Observations du Gouvernement sur les recours contre la loi relative à la transparence de la vie publique

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0238 du 12 octobre 2013
Record NumberJORFTEXT000028056563
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication12 octobre 2013



Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs de deux recours dirigés contre la loi relative à la vie publique.


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Le Gouvernement souhaite d'abord rappeler les principes qui fondent cette loi relative à la transparence de la vie publique.
Elle est guidée, comme la loi organique qui lui est associée, par le souci de conforter le respect des valeurs fondamentales que sont la probité, l'impartialité et la responsabilité, à même de garantir le caractère démocratique des institutions de la République.
La loi a d'abord un objet préventif. Elle vise à éviter que des personnes occupant des mandats ou des fonctions publiques se trouvent en situation de conflit d'intérêts. La déclaration que ces personnes devront remplir est un outil devant leur permettre d'apprécier si, en fonction des situations, elles doivent ou non s'abstenir ― et si le champ des intérêts déclarés est plus large que celui des intérêts couverts par des prohibitions pénales, c'est précisément parce que l'objectif n'est pas le même. Dans ce cadre, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peut jouer le rôle de conseil déontologique et inviter, le cas échéant, la personne concernée à s'abstenir d'intervenir dans un dossier particulier ou de prendre part à une décision.
La loi répond aussi à un souci de meilleur contrôle. S'inscrivant dans le prolongement de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, elle met en place un dispositif renforcé de déclarations de patrimoine pour assurer le contrôle de l'évolution du patrimoine des personnes occupant les fonctions publiques les plus importantes, dans le but d'écarter tout soupçon d'enrichissement illégitime.
Les obligations de déclaration créées ou précisées par la loi, les conditions dans lesquelles elles sont rendues publiques, l'étendue des compétences confiées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, l'institution de sanctions pénales destinées à assurer l'effectivité des nouvelles obligations, l'extension des règles relatives au « pantouflage » constituent un ensemble de mesures qui concourent à la réalisation de l'objectif poursuivi par le législateur.
Il s'agit non seulement de créer des procédures propres à mieux garantir l'impartialité, la probité et l'objectivité des décideurs publics mais aussi de renforcer la confiance des citoyens dans les institutions. La transparence de ces procédures, qui passe par l'édiction de règles suffisamment claires et précises pour être connues de tous et par le droit reconnu au public de vérifier par lui-même les conditions de mise en œuvre de ces règles, permet à la fois de renforcer l'efficacité des contrôles et de la prévention et de conforter la confiance des citoyens.
Les comparaisons internationales dont rend compte l'étude d'impact jointe au projet de loi témoignent de l'importance du lien établi, dans la plupart des grandes démocraties, entre l'existence de déclarations d'intérêts et de patrimoine, rendues publiques, et la confiance des citoyens dans la qualité du fonctionnement démocratique des institutions. Une grande majorité de pays de l'Union européenne ont adopté des règles imposant la publicité, au moins partielle, des déclarations d'intérêts, de patrimoine et de revenus des principaux responsables publics. De telles règles ont été adoptées au Royaume-Uni dès 1974 ; elles se sont généralisées dans l'Union européenne au cours des années 1990-2000 et la France fait aujourd'hui figure d'exception en étant un des seuls pays où la pratique des déclarations d'intérêts n'est pas généralisée et où la loi prévoit seulement une déclaration de patrimoine dont aucun élément n'est rendu public.
La loi permet ainsi de rapprocher le droit français des règles qui constituent désormais l'un des critères largement partagé de la qualité du fonctionnement des institutions d'une démocratie moderne.


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Sur le fond, les recours appellent de la part du Gouvernement les observations suivantes.
I. ― Sur le respect des objectifs de clarté et d'intelligibilité de la loi
L'article 2 de la loi déférée dispose que « constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction », tandis que le III de l'article 4 détermine les éléments que doit contenir la déclaration d'intérêts ― au nombre desquels figurent les « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts ».
Ces dispositions, contrairement à ce que soutiennent les députés auteurs du recours, ne méconnaissent pas l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi.
1. Selon la définition de l'Organisme de coopération et de développement économiques (OCDE), formalisée dans ses Lignes directrices de 2005 et reprise par un grand nombre d'Etats, « un conflit d'intérêts implique un conflit entre la mission publique et les intérêts privés d'un agent public, dans lequel l'agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s'acquitte de ses obligations et de ses responsabilités ». Cette approche intègre autant le conflit réel que le conflit potentiel ou apparent, c'est-à-dire la situation dans laquelle les intérêts privés de la personne sont susceptibles d'être regardés comme de nature à influencer sa manière de servir, sans que ce soit le cas effectivement.
De même, pour le Conseil de l'Europe, « un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer ou à paraître influer sur l'exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles. L'intérêt personnel de l'agent public englobe tout avantage pour lui-même ou elle-même ou en faveur de sa famille, de parents, d'amis ou de personnes proches, ou de personnes ou organisations avec lesquelles il ou elle a eu des relations d'affaires ou politiques. Il englobe également toute obligation financière ou civile à laquelle l'agent public est assujetti » (recommandation n° R [2000] 10 du Comité des ministres aux Etats membres du 11 mai 2000).
La commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts, mise en place par le décret n° 2010-1072 du 10 septembre 2010, proposait de son côté de définir le conflit d'intérêts comme « une situation d'interférence entre une mission de service public et l'intérêt privé d'une personne qui concourt à l'exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».
2. Le législateur s'est inspiré de ces précédents pour retenir une définition du conflit d'intérêts qui permette de saisir à la fois les situations dans lesquelles l'interférence entre l'intérêt public et un intérêt distinct est objectivement constituée et les situations qui pourraient faire naître un doute sur l'existence d'une telle interférence. Il ne suffit pas en effet que le décideur public soit intimement convaincu qu'il sait conserver son indépendance et son impartialité en dépit de ses intérêts personnels ; la lutte contre les conflits d'intérêts a également pour objet d'écarter les soupçons que pourrait susciter un conflit apparent.
Cette dernière dimension est importante, car la lutte contre les conflits d'intérêt nécessite une approche évolutive, en fonction des situations possibles et des attentes collectives à un moment donné. Il est difficile de définir a priori de façon exhaustive toutes les situations ou formes envisageables de conflits d'intérêts. La définition adoptée par le législateur invite ainsi chaque personne appelée à déclarer les intérêts qui, selon sa conscience et en tenant compte de la manière dont sa situation peut être perçue par les tiers, pourraient interférer avec son mandat ou son activité.
La définition retenue par la loi, notamment la référence, à l'article 2, aux situations d'interférence de nature « à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction » et les dispositions de l'article 4 invitant les personnes concernées à déclarer, au-delà de certains éléments précis, les « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts » sont donc adaptés à la nature particulière d'un dispositif à visée déontologique.
Ce premier grief sera donc écarté.
II. ― Sur l'atteinte au respect de la vie privée
1. Les auteurs des recours estiment que les obligations de déclaration de situation patrimoniale et d'intérêts détenus à la date de nomination qu'imposent les articles 4 et 11 portent une atteinte excessive à la vie privée des intéressés et de leurs proches. Méconnaîtrait également ce principe le fait que des éléments de la déclaration tant patrimoniale que d'intérêts peuvent être rendus publics, selon les conditions fixées à l'article 5 de la loi.
2. La loi déférée comporte plusieurs obligations.
La loi prévoit que les responsables publics auxquels elle s'applique doivent remettre deux déclarations : une déclaration de situation...

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