Recommandations en urgence du 18 novembre 2016 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives à la maison d'arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0290 du 14 décembre 2016
Record NumberJORFTEXT000033586582
Date de publication14 décembre 2016
CourtCONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Enactment Date18 novembre 2016


L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) permet à cette autorité, lorsqu'elle constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations, de leur impartir un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, de constater s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il l'estime nécessaire, le CGLPL rend immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues.
Les présentes recommandations ont été adressées au garde des sceaux, ministre de la justice. Un délai de trois semaines lui a été imparti pour faire connaître ses observations. La réponse reçue au terme de ce délai est ci-après reproduite.
La visite de la maison d'arrêt des hommes, dénommée « grand quartier », du centre pénitentiaire de Fresnes, effectuée par douze contrôleurs du 3 au 14 octobre 2016 a donné lieu au constat d'un nombre important de dysfonctionnements graves qui permettent de considérer que les conditions de vie des personnes détenues constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Cette situation semble être le résultat d'une évolution relativement récente, dans la mesure où la visite du même établissement, réalisée en janvier 2012, n'avait pas conduit le CGLPL à des constats comparables.


1. La surpopulation, cumulée à l'état des locaux et au manque d'effectifs, ne permet pas une prise en charge respectueuse des droits fondamentaux des personnes détenues
1.1. Le niveau inacceptable de la surpopulation pénale entraîne des conditions d'hébergement indignes


Si l'on observe l'évolution de la population pénale hébergée dans l'ensemble du centre pénitentiaire de Fresnes sur une période de dix ans, la dégradation de la situation apparaît de manière évidente et massive :


2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

1 960

2 275

2 259

2 265

2 396

2 566

2 511

2 612

2 720

2 769

2 989


Sur la période, l'augmentation de la population pénale est donc supérieure à 52 %.
Pour la maison d'arrêt des hommes, le taux d'occupation moyen est de 188 %, mais cette moyenne recouvre d'importantes disparités. La maison d'arrêt est organisée en trois bâtiments, dénommés « division », chacune d'elles ayant une vocation propre et les spécificités qui s'y attachent.
La première division accueille le quartier des arrivants, le quartier d'isolement, l'unité dédiée aux personnes dont l'infraction est liée à une pratique radicale de l'islam ainsi que les lieux d'hébergement des personnes détenues dont l'affaire a été médiatisée. Cette division héberge 614 personnes pour une capacité théorique de 386 places ; son taux d'occupation est donc de 159 %.
La deuxième division, qui héberge des condamnés (à 92 %) dans une aile et des prévenus (à plus de 70 %) dans l'autre aile, compte 862 personnes détenues pour une capacité théorique de 432 places ; son taux d'occupation est donc supérieur à 199 %.
La troisième division héberge une proportion importante de personnes étrangères et les personnes détenues qui travaillent (en cellule ou en atelier) ou qui suivent un enseignement ; elle compte 861 personnes détenues pour une capacité théorique de 428 places ; son taux d'occupation est donc de 201 %.
Les conditions d'encellulement se trouvent dès lors très dégradées. Rappelons qu'à Fresnes toutes les cellules sont à peu près identiques. Ce sont des cellules individuelles, d'une taille voisine de 10 m2. Pourtant on n'y trouve que 296 cellules occupées par une seule personne, 350 cellules occupées par deux personnes et 421 cellules occupées par trois personnes. Dès lors, c'est seulement 13 % environ de la population qui bénéficie d'un encellulement individuel, 31 % environ qui partage une cellule à deux et près de 56 % qui vit à trois dans une cellule. En troisième division, la moins bien lotie, seul un condamné sur huit est seul en cellule et plus de la moitié d'entre eux sont dans des cellules occupées par trois personnes ; près du tiers des prévenus partagent leur cellule avec au moins un condamné ; la séparation des prévenus et des condamnés n'est donc en aucune manière respectée.
La hauteur sous plafond des cellules a permis d'éviter l'installation de matelas au sol en superposant trois lits. Néanmoins, dans des cellules dont la surface n'atteint pas 10 m2, une fois déduite l'emprise des lits, des toilettes et de la table, trois personnes doivent vivre dans un espace d'environ 6 m2. Les toilettes, qui ne sont pas totalement isolées du reste de la pièce, le délabrement de l'immobilier et l'hygiène déplorable rendent le confinement plus intolérable encore.
L'existence d'unités ou de quartiers spécifiques qui permettent d'atteindre ponctuellement l'objectif d'encellulement individuel aggrave par ailleurs la promiscuité pour ceux qui ne relèvent pas de ces régimes. Le CGLPL avait du reste souligné cette difficulté dans son avis du 7 juin 2016 relatif à la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral (1).
Cette situation est très en deçà des normes fixées par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), qui prévoient que les détenus doivent bénéficier, hors espace sanitaire, de 6 m2 au moins pour une cellule individuelle, 10 m2 pour deux et 14 m2 pour trois (2). La surpopulation n'est bien sûr pas unique dans les établissements pénitentiaires français, mais à Fresnes, son caractère massif et durable lui confère un caractère particulièrement indigne.
Dans le contexte d'une surpopulation pénale inacceptable au niveau national (taux d'occupation global de 117 % au 1er octobre 2016, de 140 % pour les seules maisons d'arrêt), on ne peut tolérer qu'un établissement subisse une charge totalement disproportionnée. Malgré les projets annoncés pour résorber globalement la surpopulation pénale à moyen terme, il est nécessaire que celle de Fresnes diminue rapidement de manière conséquente. La suppression immédiate des encellulements à trois (421 cellules) doit être la première étape de cette réduction ; elle aurait pour effet de ramener la population détenue à Fresnes légèrement au-dessus de son niveau de 2012. Bien entendu cette mesure urgente ne saurait suffire à régler le problème.


