Saisine du Conseil constitutionnel en date du 5 décembre 2014 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2014-706 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0297 du 24 décembre 2014
Record NumberJORFTEXT000029953631
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication24 décembre 2014


LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2015


Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 et, spécialement, ses articles 23, 61, 63 et 85.


Sur l'article 23


Cet article institue, dans les secteurs où existent des caisses de congés payés, un prélèvement dit « à la source » des cotisations et contributions sociales dues au titre des indemnités de congés payés. Il s'agit donc, pour le dire autrement, d'un prélèvement anticipé de ces cotisations.
En effet, jusqu'à présent, le règlement des cotisations sociales assises sur le paiement des congés payés était effectué au moment de la perception des indemnités de congés payés par le salarié. Le fait générateur, selon les principes de droit commun, était donc bien le versement des sommes correspondantes aux salariés. Or désormais, le règlement de ces cotisations sera lié au versement par l'employeur, à la caisse de congés payés, des sommes servant in fine à cette même caisse à indemniser les salariés.
La mesure est applicable au ler janvier 2015, bien qu'en raison de la complexité de sa mise en œuvre, une période transitoire soit prévue jusqu'en 2018. Pendant la période transitoire, les entreprises paieront chaque mois des cotisations proportionnelles à leur propre assiette de cotisations, évaluées par un taux fixé par décret. A partir de 2018, elles paieront directement une cotisation sur la cotisation qu'elles paient aux caisses de congés payés.
Les requérants considèrent que cet article est inconstitutionnel à plusieurs égards.
I. - En ce qui concerne l'atteinte à une situation et une espérance légalement acquises et la création d'une insécurité juridique dans une mesure emportant son inconstitutionnalité.
En effet, vous avez considéré, dans votre décision n° 2007-550 DC du 27 février 2007, que le législateur « méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ».
Ce règlement « anticipé » sur une simple « provision » est critiquable du point de vue de sa constitutionnalité car il porte atteinte à une situation et une espérance légalement acquises, et crée une insécurité juridique pour les caisses et les entreprises, en plus de fragiliser le financement de certains droits acquis par les salariés.
En remettant en cause, de manière brutale et sans étude d'impact approfondie - la LFSS pour 2013 avait pourtant prévu la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur les conditions d'extension du prélèvement à la source à l'ensemble des cotisations et contributions sociales recouvrées par les caisses de congés payés, rapport qui n'a jamais été remis -, l'article 23 de la LFSS pour 2015 va priver les caisses de congés payés d'une part importante de leur trésorerie et donc affecter leur gestion. Pourtant ce système de mutualisation mis en œuvre en 1937 a été créé pour s'adapter aux spécificités de secteurs tels que le bâtiment et les travaux publics, les entreprises de spectacle, les dockers et entreprises de transports et il avait permis d'assurer la généralisation de la loi instaurant, à l'époque, deux semaines de congés payés. Depuis, cette mutualisation, bien gérée, a permis dans certaines branches d'offrir aux salariés un certain nombre d'avantages (notamment une prime de congés payés dans le secteur du bâtiment et travaux publics). Le financement de ces avantages va nécessairement se trouver compromis.
Au-delà, cet article crée une forte insécurité juridique tant pour les caisses que pour les entreprises en complexifiant un système qui fonctionnait de manière satisfaisante sans coûter un seul centime à la sécurité sociale.
Il existe, en effet, une très grande imprécision dans le calcul des cotisations qui seront exigées des entreprises puisqu'elles devront intervenir avant que le fait générateur (la prise de congés payés du salarié) n'existe et soit connu. Dès lors, le versement de l'employeur ne pourra être réellement libératoire tant que les indemnités (en période transitoire) et cotisations (en période définitive) de congés payés réellement dues ne seront pas calculées. Or, elles ne le pourront être que lorsque les congés payés auront, d'une part, eux-mêmes été calculés, et, d'autre part, tant qu'ils n'auront pas été pris, s'ils sont pris.
