Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°136 du 14 juin 1998
Date de publication14 juin 1998
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000193685

Aux termes du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ». Or la persistance d'un taux élevé du chômage, en dépit des politiques mises en oeuvre depuis une vingtaine d'années, prive d'effectivité l'objectif que le constituant a ainsi assigné aux pouvoirs publics.

Il appartenait donc à ceux-ci d'intervenir, et notamment au Parlement, dans le cadre de la compétence que l'article 34 de la Constitution lui attribue pour fixer les règles concernant les principes fondamentaux du droit du travail. Comme le Conseil constitutionnel l'a souligné dans sa décision no 83-156 DC du 28 mai 1983, il appartient ainsi au législateur « de fixer les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d'obtenir un emploi, en vue de permettre l'exercice de ce droit au plus grand nombre possible d'intéressés ».

C'est dans cette perspective, et alors qu'il apparaît que l'amélioration de la croissance ne peut suffire à réduire significativement le chômage à brève échéance, que le Gouvernement a saisi le Parlement d'un projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail. La création d'emplois, leur sauvegarde ou leur stabilisation peuvent, en effet, être favorisées par un aménagement de la durée du travail, dont la réduction est en outre de nature à répondre aux attentes des salariés, en améliorant leurs conditions de vie et de travail.

Tel est l'objet du texte qui a été adopté le 19 mai 1998, et qui a été déféré au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés. Leur recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

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I. - Sur l'exercice de sa compétence par le législateur

A. - Tout en fixant clairement un objectif, la loi déférée n'a pas, d'emblée, défini l'ensemble des modalités permettant de l'atteindre.

Elle a entendu privilégier la négociation sociale en vue de permettre, dans chaque branche et dans chaque entreprise, la meilleure adaptation du processus de réduction du temps de travail à la diversité des situations. Elle incite à de telles négociations en fixant un cadre et en organisant un dispositif d'aide financière, d'autant plus important que les entreprises auront engagé rapidement la réduction et la réorganisation du temps de travail.

Ainsi, l'article 1er de la loi pose le principe de la réduction de la durée légale du travail et en fixe la première étape, pour les entreprises de plus de 20 salariés, au 1er janvier 2000. La seconde étape, pour l'ensemble des entreprises, est prévue au 1er janvier 2002. L'article 2 a pour objet d'inviter les organisations patronales et syndicales représentatives à négocier, d'ici au 1er janvier 2000, les modalités de réduction effective de la durée collective du travail les plus adaptées à la situation de chaque branche ou de chaque entreprise, voire de chaque établissement. Ce sera, en effet, aux négociations conduites à ces niveaux de définir le contenu que prendra concrètement la réduction du temps de travail. Ses modalités pourront être très variées, et utiliser les possibilités d'aménagement négocié du temps de travail déjà prévues par la législation.

Corrélativement, l'article 3 de la loi pose le principe d'un dispositif d'aide financière applicable aux entreprises qui négocient, avant les échéances fixées par l'article 1er, une réduction d'au moins 10 % de la durée collective du travail, en portant leur horaire collectif à 35 heures ou moins. Il en définit le champ d'application, fixe le régime du dispositif applicable aux entreprises qui s'engagent à créer des emplois, celui du dispositif tourné vers la sauvegarde de l'emploi, et précise enfin certaines dispositions qui leur sont communes.

Enfin, il est prévu qu'un bilan des négociations sur le temps de travail sera tiré au deuxième semestre de l'année 1999, en concertation avec les partenaires sociaux.

Pour contester la démarche ainsi adoptée par le législateur, les auteurs de la saisine lui font grief de méconnaître une exigence qui, selon eux, serait de nature constitutionnelle, de « clarté de la loi ». La loi aurait ainsi pour défaut de troubler les perspectives économiques et sociales, sans fournir, pour autant, d'indications certaines sur les règles qui s'appliqueront ultérieurement. Ce faisant, le Parlement aurait, selon les requérants, péché par « incompétence négative », en raison de l'imprécision qui, à leurs yeux, affecterait plusieurs dispositions : celles de l'article 2, appelant les partenaires sociaux à négocier ; celles de l'article 3 qui ne contiendraient pas les précisions que les députés saisissants auraient voulu trouver dans la loi et procéderaient, indûment, à des renvois au pouvoir réglementaire.

