Saisine du Conseil constitutionnel en date du 8 décembre 2017 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2017-756 DC

JurisdictionFrance
Record NumberJORFTEXT000036339560
Date de publication31 décembre 2017
Publication au Gazette officielJORF n°0305 du 31 décembre 2017
Enactment Date08 décembre 2017

(LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2018)

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Nous avons l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, dans sa version définitive votée par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2017.
Nous estimons que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 déféré contrevient à plusieurs principes constitutionnels, en particulier :
I. - Il est contraire aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. à l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi et à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibitité des lois, par son article 8.
II. - Il méconnaît le principe d'égalité par son article 70.
III. - Il méconnaît les " exigences constitutionnelles " et les " obligations positives " qui découlent nécessairement du droit à la santé prévu par l'alinéa 11 du Préambule de 1946, en particulier par son article 63 qui supprime l'objectif de généralisation du tiers payant.
Nous demandons, par voie de conséquence, à titre principal, au Conseil constitutionnel de déclarer inconstitutionnelle l'intégralité du présent projet de loi, et à titre subsidiaire, de déclarer inconstitutionnels ses articles et dispositions qui ont méconnu la Constitution.
I. - Sur l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.
L'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 apparaît manifestement contraire aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'à l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi et à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité des lois.
A. - Sur l'atteinte au principe d'égalité.
Le dispositif est explicitement présenté comme une mesure de " pouvoir d'achat ". Aux fins d'augmenter le pouvoir d'achat des " actifs " (salariés, indépendants et agriculteurs), le Gouvernement a mis en place un dispositif d'allégement des prélèvements sur les revenus d'activité en supprimant ou en réduisant certaines cotisations sociales dues par les actifs. Mais afin d'assurer le financement de ces régimes d'assurance, a été décidée une augmentation générale de la CSG de 1,7 %. Cette dernière étant due y compris par des personnes qui ne profiteront pas de la baisse de cotisations sociales. Par ce jeu de suppression/baisse des cotisations salariales en contrepartie d'une hausse de la CSG pour tous (à l'exception des personnes déjà exonérées de CSG ou bénéficiant d'un taux réduit) de 1,7 %, l'ensemble du dispositif aboutit à faire payer les gains des uns par les autres parfois avec compensation (fonctionnaires) parfois sans compensation (retraités et pensionnés d'invalidité qui sont soumis au taux plein de CSG).
Le gain en pouvoir d'achat pour les actifs est donc compensé par l'augmentation de la CSG qui sera affectée principalement au financement de l'assurance chômage dont le coût pèsera tout particulièrement sur les retraités et les pensionnés d'invalidité soumis au taux plein alors que ces derniers ne bénéficient pas des allocations chômage. C'est donc la CSG de tout le monde qui paiera les charges sociales des actifs.
Ce dispositif, au regard de son économie générale et de ses effets concrets, est manifestement contraire au principe d'égalité devant les charges publiques qui découle de l'article 13 de la DDHC en vertu duquel la contribution fiscale " doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ".
En effet, au-delà de la description abstraite de cette disposition, ce sont ses effets concrets qui méritent d'être présentés ; si le bénéfice en termes de " pouvoir d'achat " est bien réel pour les actifs et singulièrement pour les salariés qui ont les plus hauts revenus (par exemple 913 euros de gain annuel net pour un salaire net de 4 000 euros par mois et 1 598 euros de gain annuel net pour un salaire de 7 000 euros nets par mois, selon l'avis n° 313 présenté par Eric Alauzet au nom de la commission des finances), force est de constater que le dispositif de l'article 8 fait peser, tout particulièrement sur les retraités, une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Ainsi selon l'étude d'impact, pour une personne âgée de plus de 65 ans, retraitée du secteur privé dont le montant du revenu fiscal de référence de 2016 s'établit à 15 000 euros (soit environ 1 445 euros de pension nette en 2017), la hausse de 1,7 point de CSG conduira à une baisse de la pension mensuelle nette de l'ordre de 27 euros par mois, soit 324 euros par an. Pour les retraités de moins de 65 ans, cette baisse de pouvoir d'achat sera d'autant plus difficile à supporter qu'ils se verront appliquer la hausse de la CSG à partir de 1 289 euros/mois.
On ne peut certes pas faire grief au législateur de ne pas avoir fondé la différence de traitement sur des critères objectifs et rationnels, puisque semble être pleinement assumée la volonté de privilégier les actifs qui en profiteront d'autant plus que leurs revenus seront importants. A l'inverse, il apparaît manifestement contraire aux principes constitutionnels que ces gains pour ces actifs privilégiés soient payés par les retraités et les pensionnés d'invalidité dont les revenus sont loin d'en faire des privilégiés d'une manière générale. Cette contrariété relève à cet égard d'une erreur manifeste d'appréciation du législateur (a contrario votre décision 28 juill. 2011, n° 2011-638 DC).
Ce dispositif de l'article 8 est en outre manifestement contraire au principe d'égalité devant la loi tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel. Vous considérez de manière constante que ce principe " ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit) " (Décision n° 96-375 DC, Rec., p. 60).
En l'espèce, la différence de traitement tient au fait que les actifs bénéficieront d'une suppression ou d'une baisse de leurs cotisations sociales tout en continuant à bénéficier des régimes d'assurance sociale, le tout financé par une hausse de la CSG qui sera payée par tous et donc également par les retraités et pensionnés d'invalidité. C'est ainsi vis-à-vis de ces derniers que la rupture d'égalité est consommée. Or, d'une part, cette différence de traitement n'est en rien justifiée par un objectif d'intérêt général puisque la mesure vise explicitement à augmenter le pouvoir d'achat d'une partie de la population, d'autre part, cette différence de traitement (par rapport au financement du régime d'assurance chômage) n'a pas de rapport direct avec l'objet de la loi.
B. - Sur l'atteinte au principe de clarté de la loi et l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité des lois.
Enfin, cet article 8 est entaché d'une atteinte manifeste au principe de clarté de la loi et à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité. Sa complexité est telle que seuls des spécialistes de finances sociales sont en mesure d'en décrypter le sens. Non seulement cette disposition est hermétique à la compréhension de ceux auxquels elle pourrait s'appliquer, mais elle est inaccessible d'une manière générale aux citoyens qui - en vertu du principe même de la démocratie - doivent être en mesure de comprendre les grands choix budgétaires réalisés en leur nom par leurs représentant·e·s au Parlement.
Vous avez notamment considéré que " l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et “la garantie des droits” requise par son article 16 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une complexité excessive au regard de l'aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée ; qu'en particulier, le...

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