisations supposées, en s'appuyant sur le rapport de la Cour des comptes relatif aux mouvements de crédits par voie administrative au titre de l'année 2009 (prévu par le 6° de l'article 58 de la LOLF).
1. Le Gouvernement souhaite, à titre liminaire, faire valoir quelques éléments de nature générale qui relativisent nettement la portée de l'argumentation développée dans la requête.
Il convient tout d'abord de noter que la Cour des comptes ne fait elle-même état dans son rapport que de risques et non de sous-dotations avérées. Elle n'affirme en outre pas que les sous-dotations constatées en 2009 devraient être mécaniquement considérées comme des sous-budgétisations au titre de l'année 2010.
A supposer d'ailleurs qu'une telle transposition soit admise, le montant de la sous-budgétisation alléguée (1,143 Md€) demeurerait modeste au regard des masses budgétaires concernées ; dans ses rapports antérieurs, la Cour des comptes a déjà fait état de chiffres plus importants que ceux mentionnés dans le rapport de 2009 (rapport 2008 : estimation de 4,109 Mds d'euros pour l'année 2008 ; rapport 2007 : estimation de 3 Mds d'euros, au moins, pour l'année 2007).
Plus fondamentalement, le Gouvernement est d'avis que l'argumentation des auteurs de la saisine repose sur un parti contestable sur le plan méthodologique. S'agissant des dépenses discrétionnaires, les insuffisances en fin de gestion 2009 ne peuvent être considérées automatiquement comme des sous-dotations en 2010, sauf à nier toute capacité des pouvoirs publics à conduire des réformes ou à réaliser des économies. Quant aux dépenses obligatoires, le PLF 2010 n'étant pas construit dans le même contexte économique que l'exécution 2009, le volume des dépenses de guichet n'évoluera pas de la même manière ; on ne saurait donc partir du principe que les sous-budgétisations de 2009 seront à nouveau constatées en 2010. Dans le cadre budgétaire de la LOLF, dans lequel les crédits sont fongibles à l'intérieur de chaque programme, un accroissement ou une baisse de certaines dépenses par rapport aux crédits initialement budgétés doit se traduire par des économies ou des possibilités de redéploiements équivalentes sur d'autres crédits du programme.
2. Pris isolément, aucun des quatre griefs articulés par les auteurs de la saisine ne pourra, par ailleurs, être retenu.
a) La mission « Défense » n'est pas affectée d'une sous-budgétisation de 300 M€ sur les opérations extérieures (OPEX).
Les chiffres de l'année 2009 sur les opérations extérieures sont encore estimatifs et provisoires. Il faut par ailleurs signaler que la provision relative aux OPEX a été fortement revalorisée au fil du temps. Elle est passée de 25 M€ en LFI 2004 à 510 M€ en LFI 2009. Pour 2010, le taux de budgétisation devrait encore s'améliorer (570 M€ budgétés). Il est d'ores et déjà prévu par la loi de programmation militaire que la provision sera augmentée à nouveau de 60 M€ en 2011 et portée à 630 M€.
Le Gouvernement souhaite faire observer, en tout état de cause, que l'ambition d'un taux de budgétisation de 100 % des OPEX n'apparaît ni réaliste ni même souhaitable, dès lors que les surcoûts de ces opérations, quoique pour partie prévisibles, restent cependant marqués par une réelle imprévisibilité résiduelle, liée aux décisions relatives à l'engagement des forces armées dans de telles opérations.
b) La mission « Travail et emploi » ne se trouve pas mécaniquement affectée d'une sous-budgétisation de 378,2 M€.
L'insuffisance de budgétisation au titre de l'année 2009, année de crise économique, ne peut être considérée comme de nature à entraîner ipso facto une insuffisance au titre de 2010, s'agissant d'une mission qui comporte une part importante de dépenses « de guichet », dont l'évolution est fortement corrélée au contexte économique et social. Cette mission bénéficie par ailleurs massivement des crédits du « Plan de relance de l'économie ». Il serait donc tout à fait paradoxal de considérer que cette mission se trouve sous-dotée.
En outre, l'insuffisance en fin de gestion 2009 n'a pas vocation à être de nouveau...

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