B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.

A titre liminaire, le Gouvernement entend formuler les observations suivantes, s'agissant du cadre juridique au regard duquel il convient d'apprécier les mérites de ces critiques.

Contrairement à ce que soutient la saisine, le principe dégagé par la décision no 87-226 DC du 2 juin 1987 ne peut être utilement invoqué pour critiquer l'imprécision alléguée de la loi. Cette décision ne traite en effet que des exigences de loyauté et de clarté qui doivent présider à toute consultation électorale, mettant ainsi en oeuvre, dans le cas particulier d'une consultation organisée en application de l'article 53 de la Constitution, le principe de la liberté du suffrage. Tout autre est, évidemment, l'objet de la loi.

De même les requérants font-ils vainement valoir que certaines dispositions de la loi, dépourvues selon eux de valeur normative, devraient être considérées comme « inopérantes ». A supposer, en effet, que cette analyse soit exacte, les dispositions en cause ne pourraient, par définition, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, être censurées comme contraires à la Constitution (no 82-142 DC du 27 juillet 1982).

En réalité, la seule question pertinente est celle des autorités compétentes pour assurer la mise en oeuvre des dispositions, rappelées plus haut, du cinquième alinéa du Préambule de 1946 : comme le relève la décision précitée du 28 mai 1983, ce n'est qu'au titre des « principes fondamentaux du droit du travail » qu'il appartient au législateur de définir les règles permettant d'assurer cette mise en oeuvre. En outre, celle-ci doit également tenir compte des dispositions du huitième alinéa du Préambule aux termes desquelles « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».

Il en résulte que la compétence attribuée au législateur par l'article 34 de la Constitution n'interdit pas, bien au contraire, que la détermination des modalités concrètes de mise en oeuvre des objectifs du Préambule fasse l'objet d'une concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives (en ce sens, voir les décisions no 89-257 DC du 25 juillet 1989, no 93-328 DC du 16 décembre 1993 et no 96-383 DC du 6 novembre 1996).

De même est-il constant que la limitation de la compétence du législateur en ces matières, par l'article 34 de la Constitution, à la notion de « principes fondamentaux » l'autorise à laisser au pouvoir réglementaire - en dehors des questions qui sont renvoyées à la négociation collective - une importante compétence normative.

De manière générale d'ailleurs, le Gouvernement entend souligner que le grief d'« incompétence négative » ne peut être utilement invoqué, et déboucher le cas échéant sur une censure, que lorsque le législateur est véritablement resté en deçà de la compétence que l'article 34 de la Constitution lui fait obligation d'exercer : c'est dire qu'un tel moyen est inopérant lorsque les dispositions en cause ne sont pas au nombre de celles que la Constitution range dans le domaine de la loi.

Au regard de ces principes, le Gouvernement considère qu'aucune des dispositions critiquées par les auteurs de la saisine n'encourt la censure.

1. En premier lieu, et contrairement à ce qu'ils soutiennent, aucune contradiction n'existe entre l'article 1er et l'article 9, devenu 13, du texte adopté. C'est, en particulier, à tort que les requérants indiquent que le législateur « renvoie expressément à des lois complémentaires » : au contraire, il résulte clairement de l'article 13 qu'il se borne à prévoir le dépôt d'un rapport dressant un bilan de l'application de la loi.

Il est certes exact que le Gouvernement a annoncé qu'il entendait proposer au Parlement, avant la fin de l'année 1999, un projet de loi qui permettra notamment de tirer les enseignements des négociations qui auront été conduites d'ici là.

Mais l'annonce de cette intention est évidemment sans incidence sur la constitutionnalité de la présente loi. S'agissant plus particulièrement de l'article 1er de la loi, il épuise la compétence du législateur et se suffit à lui-même pour les effets que le législateur a entendu lui donner : modifier, à champ...

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