Saisine du Conseil constitutionnel en date du 15 juillet 2015 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2015-715 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0181 du 7 août 2015
Record NumberJORFTEXT000030980966
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication07 août 2015


LOI POUR LA CROISSANCE, L'ACTIVITÉ ET L'ÉGALITÉ DES CHANCES ÉCONOMIQUES


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Les sénateurs requérants considèrent que :


- l'article 39 relatif à la réforme de la procédure d'injonction structurelle en matière de concurrence dans le domaine du commerce de détail ;
- l'article 50 relatif à la réglementation des tarifs des officiers publics ou ministériels ;
- l'article 52 relatif à la liberté encadrée d'installation des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires ;
- l'article 57 relatif à la liberté d'installation des avocats aux conseils ;
- l'article 60 relatif à la diffusion des informations issues du registre du commerce et des sociétés ;
- les articles 63, 65 et 67 relatifs aux formes juridiques d'exercice ;
- l'article 64 relatif à l'habilitation permettant de désigner des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires pour exercer à titre habituel certaines fonctions de mandataire judicaire ; et
- l'article 238 relatif à la cession forcée,


sont contraires à la Constitution au titre de l'incompétence négative du législateur, contraires aux principes constitutionnels de clarté et d'intelligibilité, portent atteinte à la garantie des droits, au principe d'égalité, aux principes d'indépendance et d'impartialité des autorités administratives, au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre et à la garantie des droits.
Concernant l'article 39 de la loi déférée :
L'article 39 modifie les conditions permettant à l'Autorité de la concurrence d'enjoindre les entreprises à céder des actifs, dite procédure d'injonctions structurelles. Ainsi l'Autorité de la concurrence pourra agir sur les structures de marché et remédier à une concentration élevée en matière d'équipement commercial, en se fondant sur des « préoccupations de concurrence », et non sur l'abus de position dominante constaté.
L'extension des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence ainsi créée par la loi déférée porte, selon les requérants, atteinte à la liberté d'entreprendre, puisqu'elle apparaît disproportionnée dans la mesure, notamment, où les taux de concentration du commerce de détail en métropole sont sans commune mesure avec les particularités du secteur en Nouvelle-Calédonie ou dans les territoires ultra-marins.
En effet, la décision de votre Conseil du 1er octobre 2013 relative à l'injonction structurelle spécifiquement mise en place en Nouvelle-Calédonie ne saurait emporter la constitutionnalité d'une telle disposition au niveau national, puisqu'elle était fondée sur « les contraintes particulières de ces territoires » et la situation locale en matière de concurrence.
Si l'obligation de céder des actifs ne saurait s'analyser comme une privation de ce droit, il apparaît, selon les requérants, que son exercice est contraint de manière excessive.
La cession forcée d'actifs comme la résiliation forcée de conventions en cours, dans un délai déterminé et nécessairement trop court, ne peuvent se réaliser que dans des conditions défavorables au vendeur, qui de fait perd toute faculté de négocier. Il en résulte un véritable effet d'aubaine pour l'acheteur qui pourra ainsi acquérir à bon prix les actifs commerciaux cédés, bénéficiant indûment et sans efforts de l'investissement et de l'innovation de ses concurrents. Le vendeur subira donc un préjudice patrimonial non indemnisé lequel, pour la fraction ainsi concernée, s'analyse comme une dépossession contraire au droit de propriété.
Les actes et accords, dont la plupart est de nature contractuelle, qui devront être défaits en conséquence de l'injonction, ont été réalisés de manière légale. Plus généralement, les opérations de concentration en cause ont été autorisées mais les effets liés à l'autorisation se trouvent remis en cause de manière excessive - compte tenu, notamment, du caractère pérenne des injonctions prononcées.
L'Autorité de la concurrence aura ainsi autorisé en amont des opérations de concentration qu'elle pourra ultérieurement sanctionner en aval, créant ainsi une situation d'insécurité juridique peu satisfaisante au regard de la garantie des situations juridiquement acquises, c'est-à-dire au regard du principe de la garantie des droits.
Concernant l'article 50 de la loi déférée :
Les sénateurs requérants considèrent que l'article 50 de la loi porte atteinte à l'article 34 de la Constitution au titre de l'incompétence négative du législateur ; en effet, le législateur doit épuiser l'entièreté de sa compétence, définie par la Constitution, la loi ne pouvant renvoyer au pouvoir réglementaire le soin d'adopter et de définir les mesures qui relèvent du champ d'application de l'article 34 de la Constitution.
En l'espèce, l'article 50 de la loi déférée retire au pouvoir législatif la compétence de définir le pouvoir réglementaire concernant la détermination des tarifs, qui seul a la capacité de définir l'organisation des officiers publics et ministériels.
Ainsi, cette loi donne à l'Autorité de la concurrence une compétence nouvelle afin d'émettre un avis sur les prix et les tarifs réglementés. Le fait de déléguer légalement cette compétence, même consultative, à cette autorité indépendante retire du pouvoir réglementaire son autorité et constitue une subdélégation abusive de compétence, dont l'avis s'imposera aux autorités ministérielles, sans prévoir les garanties nécessaires, comme l'impose pourtant votre Conseil (1).
L'article 50 visé crée, de plus, une contribution à l'accès au droit et à la justice qui est assise sur la valeur hors taxe de tout bien ou sur le montant hors taxe de tout droit, pour lequel le tarif est fixé proportionnellement à ceux-ci, et qui est supérieur à 300 000 euros. Ce seuil pourrait être révisé par arrêté conjoint des ministres compétents. Or, aux termes de l'article 34 de la Constitution : « la loi fixe les règles concernant […] l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. » C'est pourquoi le rapporteur au Sénat, François Pillet, a rappelé que « la faculté de modification de l'assiette ainsi conférée au pouvoir réglementaire ne semble donc pas conforme à la Constitution ».
Cette contribution à l'accès au droit et à la justice participant au fonds interprofessionnel de péréquation contrevient par ailleurs au principe d'égalité devant les charges publiques, consacré à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. La loi retient comme assiette non pas l'émolument reçu par le professionnel, mais la valeur du droit ou du bien qui fait l'objet de la prestation rémunérée par cet émolument ; les montants pourraient ainsi être conséquents et le taux devenir confiscatoire, en s'imputant directement sur les émoluments du professionnel.
A cet égard, les requérants relèvent que le pouvoir réglementaire fixera librement les tarifs des professions intéressées, sans avoir à tenir compte du prélèvement par ailleurs effectué au titre de la contribution. Ceci pourrait avoir pour conséquence d'aggraver, à la discrétion du Gouvernement, le caractère confiscatoire de cette contribution pour les professionnels concernés.
Par ailleurs, la création d'un fonds interprofessionnel et non d'un fonds constitué profession par profession aboutit à faire potentiellement supporter la charge de péréquation en faveur d'une profession donnée par les membres d'une autre profession, ce qui porte aussi atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.
De plus, cette disposition créant une contribution financière dans un texte législatif, qui n'a pas un objet financier, contrevient, selon les requérants, à l'article 47 de la Constitution, puisqu'une telle réforme aurait dû voir le jour dans une loi de finances, comme votre Conseil le rappelle (2).
Par ailleurs, obliger l'officier public ou ministériel qui...

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