Saisine du Conseil constitutionnel en date du 16 novembre 2017 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2017-755 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0281 du 2 décembre 2017
Record NumberJORFTEXT000036126805
Date de publication02 décembre 2017


LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2017


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer l'ensemble de la loi de finances rectificative pour 2017, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 14 novembre 2017.
Ils estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.
A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.


Les conditions d'examen de ce texte de loi méconnaissent l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires et portent atteinte au droit constitutionnel d'amendement des parlementaires.
Les conditions d'examen de ce texte contreviennent à l'exigence de clarté et de sincérité des débats.
L'ensemble de l'examen de ce projet de loi de finances rectificative à l'Assemblée nationale s'est déroulé dans une très grande précipitation. Le projet de loi a été présenté dans l'urgence et la loi adoptée en moins de dix jours avec un enchaînement des lectures dans des délais particulièrement contraints.
En première lecture à l'Assemblée nationale, le texte a été présenté à la commission des finances le jeudi 2 novembre, puis voté en commission le vendredi 3 novembre et en séance le lundi 6 novembre. La commission mixte paritaire, convoquée le vendredi 10 novembre, ayant échoué, le texte a été examiné en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale à peine une heure plus tard. Le texte, en nouvelle lecture, a ensuite été voté en séance publique le lundi 13 novembre puis adopté en lecture définitive le mardi 14 décembre. Les députés ont donc dû examiner un texte fiscal, aux enjeux majeurs, à un rythme totalement effréné que rien ne justifiait. En effet, l'article 1er qui créait une surtaxe exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés aurait parfaitement pu être intégré au collectif budgétaire présenté le 15 novembre à la commission des finances.
La décision du Conseil constitutionnel n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, qui porte sur le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires, est à ce titre assez éclairante. Comme l'écrivait M. Chamussy dans les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, « le principe de clarté et de sincérité s'impose au débat parlementaire dans son ensemble ; il protège la minorité contre les abus éventuels de la majorité mais permet également aux assemblées de mettre en œuvre des procédures destinées à garantir le bon déroulement de leur travail ».
Or, au regard des différentes considérations de la décision du Conseil constitutionnel du 21 avril 2005, le requérant estime que la très grande précipitation qui a présidé à l'organisation des débats parlementaires et à l'examen de ce texte de loi porte atteinte au principe de clarté et de sincérité des débats.
Le Conseil constitutionnel contrôle le respect de l'exigence de clarté et de sincérité des débats parlementaires (voir par ex. Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, cons. 8 à 10). Le calendrier prévu pour l'examen du PLFR, pour une application de la surtaxe en décembre 2017, impose un rythme d'examen extrêmement soutenu voire inconsidéré.
Cette précipitation exceptionnelle est d'autant plus nuisible à l'exigence de clarté et de sincérité des débats, que :


- d'une part, le PLFR soumis au Parlement fait l'objet, d'une présentation incomplète et lacunaire, qui ne permet pas aux parlementaires de se prononcer en pleine connaissance de cause ;
- d'autre part, le PLFR instaure une recette exceptionnelle dont le rendement élevé, estimé à 4,8 milliards d'euros en 2017 et à 0,6 milliard en 2018, a une incidence non négligeable dans le budget de l'Etat et aura une incidence non moins négligeable sur le petit nombre d'entreprises qui sont assujetties aux contributions.


Enfin, le Parlement s'est trouvé contraint de discuter en même temps deux lois de finances rectificatives, celle exceptionnelle approuvée en conseil des ministres le 2 novembre et celle traditionnelle, qui, conformément aux déclarations ministérielles, a été approuvée en conseil des ministres le mercredi 15 novembre.
En effet, cette loi de finances rectificative exceptionnelle ne sera pas promulguée et donc publiée lorsque l'examen de la loi de finances rectificative traditionnelle commencera.
Une telle situation méconnaît donc le principe de clarté et de sincérité des débats.
Les conditions d'examen de ce texte constituent une remise en cause du droit d'amendement.
Le droit d'amendement est strictement encadré par la Constitution, la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution et les règlements des deux assemblées.
Or, en première lecture, les députés ont eu moins d'un jour franc pour déposer des amendements en commission (entre le jeudi 2 et le vendredi 3 novembre) et à peine un jour franc pour déposer des amendements pour la séance. Pire, les parlementaires ont eu à peine trente minutes pour déposer des amendements en commission entre le constat d'échec de la CMP le vendredi 10 novembre à 9 h 30 et la clôture du délai de dépôt des amendements ce même 10 novembre à 10 heures.
Rien n'imposait de malmener à ce point la procédure et de refuser les trois jours francs habituellement laissés aux députés avant chaque examen d'un texte en commission ou en séance. Rien n'imposait d'exiger des délais d'amendements aussi contraints et donc de refuser de laisser aux parlementaires le temps d'examiner sereinement le texte et de proposer des amendements dans des conditions convenables.
Le rapport de l'inspection générale des finances, relatif à la mission d'enquête sur la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés de 3 % sur les revenus distribués, a dénoncé la précipitation qui avait présidé à l'adoption du texte à l'époque : « Moins de trois semaines se sont écoulées entre la décision de créer une taxe sur les dividendes et le dépôt du projet de loi au Parlement. Cette précipitation réduit la capacité de l'administration à procéder dans de bonnes conditions à une consultation de place, laisse un temps très restreint au Conseil d'Etat pour se prononcer sur le texte et peut in fine nécessiter de prévoir des ajustements, éventuellement à fort impact, par voie d'amendements au Parlement ». Or, les délais sont aujourd'hui nettement plus courts et contraints. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le risque que pareille mésaventure fiscale ne se reproduise n'est hélas pas négligeable ?
Ces points procédures ont été soulevés lors des conférences des présidents du 7 novembre et du 14 novembre 2017 à l'Assemblée nationale.
Cette loi de finances rectificative méconnaît le principe de sincérité budgétaire.
Le Conseil constitutionnel contrôle le respect du principe de sincérité budgétaire sur le fondement des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 27 et 32 de la loi organique relative aux lois de finances (voir par ex. Décision n° 2016-744 DC du 29 décembre 2016).
De plus l'article 32 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances susvisées dispose que : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».
Il en résulte que le principe de sincérité ne s'apprécie pas de la même façon selon les informations disponibles au moment de l'établissement des lois de règlement ou des autres lois de finances ; loi de finances de l'année, lois de finances rectificatives.
La sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances.
En l'espèce, plusieurs éléments permettent de douter de la sincérité budgétaire du PLFR :
Dans le texte que nous vous déferrons, les évaluations de recettes 2017 ont été actualisées sur la base de celles figurant dans le projet de loi de finances pour 2018, c'est-à-dire sur des informations remontant à début septembre 2017, soit à une...

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