1.2. Les locaux inadaptés et l'hygiène désastreuse présentent des risques avérés pour la santé des personnes détenues et des surveillants


Le bâtiment, de conception très ancienne, n'a manifestement pas bénéficié des investissements minimaux nécessaires aux exigences contemporaines et au respect de conditions d'hygiène acceptables, fussent-elles sommaires.
Outre l'exiguïté déjà mentionnée des locaux d'hébergement, l'espace consacré aux cours de promenade et aux parloirs est structurellement insuffisant.
Les parloirs sont constitués de boxes de 1,3 ou 1,5 m2 dans lesquels deux personnes ne peuvent se tenir assises face à face qu'en croisant leurs jambes alors que, pourtant, on y installe de manière habituelle une personne détenue et trois visiteurs et, le cas échéant, des enfants. L'absence d'aération et l'accumulation de salpêtre et de crasse sur les murs en font des lieux indignes, tant pour les personnes détenues que pour leurs visiteurs. Le rapport du CGLPL de 2012 avait du reste souligné le caractère inadapté des parloirs « sous-dimensionnés, sans confidentialité et sans aération ».
Les cours de promenade sont exiguës et dépourvues de bancs et d'abris. En l'absence de toilettes, les personnes détenues urinent dans des bouteilles qu'elles projettent ensuite par-dessus les murs. Il n'est pas rare que l'on voie plus de vingt-cinq personnes dans un espace d'environ 45 m2.
Néanmoins, c'est l'état d'hygiène déplorable de l'établissement qui constitue l'anomalie la plus grave, tant pour les personnes détenues que pour le personnel.
Les rats évoluent en masse au pied des bâtiments, dans les cours de promenade et aux abords des bâtiments tout au long de la journée. Ils ne s'effraient pas de la présence d'êtres humains ; on ne peut éviter de piétiner leurs excréments ; ils sont présents jusque dans la cour d'honneur de l'établissement. L'odeur persistante de leur pelage, de leurs excréments et de leurs cadavres s'ajoute à celle des amas d'ordures qui jonchent le pied des bâtiments. Cette pollution contribue du reste elle-même à entretenir la présence des rongeurs ; elle résulte certes en partie d'actes d'incivilité, mais aussi d'autres facteurs tels que la promiscuité en cellule, l'absence de réfrigérateurs ou la taille insuffisante des poubelles. Les mesures nécessaires pour prévenir et traiter cette pollution ne sont pas prises.
A l'intérieur des bâtiments, les rats sont moins visibles mais leur présence se manifeste sporadiquement ; selon plusieurs témoignages du personnel, un rat s'est introduit dans le lit d'un surveillant de permanence qui a dû subir un traitement préventif de la leptospirose et il arrive que l'on voie l'urine des rats...

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