Recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 12 novembre 2012 prises en application de la procédure d'urgence (article 9 de la loi du 30 octobre 2007) et relatives au centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, et réponse de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 4 décembre 2012

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0284 du 6 décembre 2012
Record NumberJORFTEXT000026729330
CourtCONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Date de publication06 décembre 2012



RECOMMANDATIONS DU CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ DU 12 NOVEMBRE 2012 PRISES EN APPLICATION DE LA PROCÉDURE D'URGENCE (ARTICLE 9 DE LA LOI DU 30 OCTOBRE 2007) ET RELATIVES AU CENTRE PÉNITENTIAIRE DES BAUMETTES, À MARSEILLE
1. L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu'il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d'y répondre. Postérieurement à la réponse obtenue, il constate s'il a été mis fin à la violation signalée ; il peut rendre publiques ses observations et les réponses obtenues.
En application de cette disposition d'urgence, qu'il emploie pour la seconde fois, le contrôleur général publie les présentes recommandations.
2. En effet, le constat dressé par la vingtaine de contrôleurs qui ont visité, du 8 au 19 octobre, le centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, fait apparaître, sans aucun doute, une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l'obligation, incombant aux autorités publiques, de préserver les personnes détenues, en application des règles de droit applicables, de tout traitement inhumain et dégradant. En raison de ce constat, le contrôleur général a été, à sa demande, reçu par la garde des sceaux, ministre de la justice, le 16 novembre 2012 ; il l'a priée de bien vouloir lui faire connaître ses observations sur des documents qu'il lui a remis, en particulier le présent avis, avant le 4 décembre 2012. Parallèlement, il a rendu destinataire, par lettre du 12 novembre, la ministre des affaires sociales et de la santé d'observations identiques, en les assortissant de la même échéance pour y répondre. Une réponse de la garde des sceaux est parvenue à la date fixée. Elle est publiée ci-après.
3. Bien entendu, la procédure habituelle, qui implique la rédaction par les contrôleurs d'un rapport de visite exhaustif, se poursuit et ce rapport sera communiqué aux ministres compétents pour recueillir à nouveau leurs observations. Il sera rendu public à la fin de la procédure.
4. Il existe un fait incontestable. L'état matériel très dégradé du centre pénitentiaire est dans l'ensemble parfaitement connu. A l'issue de sa visite dans l'établissement à la fin de 1991, le Comité (européen) de prévention de la torture (CPT) notait, dans son rapport, que « les conditions de détention... laissaient fortement à désirer » (paragraphe 91) et que les « conditions d'hébergement dans les bâtiments A et B de Marseille-Les Baumettes ont fait l'objet d'une observation immédiate de la part de la délégation ». Il relevait notamment que « l'état général de ces cellules et de leur équipement était d'une vétusté avancée. Certaines d'entre elles étaient très sales, tout comme leur literie » (paragraphe 92). Il concluait, en particulier, que « soumettre des détenus à un tel ensemble de conditions de détention équivaut, de l'avis du CPT, à un traitement inhumain et dégradant ». Revenu sur place en 1996, le Comité donnait acte aux autorités de la réalisation de certains travaux, de la diminution de la population pénale, de l'augmentation de la fréquence des douches mais maintenait que les travaux de rénovation du centre pénitentiaire devaient bénéficier d'une « haute priorité » (rapport, paragraphe 93). De son côté, la délégation du Sénat, visitant la prison le 18 avril 2000, indiquait qu'une centaine de cellules étaient inoccupées « compte tenu de leur état de vétusté », que les bâtiments A et B sont vétustes et que « de nombreuses cellules ne comportent pas d'isolation des toilettes ». Enfin, le commissaire européen aux droits de l'homme se rend dans les locaux en septembre 2005 et se disait « choqué des conditions de vie observées... aux Baumettes ». « Le maintien de détenus en leur sein me paraît, ajoutait-il, être à la limite de l'acceptable et à la limite de la dignité humaine. »
5. Après ces constats régulièrement faits depuis vingt ans, le contrôle général est amené à constater qu'en 2012 aucune amélioration substantielle n'a été apportée, en dépit des efforts des directions successives de l'établissement. Voici, par exemple, le constat que deux personnes détenues font de leur cellule, dont la véracité a été scrupuleusement vérifiée par le contrôle général : « absence de la partie supérieure de la fenêtre ; fil alimentation téléviseur coupé (absence de prise) ; pas de lumière (ampoule manquante), pas de veilleuse pour le surveillant de nuit ; pas d'interphone d'urgence ; w.-c. récent mais non fixé au sol et chasse d'eau quasi inexistante, pas de cloison d'intimité, lavabo bon état mais fuite au sol au niveau du siphon ; pas de miroir ; réfrigérateur très sale et infesté de cafards tant à l'intérieur qu'à l'extérieur ; murs sales, dégradés et presque couverts d'inscriptions en tous genres, nombreuses araignées et cloportes ; sol sale, nombreux détritus, pas de cabine de douche ni d'eau chaude ; aucun placard ni rangement, pas de quoi s'asseoir, pas de table ». Une autre personne ajoute : « c'est fait pour nous rendre fous ». Sur un échantillon soigneusement examiné par le contrôle de 98 cellules, les contrôleurs en ont trouvé seulement neuf n'appelant aucune observation sérieuse. Il existe néanmoins des différences sensibles d'une cellule à l'autre : l'affectation dans l'une ou l'autre détermine des conditions d'existence très différentes ; cela explique notamment la faiblesse du nombre de sanctions disciplinaires (on « trouve le levier [de la mise au pas] ailleurs », dit-on).
Dans les mêmes bâtiments, le traitement des déchets est problématique. Les monte-charge ajoutés récemment sont très fréquemment en panne : tout est donc monté ou descendu à bras. Le réseau électrique ne couvre pas les besoins actuels : les tubes de néon sont fragiles et un surveillant indique avoir déjà circulé la nuit en coursive dans le noir intégral, avec sa lampe de poche personnelle. Trois ou cinq douches sur dix fonctionnent dans des salles de douche crasseuses, ce qui ne permet pas à tous ceux qui y ont droit de se doucher dans le délai prescrit (l'amélioration constatée en 1996 a fait long feu). Depuis deux ans, les rats pullulent (on en voit même dans la journée) et s'ajoutent aux autres nuisibles : les surveillants font leur ronde de nuit en tapant des pieds pour les éloigner, avec un succès inégal. La cuisine a été restaurée en 1998 mais les couloirs du sous-sol où elle est installée sont extrêmement sales. En bref, l'insalubrité et l'absence d'hygiène sont consubstantielles à la plus grande partie de l'établissement. Les greffiers des juges de l'application des peines (et donc les magistrats) et les infirmiers du service psychiatrique (SMPR) refusent catégoriquement (ces derniers au nom de leur indépendance) de mettre les pieds en détention. Ce n'est pas tout : la sous-commission départementale pour la sécurité (incendies) a demandé, le 29 avril 2011, la fermeture des locaux.
6. Des travaux ont certes été entrepris. Un bâtiment nouveau (bâtiment D) a été édifié en 1989, avec des cellules...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT