Saisine du Conseil constitutionnel en date du 15 juillet 2015 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2015-715 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0181 du 7 août 2015
Record NumberJORFTEXT000030980933
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication07 août 2015


LOI POUR LA CROISSANCE, L'ACTIVITÉ ET L'ÉGALITÉ DES CHANCES ÉCONOMIQUES


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, définitivement adoptée le 10 juillet 2015.


Sur le respect de la procédure parlementaire


Les députés souhaitent attirer l'attention du Conseil constitutionnel sur des questions procédurales en raison d'un déséquilibre persistant dans les relations entre le Gouvernement et le Parlement et d'un manque de considération des droits de l'opposition.
A chaque étape de l'examen de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, les députés du groupe « les Républicains » ont dénoncé des méthodes et des initiatives qui bafouent les fondements premiers de notre démocratie. L'examen de la constitutionnalité de cette loi permettrait donc de rappeler les règles à respecter et de sanctionner les atteintes portées à la Constitution.


1. Sur l'absence de clarté et de sincérité du débat parlementaire


Dans sa récente décision du 11 juin 2015 portant sur les méthodes de travail du Sénat, le Conseil constitutionnel a rappelé l'importance du respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire qui découlent de l'article 6 de la DDHC et du premier alinéa de l'article 3 de la Constitution (1).
En l'espèce, l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques aurait méconnu les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Sur l'étude d'impact :
En vertu de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, les projets de loi doivent être accompagnés d'une étude d'impact précise et exhaustive. L'objectif est d'imposer au Gouvernement qu'il éclaire la représentation nationale sur les textes qu'il propose, qu'il en justifie les raisons et évalue leur portée.
Dans son avis sur le projet de loi, rendu le 8 décembre 2014, le Conseil d'Etat indique « qu'il n'a pu que déplorer, à la date de sa saisine du projet de loi, le caractère lacunaire et les graves insuffisances de l'étude d'impact sur de nombreuses dispositions du projet. Si, après des demandes en ce sens, des progrès ont pu être relevés lors de la présentation du projet de loi devant l'assemblée générale, le Conseil d'Etat appelle l'attention du Gouvernement sur la nécessité de fournir dès le stade de sa saisine une étude d'impact propre à satisfaire aux exigences de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 ».
L'insuffisance de l'étude d'impact a donc inévitablement nui à l'exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Sur le temps d'examen imparti pour l'ensemble du projet de loi en séance publique :
Dans sa décision du 11 juin 2015 précitée, le Conseil constitutionnel a rappelé que « les temps de parole ainsi déterminés par la conférence des présidents ne sauraient être fixés de telle manière qu'ils privent d'effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » (2).
Le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale le 11 décembre 2014 comportait 106 articles. En première lecture, à l'issue de l'examen en commission spéciale du 12 au 18 janvier 2015, 495 amendements ont modifié ce texte, insérant notamment 103 articles additionnels. L'examen en séance publique a quant à lui abouti à l'adoption de 559 amendements et le projet de loi a été porté à 295 articles. Le Sénat a également enrichi le texte qui a été porté à 405 articles, avec, il est vrai, un grand nombre d'articles supprimés et dont la suppression a été maintenue en nouvelle lecture.
Le temps législatif programmé décidé en conférence des présidents le 16 décembre 2014 prévoyait une discussion globale de 50 heures, se répartissant ainsi :


- 20 h 45 pour le groupe « les Républicains » (soit 1 245 minutes) ;
- 14 h 05 pour le groupe SRC (soit 845 minutes) ;
- 5 h 40 pour le Groupe UDI (soit 340 minutes) ;
- 3 h 15 pour le groupe Ecolo (soit 195 minutes) ;
- 3 h 10 pour le groupe RRDP (soit 190 minutes) ;
- 3 h 05 pour le groupe GDR (soit 185 minutes).


Or, entre le dépôt du texte sur le bureau de l'Assemblée nationale et l'examen en séance publique, le nombre d'articles a doublé.
Si on rapporte le temps de chaque groupe au nombre d'articles à examiner en séance publique (209), on obtient un temps de parole de moins de 6 minutes par article pour l'ensemble des députés du groupe « les Républicains » ou de moins d'une minute pour les trois plus petits groupes parlementaires (Ecolo, RRDP, GDR). Et même si, en cours de débat, ont été ajoutés à ce temps de parole les « temps Président », il n'en demeure pas moins que le temps imparti aux groupes parlementaires en séance publique, basé sur un nombre de 106 articles, reste bien insuffisant pour un texte ayant doublé de volume à l'issue de la commission.
De telles contraintes ont, de manière bien prévisible, pesé sur le débat parlementaire puisqu'au moment de la discussion des articles du titre III, les députés des groupes parlementaires avaient épuisé leur temps de parole. Ce n'est qu'à la faveur de l'article 55, alinéa 6, du règlement de l'Assemblée nationale (3) que l'examen du texte a, tant bien que mal, pu se poursuivre dans la nuit du 14 février 2015.
La rationalisation (même légitime) du débat parlementaire a donc été détournée de son utilité première. De telles conditions d'examen ne peuvent être considérées comme respectueuses des droits de l'opposition et de l'exigence démocratique de clarté et de sincérité du débat parlementaire.


2. Sur le détournement de la procédure parlementaire


Sur le contournement de l'obligation d'étude d'impact :
On peut constater que, dès la première lecture en commission spéciale, 36 amendements du Gouvernement ont été adoptés. Il ne s'agissait pas uniquement d'amendements de précision ou d'amélioration de dispositions présentées quelques semaines seulement auparavant, puisque, sur ces 36 amendements, 28 ont inséré un article additionnel dans le projet de loi.
Ces nouveaux articles concernaient par exemple la réalisation d'une infrastructure ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle (article 8), la réforme des modalités du permis de conduire (articles 22 et suivants), l'encouragement de l'épargne salariale (articles 168 et suivants) ou encore des réformes relatives aux missions et procédures devant l'Autorité de la concurrence (articles 215 et suivants).
De même en séance publique, sur les 35 amendements du Gouvernement adoptés, 9 introduisaient un article additionnel, avec parfois des conséquences non négligeables. Il convient de citer notamment l'article 6 qui permet la réalisation de la liaison fluviale Seine-Nord Europe ou encore l'article 50 A (supprimé en cours de navette parlementaire) qui prévoyait la création de société de projet dans le secteur de la défense nationale.
En utilisant ainsi son droit d'amendement pour introduire dans le projet de loi des articles significatifs, le Gouvernement s'est dispensé de l'obligation d'étude d'impact. Sans même se prononcer sur le fond de ces sujets, il est incontestable qu'ils sont loin d'être anodins et donc qu'ils auraient mérité de faire l'objet d'une étude d'impact.
Sur l'absence de règles claires relatives à l'organisation des lectures définitives à l'Assemblée nationale :
L'article 45, alinéa 4, de la Constitution précise que « l'Assemblée nationale peut reprendre le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ». Les députés ne peuvent donc déposer que des amendements qui auraient été adoptés au Sénat.
Cette lecture définitive fait l'objet d'une réunion de commission puis d'un examen en séance publique. Or, la réunion de commission s'effectue dans un « flou procédural » auquel il serait utile que le Conseil constitutionnel mette un terme. On ne sait pas quelle est la nature de cette réunion :
Est-ce une réunion « au fond » avec un examen des amendements déposés, en application de l'article 86 du règlement ?
Cela supposerait que les députés puissent déposer des amendements pour la commission et pour la séance. Or, en l'espèce, seule une voie d'accès pour le dépôt d'amendement était ouverte sur le logiciel interne ELOI.
Cela supposerait aussi que cette réunion donne lieu à un rapport législatif et à un compte rendu précis des échanges et des débats sur les amendements, ce qui est le cas en l'espèce (4).
Cela supposerait alors, en application de la réforme constitutionnelle de 2008, que les amendements adoptés en commission soient intégrés au texte présenté en séance publique, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.
Est-ce une réunion comme la réunion de commission en application de l'article 88 du règlement ?
Cela supposerait qu'il y ait alors eu une réunion préalable « au fond » puisque l'article 88 précise « Postérieurement à la réunion tenue en application de l'article 86 ». Or, tel n'a pas été le cas en l'espèce.
Cela supposerait aussi qu'il ne soit plus possible pour les députés de déposer des amendements pour la séance, puisque la réunion « article 88 » se tient une fois que le délai de dépôt est clos (5). Or, en l'espèce, il était tout à fait possible pour les députés de continuer de déposer des amendements pour la séance, ce que n'ont pas manqué de faire plusieurs députés, de groupes parlementaires différents.
Enfin, cela supposerait, d'une part, que cette réunion ne procède qu'à un balayage des amendements déposés pour la séance (et qui devront être débattus « au fond » en séance publique), peu importe alors que leur auteur soit présent ou non, et, d'autre part, que le compte rendu de la commission soit, de fait, minimaliste.
Il apparaît que la réunion de commission en lecture définitive n'est ni exactement une réunion « au fond » ni une réunion « article 88 ». En effet, le compte rendu montre que cette commission a...

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