Projet sur l'effectivité du droit à l'éducation dans les outre-mer Regard particulier sur la Guyane et Mayotte (1)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0269 du 18 novembre 2017
Date de publication18 novembre 2017
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000036039279

(ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE - 6 JUILLET 2017 - ADOPTION À L'UNANIMITÉ)

" L'éducation n'est pas un privilège mais un droit fondamental […] Près de sept millions et demi de personnes interrogées dans le cadre de l'enquête MY World font de l'éducation leur préoccupation principale. Nous devons écouter cet appel " (2).
1. Lors de son discours d'ouverture au Forum mondial de l'éducation en mai 2015, Ban Ki-moon, alors secrétaire général des Nations unies, a fait clairement ressortir que l'éducation est un droit fondamental, indispensable à l'exercice de tous les autres droits de l'homme. Les instruments normatifs des Nations unies, sur la base de l'article 26 de la déclaration universelle des droits de l'homme qui dispose que " toute personne a droit à l'éducation ", établissent des obligations légales en matière de droit à l'éducation pour les Etats parties (3). De même, le protocole additionnel n° 1 de la convention européenne des droits de l'homme (CESDH) en son article 2 spécifie que " nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction ". Assurer l'accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d'égalité, a par ailleurs été érigé au rang d'objectif mondial de développement durable par l'Agenda 2030 (4).
2. Dans le même esprit, l'éducation dispose d'une place privilégiée dans le droit français. Il s'agit, avec l'accès à la santé, du seul droit inconditionnel reconnu à toute personne résidant sur le territoire national. Précisément, l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction (5) est mise en œuvre par les dispositions de l'article L. 111-1 du code de l'éducation qui dispose que " le droit à l'éducation est garanti à chacun ". Au-delà de la scolarisation stricto sensu, il s'agit de favoriser le vivre-ensemble et donner à chacun la possibilité de bâtir son propre développement (6). Si l'on retient les quatre indicateurs introduits par Katarina Tomasevski, ancienne rapporteure spéciale des Nations unies sur le droit à l'éducation, pour en évaluer l'effectivité (les " 4 A " - à disposition, accessible, acceptable et adaptable) (7), force est de constater que sa mise en œuvre se heurte encore en France à des difficultés, particulièrement vives dans les territoires d'outre-mer. Avec plus d'1,2 million de jeunes de moins de 30 ans, soit près de la moitié de la population ultramarine, et près de 800 000 jeunes inscrits dans l'enseignement scolaire ou supérieur outre-mer, l'enjeu est d'importance.
3. Dans la mesure où les collectivités d'outre-mer (COM) et la Nouvelle-Calédonie ont une indépendance accrue en matière d'éducation de par leur statut (8), et que par ailleurs la Cour des comptes a produit deux rapports sur le système éducatif de Polynésie française ainsi que de la Nouvelle-Calédonie (9), le présent avis n'abordera ces territoires qu'à la marge.
4. La douzième édition de la Géographie de l'école, publiée en 2017, révèle des disparités prononcées entre la métropole et les départements et régions d'outre-mer (DROM), mais aussi entre les DROM eux-mêmes, qu'il s'agisse de l'environnement économique, social et familial des élèves, des ressources humaines, ou des parcours et du contexte scolaires (10). Deux territoires se distinguent particulièrement par la faiblesse des valeurs observées sur les indicateurs retenus : la Guyane et Mayotte. Il s'agit par ailleurs des deux territoires ultramarins qui ont fait l'objet de préoccupations particulières du comité des droits de l'enfant et du comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, dans leurs dernières observations adressées à la France (11). L'éducation a en outre été au cœur des revendications populaires portées lors des mouvements sociaux qui n'ont cessé d'agiter Mayotte et la Guyane ces dernières années. Enfin, dans ces deux départements les plus jeunes de France, l'augmentation des effectifs scolarisables, à contre-courant des tendances observées partout ailleurs en France (outre-mer compris), demande des réajustements permanents au niveau de l'organisation scolaire. Sous l'effet d'un fort taux de natalité et des dynamiques migratoires, l'école est sous tension, d'autant plus qu'elle n'arrive déjà pas à accueillir tous les enfants d'âge scolaire dans de bonnes conditions. Aussi la CNCDH a-t-elle fait le choix de porter un regard spécifique sur ces deux territoires.
5. Si le principal objectif poursuivi par l'éducation nationale - à savoir l'amélioration des performances scolaires - est en Guyane et à Mayotte similaire à celui des autres académies françaises, la donne de départ est profondément différente.
