Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 juillet 2015 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2015-718 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0189 du 18 août 2015
Record NumberJORFTEXT000031047012
Date de publication18 août 2015
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Enactment Date27 juillet 2015


LOI RELATIVE À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POUR LA CROISSANCE VERTE


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi sur la transition énergétique et la croissance verte adoptée définitivement, après application de la procédure d'urgence, par le Parlement le 22 juillet 2015.
Les députés auteurs de la présente saisine considèrent en effet que les dispositions de plusieurs articles de cette loi méconnaissent des dispositions et principes de valeur constitutionnelle.
Les articles sur lesquels porte cette saisine sont les suivants :


- article ler (objectifs de la loi) ;
- article 6 (rénovation énergétique des bâtiments privés) ;
- article 44 (obligations d'action de réduction de GES pesant sur les entreprises de la grande distribution) ;
- article 73 (interdiction, à compter du 1er janvier 2020, de la mise à disposition des gobelets, verres et assiettes jetables de cuisine en matière plastique) ;
- article 83 (éco-organismes) ;
- article 91 (élargissement périmètre de la filière de REP sur les papiers) ;
- article 139 (relèvement du seuil d'éloignement des éoliennes par rapport aux zones d'habitation) ;
- article 173 (obligations pesant sur les investisseurs) ;
- article 187 (fixation d'un seuil maximal de capacité de production d'origine nucléaire en France) ;
- étude d'impact.


Sur l'article 1er
I. - Contre les principes de clarté et d'intelligibilité de la loi


Le principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, imposent au législateur, afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques et non contradictoires.


L'article 1er est déféré devant le Conseil aux motifs :
- qu'il est non normatif ;
- qu'il est inintelligible : il introduit un L. 100-1 qui définit 7 « objectifs » (ils sont bien appelés ainsi au L. 100-2) de la politique énergétique, un L. 100-2 qui liste 9 objectifs pour l'Etat et un L. 100-4 qui donne 9 autres objectifs pour la politique énergétique nationale, sans compter les objectifs fixés ailleurs dans le texte. Tant la multiplicité, la redondance partielle, le mélange entre les objectifs de résultats et les objectifs de moyens et les contradictions des objectifs rendent illisible cet article et crée le doute sur la capacité à les mener tous de front. Au lieu de donner un cap clair, cet article crée un contexte d'incertitude et d'instabilité, très préjudiciable pour les acteurs économiques.