Le législateur a, pour cette raison, expressément prévu une régularisation a posteriori ; régularisation dont les conditions sont inconnues et ne pourront pas être connues au moment du prélèvement. Il est simplement envisagé, en effet, dans la loi qu'un décret devra fixer les conditions dans lesquelles ces versements dus aux caisses des congés payés pourront être ajustés en fonction du montant des indemnités de congés payés effectivement versées. il y a là encore une source d'insécurité juridique, renforcée d'ailleurs par le fait que seules les parts salariales des cotisations et contributions font l'objet d'un ajustement.
Enfin, le paiement sera effectué par l'entreprise et les calculs seront faits par la caisse. Compte tenu de la totale déconnexion entre le calcul de l'indemnité et le calcul des charges sociales (changement d'assiette du calcul et changement de périodicité), une régularisation sur deux périodes de référence sera indispensable. De surcroît, en période définitive, la régularisation sera à la seule charge de l'employeur sur la base des calculs effectués par la caisse. Cela nécessitera donc des échanges d'information entre la caisse et les entreprises qui n'existent pas aujourd'hui.
Dans des secteurs essentiellement composés de TPE-PME, qui pratiquent très largement le décalage de la paie, ce dispositif va être une source infinie de complexité génératrice d'erreurs, ce qui sera dommageable aussi bien pour les entreprises et les salariés que pour les comptes de la sécurité sociale.
Or cette atteinte portée à une situation et une espérance légalement acquises et l'insécurité juridique qui en découle sont justifiées au seul motif d'assurer une recette supplémentaire à la sécurité sociale, recette qui n'est bien sûr pas pérenne puisqu'elle est simplement anticipée pour une période limitée. Elle n'est donc que purement comptable et certainement pas de nature à résorber le déficit des comptes de la sécurité sociale. Elle ne saurait donc justifier un motif d'intérêt général suffisant à l'instauration d'une telle mesure. L'absence d'un motif d'intérêt général suffisant justifiant qu'il soit porté atteinte à une situation et une espérance légalement acquises vous conduira donc nécessairement à conclure à l'inconstitutionnalité de la disposition contestée.
Néanmoins, dans l'hypothèse où vous considéreriez que le motif précédemment invoqué est insuffisant, l'article 23 devrait être déclaré contraire au principe d'égalité.
II. - En ce qui concerne l'atteinte portée au principe d'égalité.
En effet, aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez que si le « principe d'égalité devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de solutions différentes » selon la décision n° 79-107 DC du 12 juillet 1979. Dans ce cadre vous considérez que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » selon la décision n° 87-232, 7 janvier 1988.
En l'espèce, l'article 23 de la LFSS pour 2015 va entraîner des discriminations injustifiées entre salariés, notamment pour ceux qui choisissent de ne pas prendre certains jours de congés payés alors qu'ils ont effectué du temps de travail effectif.
L'exemple des plans d'épargne pour la retraite collectifs (PERCO) illustre particulièrement bien ce propos. En effet, lorsque les salariés décident de verser des jours de congés non pris sur un PERCO, avec le paiement anticipé par l'entreprise des charges sociales sur des indemnités virtuelles de congé, les sommes correspondant aux jours de congés non pris versées par le salarié du BTP sur le PERCO auront été chargées, à la différence de celles versées par un salarié d'un autre secteur d'activité. Ils ne disposeront donc plus des mêmes avantages que les autres salariés. L'hypothèse sera la même en cas de maladie empêchant le salarié de prendre tout ou partie de son congé, il y aura eu paiement de charges sans cause.
Or cette discrimination ne repose en rien sur une « différence de situation en lien avec l'objet de la contribution sociale », selon les termes de votre décision n° 2012-659 du 13 décembre 2012.
Il en sera de même entre les entreprises affiliées à une caisse de congés payés et les autres entreprises puisque cette loi crée une exception au régime général de perception des cotisations sociales.
Pour toutes les entreprises, les cotisations ne sont versées qu'au moment du congé payé pris par le salarié et elles sont précisément assises sur le montant exact de l'indemnité servie. Avec l'article 23, le montant des cotisations devient approximatif et dépend d'autres éléments. Le législateur le reconnaît lui-même en prévoyant « le cas échéant » un ajustement postérieur des cotisations sociales sans préciser d'ailleurs s'il s'agit des cotisations sociales patronales ou salariales.
Si l'article 23 doit s'entendre comme visant également les parts salariales des cotisations sociales, cela implique que les précomptes des salariés rémunérés, au titre des congés, par les caisses de congés payés sont versés de façon anticipée. Si les précomptes ne sont pas visés, seule la part...

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