6. La Guyane, à la fois plus grand département de France et le moins densément peuplé, est marquée par la concentration de sa population et de l'activité économique sur une étroite bande littorale. Le reste du territoire est couvert d'une vaste forêt tropicale, bordée de part et d'autre de deux fleuves frontaliers avec le Brésil et le Surinam. Plus on s'éloigne de l'île de Cayenne, plus les situations de précarité sont prononcées, de même que l'enclavement géographique (réseau de transports peu développé, couverture mobile et numérique aléatoire…). L'éducation nationale rencontre de vives difficultés, tout comme l'ensemble des services publics, à se structurer au-delà de la frange côtière, créant de profondes inégalités d'accès aux droits. L'école doit également relever le défi de la croissance démographique : près de 40 % de la population a moins de 18 ans et près d'un Guyanais sur trois est d'origine étrangère (12). Entre 2015 et 2030, la population devrait croître de 45 % pour atteindre 386 400 habitants d'après l'INSEE, impliquant pour l'école d'accueillir entre 110 000 et 130 000 élèves, soit une hausse moyenne de 55 % des effectifs sur la période (13).
7. Tout comme la Guyane, Mayotte connaît une croissance démographique comparable à celle de certains pays en voie de développement. La population a triplé depuis 1985 (14). Elle est jeune (plus de la moitié à moins de 18 ans) et à plus de 40 % de nationalité étrangère. Les fortes spécificités culturelles de l'île, à majorité musulmane et non francophone, doivent être relevées, de même que les relations ambiguës entre Mayotte et les étrangers comoriens sur son territoire, à la fois perçus comme proches du fait de leur histoire commune et comme responsables de la pression exercée sur les services publics en cours de structuration. Le service public de l'éducation nationale doit faire face à un engorgement systématique des écoles, toutes sous-dimensionnées. Ce sans compter d'autres facteurs aggravants comme un manque de développement criant de l'île (forte mortalité infantile, extrême précarité des conditions socio-économiques). Les difficultés d'insertion et d'accès à l'éducation sont identifiées parmi les grandes sources de pauvreté de la jeunesse (15).
8. Alors que les pouvoirs publics sont mobilisés pour l'égalité réelle outre-mer, il apparaît essentiel que cette ambition se concrétise dans le système éducatif, des performances scolaires moindres ne pouvant qu'avoir des répercussions négatives sur l'insertion socio-professionnelle des jeunes et le développement du territoire. L'effectivité du droit à l'éducation se pose, principalement, à deux niveaux : d'une part, la scolarisation à proprement parler (I) ; d'autre part, l'accès à une éducation de qualité, prenant en compte les spécificités locales pour la réussite et le bien-être de tous les élèves (II). Avant d'entrer dans le vif du sujet, plusieurs observations préliminaires s'imposent.
9. En premier lieu, la CNCDH tient à souligner l'implication manifeste des acteurs qu'elle a pu interroger dans le cadre de cet avis, soutenue par des efforts non moins négligeables de l'Etat en termes d'équipement et de moyens humains ces dernières années pour rattraper les retards en matière scolaire. Ces derniers doivent être mis en perspective avec une longue période de sous-investissement structurel dans les outre-mer. Ce manque d'action publique persiste encore puisque, comme le rappelle le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son rapport annuel sur l'état de la France 2017, les dépenses d'investissement public par habitant sont inférieures d'un tiers dans les outre-mer par rapport à l'hexagone (16). L'engagement des pouvoirs publics se concrétise, depuis plusieurs années maintenant, à travers une série de feuilles de route thématiques (projet académique, schéma départemental de l'enfance et de la famille, etc.) ou transversales (Plan Jeunesse lancé en septembre 2015, plan Mayotte 2025, l'accord de Guyane d'avril 2017, plans de convergence prévus dans le cadre de la loi du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle des outre-mer…). Si l'on ne peut ignorer que la situation se soit nettement améliorée à plusieurs égards, d'importants écarts persistent et l'action publique tend souvent à parer au plus urgent, ayant du mal à simultanément combler les besoins (objectif de rattrapage) et en anticiper de nouveaux (pression démographique). On ne peut en effet ignorer l'ampleur de la tâche, qui s'exprime notamment par le poids de l'éducation nationale dans ces territoires, les effectifs scolaires représentant environ 40 % de la population à Mayotte et 30 % en Guyane, contre une moyenne de 18 % dans la France entière (17). Néanmoins, force est de constater le décalage fréquent entre les avancées mises en exergue et les ambitions affichées dans les plans d'action d'une part, le calibrage des moyens et les besoins d'autre part.
10. En deuxième lieu, outre le manque de moyens - la situation financière des collectivités territoriales étant préoccupante -, on relève un certain nombre de freins récurrents à l'action publique. Les difficultés rencontrées par la CNCDH pour obtenir des informations précises et fiables révèlent le manque de données à disposition (18), mais aussi probablement une forme de méconnaissance du territoire sur lequel les acteurs locaux sont censés agir. A plusieurs reprises, des informations...

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