Quelques exemples de contradictions :
De la contradiction entre les objectifs et les moyens mis en œuvre.
L'article ler définit les objectifs de la présente loi, notamment en son alinéa 25 : « 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1999 et 2030 et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 » ; à l'alinéa 6 de « [maintenir] un prix de l'énergie compétitif et attractif au plan international et [permettre] de maîtriser les dépenses en énergie des consommateurs », et à l'alinéa 5 d'« assurer la sécurité d'approvisionnement et [réduire] la dépendance aux importations ».
Pour ce faire, l'article ler définit au même niveau des objectifs et des moyens :
En son alinéa 29 : « 5° De réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025 », qui pourtant n'émet pas de gaz à effet de serre au stade de la production, assure un prix de l'électricité compétitif et assure la sécurité d'approvisionnement électrique ; et
En son alinéa 28 : « 4° De porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, pour parvenir à cet objectif, les énergies renouvelables représentent 40 % de la production d'électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz ».
La part la plus forte pour le renouvelable est fixée dans l'électricité, alors que c'est le secteur le moins émetteur. Il est de notoriété publique que la France est l'une des économies les moins émettrices de CO2 au monde, avec 227 tonnes par million d'euros de PIB, d'après la Cour des comptes, soit moins des deux tiers de la moyenne européenne, grâce à l'énergie hydroélectrique nucléaire. En France, 90 % de l'électricité est produite à partir de sources non émettrices de CO2. Avec 79 grammes de CO2 par kilowattheure produit, la France émet entre cinq et six fois moins que l'Allemagne ou les Pays-Bas.
Tandis que le secteur de la chaleur est beaucoup plus dépendant des fossiles importés, celui des carburants quasi exclusivement, en étant encore moins diversifié. Au vu des coûts respectifs des solutions d'abattement du carbone et du degré de dépendance aux exportations (y compris pour les équipements, comme les panneaux solaires d'origine asiatique), ces parts ne sont pas cohérentes avec l'optimisation économique que le troisième objectif de la politique énergétique nécessite. La Cour des comptes a produit plusieurs rapports, tant sur le coût du nucléaire que celui des renouvelables, qui permettent d'objectiver ces questions de coût des politiques publiques par rapport à leur efficacité vis-à-vis des objectifs poursuivis.
De la contradiction entre les objectifs de renouvelables et la prévention de l'utilisation des ressources.
Un autre exemple de contradiction entre deux objectifs fixés par la même loi réside dans la juxtaposition de l'article ler dans son objectif affirmé à l'alinéa 28 : « 4° De porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, pour parvenir à cet objectif, les énergies renouvelables représentent 40 % de la production d'électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz » et de l'article 70, alinéa 5, qui veut promouvoir l'économie circulaire en prévoyant que : « Art. L. 110-1-2. - Les dispositions du présent code ont pour objet, en priorité, de prévenir l'utilisation des ressources, puis de promouvoir une consommation sobre et responsable des ressources, puis d'assurer une hiérarchie dans l'utilisation des ressources, privilégiant les ressources issues du recyclage ou de sources renouvelables, puis les ressources recyclables, puis les autres ressources, en tenant compte du bilan global de leur cycle de vie. »
Le présupposé de cette loi, inexact, est que les renouvelables rendent moins dépendant des ressources naturelles. Si elles permettent d'éviter la consommation de fossiles, les énergies renouvelables font massivement appel aux ressources métalliques, et des plus rares, comme le néodyme et le dyprosium dans les aimants permanents pour les génératrices d'éoliennes ; le gallium, l'indium, le cadmium ou le tellure pour les panneaux photovoltaïques à haut rendement ; de même que le cuivre. Avec des objectifs si importants qu'une part des énergies renouvelables de 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et à 32 % en 2030, le sujet prend une ampleur stratégique, de dépendance et de durabilité.
Par ailleurs, pour développer ces énergies de manière significative, sans remise en cause de nos exigences en termes de continuité de service, il serait nécessaire de relier 30 000 éoliennes pour produire la moitié de la perte induite par la baisse du nucléaire, les fermes photovoltaïques avec 600 kilomètres carrés de panneaux pour produire l'autre moitié et des dispositifs de stockage par des réseaux intelligents, afin de permettre à tout instant l'équilibre entre une offre erratique et intermittente et une demande variable, avec des consommateurs qui seront connectés par des compteurs intelligents. Le besoin de consommation importante de ressources physiques au niveau du réseau est donc à comptabiliser.
A ce propos, le constat fait par M. Philippe Bihouix au cours du séminaire qu'il a tenu à l'Institut Momentum le 16 décembre 2011 sur « Les limites de l'économie circulaire : la question des métaux » est éclairant : « Les différentes énergies renouvelables ne posent pas forcément de problème en tant que telles, mais c'est l'échelle à laquelle certains imaginent pouvoir en disposer qui est irréaliste. »
Dès lors, il peut être considéré que l'article 1er porte atteinte au principe constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi reconnu par la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006.
En outre, si l'on affirme que l'article 1er dit bien quelque chose d'intelligible mais sans créer d'obligation juridique - parce qu'il ne contraint à rien de très précis ou parce qu'il n'attache aucune conséquence au non-respect de ses dispositions -, il faut alors admettre que l'article 1er contrevient à l'interdiction constitutionnelle de formuler par la loi des dispositions non normatives (décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004).


II. - Sur le préjudice exorbitant subi par AREVA, ses salariés et ses actionnaires, sans indemnisation prévue et organisée


Les députés auteurs de la présente saisine considèrent que l'article 1er, dans son objectif défini à l'alinéa 29 : « 5° De réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025 » a pour effet direct de priver l'entreprise AREVA et ses actionnaires de l'exploitation, jusque-là normalement prévue, de la filière de retraitement des combustibles et de recyclage du plutonium dans le combustible MOX, sans qu'une indemnisation juste et préalable ait été prévue, en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le Parlement n'en a pas...

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