Saisine du Conseil constitutionnel en date du 15 novembre 2016 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2016-741 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0287 du 10 décembre 2016
Date de publication10 décembre 2016
Record NumberJORFTEXT000033558796


LOI RELATIVE À LA TRANSPARENCE, À LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET À LA MODERNISATION DE LA VIE ÉCONOMIQUE


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Les sénateurs requérants considèrent que :


- l'article 6 est contraire aux articles 2, 4, 8, 9 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution ;
- l'article 8 contrevient au principe d'intelligibilité de la loi ;
- l'article 17 contrevient aux principes d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et de légalité des délits et des peines ;
- l'article 25 est contraire aux principes de séparation des pouvoirs, d'égalité devant la loi, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution et à la liberté d'entreprendre ;
- l'article 30 est contraire à l'article 4 de la Constitution ;
- l'article 49 est contraire au droit de propriété et à la liberté contractuelle ;
- les articles 59 et 60 portent atteinte au droit des créanciers et droit d'obtenir l'exécution des décisions Juridictionnelles ;
- l'article 123 est contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu'au principe d'égalité ;
- l'article 134 met en cause la compétence du législateur ;
- l'article 137 contrevient à la liberté d'entreprendre ;
- l'article 156 met en cause la compétence du législateur ;
- l'article 161 est contraire au principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ainsi qu'au principe d'égalité devant les charges publiques.


- S'agissant de l'article 6 créant un statut général des lanceurs d'alerte, les sénateurs requérants considèrent, comme l'a relevé le rapporteur au Sénat, que la définition ainsi élaborée ne répond pas à un « équilibre irréprochable constitutionnellement entre protection et responsabilité des lanceurs d'alerte ».


La définition retenue conditionnera l'irresponsabilité pénale s'attachant au lanceur d'alerte dans le cadre défini, en cas de violation d'un secret protégé par la loi. Or le texte adopté propose une définition élargie du lanceur d'alerte, irresponsable en cas de révélation de faits pourtant légaux.
Les sénateurs requérants doutent donc de la légitimité d'une exonération de responsabilité pour un tel acte : quelle autre conséquence pour la personne ou l'organisme dont le comportement serait révélé, dans l'hypothèse où le comportement n'est ni sanctionnable ni illicite ?
En effet, il résulte de la jurisprudence de votre conseil (1) ainsi que des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 34 de la Constitution que le champ d'application de la loi pénale doit être défini en des termes suffisamment clairs et précis. De plus, afin de ne pas méconnaître les principes d'égalité et de proportionnalité, la création d'une exonération de responsabilité doit être suffisamment définie (2), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Par ailleurs, cette définition parait trop floue, selon les requérants, et présenterait une source d'insécurité juridique pour les lanceurs d'alerte eux-mêmes, contrevenant aux principes d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
En effet, l'expression « une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général » appelle celui qui prend l'initiative de déclencher l'alerte à porter un jugement de valeur sur la situation, devant apprécier la gravité de la menace ou du préjudice.
De plus, la notion de préjudice pour l'intérêt général est incertaine : un préjudice causé à un intérêt particulier ou collectif pourrait justifier une alerte dès lors que ce préjudice serait jugé par le lanceur d'alerte grave pour l'intérêt général. L'intérêt général serait alors comme privatisé par le lanceur d'alerte qui en définirait donc les contours.


- Alors que, selon les requérants, la définition des lanceurs d'alerte n'est pas suffisamment rigoureuse, il leur apparaît également que les modalités de signalement définies à l'article 8 sont lacunaires.


En effet, le texte qui organise une procédure de signalement graduée et sécurisée ne semble concerner que les salariés et les fonctionnaires employés par l'organisation visée par l'alerte. Or, la définition des lanceurs d'alerte est générale et vise « une personne physique » sans faire référence à son statut de salarié, de préposé ou de collaborateur. Il peut donc s'agir de personnes qui peuvent être des tiers à l'entreprise ou à l'administration visée par l'alerte, comme des clients, des fournisseurs, des membres d'une ONG.
Vraisemblablement, le texte n'a pas entendu remettre en cause la possibilité pour des tiers de se constituer lanceur d'alerte. Pourtant, compte tenu de cette rédaction floue, il semblerait aux requérants que les tiers à l'organisation visée par l'alerte seraient fondés à porter directement leur signalement à la connaissance des organismes mentionnés par le texte, voire à le rendre public, quand bien même il ne concernerait pas un danger grave et imminent ou un risque de dommage irréversible.
Les sénateurs requérants considèrent en conséquence que le texte de cet article, imprécis, contrevient au principe d'intelligibilité de la loi.


- S'agissant de l'article 17 qui instaure une nouvelle obligation, pour les sociétés d'au moins 500 salariés et 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, de mettre en place des procédures internes précises destinées à prévenir et détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d'influence, en France ou à l'étranger, sous le contrôle de l'Agence française anticorruption et sous peine de sanction par sa commission des sanctions en cas de manquement.


Les sénateurs requérants considèrent qu'une confusion persiste quant à la responsabilité des personnes devant mettre en œuvre l'obligation de prévention puis du manquement : le texte prévoit que les dirigeants sont tenus de s'acquitter de cette obligation, alors qu'il serait juridiquement cohérent qu'elle s'impose à la société elle-même, d'autant que la sanction semble pouvoir être infligée, en cas de manquement, aux dirigeants mais aussi à la société elle-même, le dispositif de sanction évoquant tour à tour les représentants de la société, les personnes physiques et les personnes morales. Le texte ainsi rédigé contrevient au principe d'intelligibilité et de clarté de la loi.
De plus, du point de vue du droit de la responsabilité, il paraît incohérent de sanctionner la société si l'obligation repose...

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