Saisine du Conseil constitutionnel en date du 22 décembre 2017 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2017-759 DC

JurisdictionFrance
Record NumberJORFTEXT000036298670
Date de publication29 décembre 2017
Publication au Gazette officielJORF n°0303 du 29 décembre 2017
Enactment Date22 décembre 2017


LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2017


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Les députés soussignés ont l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble de la loi de finances rectificative pour 2017, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 21 décembre 2017.
Les députés auteurs de la présente saisine estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.
A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.


Les conditions d'examen de ce texte de loi méconnaissent l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires
Le Gouvernement a déposé 41 amendements lors de l'examen du projet de loi en séance publique, dont 31 créant des articles additionnels sur un texte de loi qui en comptait initialement 36. Le Gouvernement présente donc par amendement un deuxième texte dans le texte et ce, alors que ce collectif budgétaire était pourtant le deuxième projet de loi de finances rectificative discuté en deux semaines.
Par ailleurs, ces nombreux amendements du Gouvernement ont été déposés la veille et le jour même du début de l'examen du projet de loi dans l'hémicycle. Ce sont donc des amendements que les députés ont découvert quelques heures avant leur adoption. Ils n'ont, par conséquent, pas pu être examinés par la commission des finances de 1'Assemblée nationale et les parlementaires n'ont pas eu le temps de s'en saisir pleinement et de les sous-amender, ce qui contrevient à l'exigence indispensable de clarté et de sincérité des débats.
Par ailleurs, ce procédé qui consiste à déposer un nombre conséquent d'amendements au dernier moment conduit à contourner le Conseil d'Etat qui n'a pas pu rendre un avis sur ces modifications législatives. C'est donc une entrave à l'exigence constitutionnelle d'évaluation des articles de lois. Une telle pratique est d'autant plus regrettable que ce même Gouvernement a parfois refusé certains amendements de l'opposition, on pense notamment à la baisse du taux des intérêts moratoires dans la première loi de finances rectificative pour 2017, au motif qu'ils n'avaient pas été évalués par le Conseil d'Etat et qu'il était préférable de proposer cette mesure à travers un article de loi.
Enfin, ces amendements qui portaient parfois sur des sujets importants, on pense notamment à l'amendement sur la fiscalité du centre d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure (CIGEO), avaient pour certains un coût non négligeable qui n'étaient d'ailleurs par toujours chiffré.
Cette procédure et ces méthodes donnent aux débats un sentiment d'improvisation et d'amateurisme qui dessert les débats parlementaires et nuit gravement à la qualité de la loi. De tels agissements de la part du Gouvernement méconnaissent donc le principe de clarté et de sincérité des débats.
Ces points de procédures ont été soulevés lors de la conférence des Présidents du 12 décembre à 1'Assemblée nationale.
Sur l'inconstitutionnalite de l'article 11
L'article 11 de la loi déférée cherche à consolider la mise en œuvre du prélèvement à la source au 1er janvier 2018. Le prélèvement à la source est instauré par 1'article 60 de la loi de finances pour 2017 (modifié par l'ordonnance n° 2017-1390 du 22 septembre 2017). Il résulte des dispositions du G du I de l'article 60 que le mécanisme du prélèvement à la source entrera en vigueur au 1er janvier 2019.
Or l'article 11 de la loi de finances rectificatives ne répond pas aux risques constitutionnels posés par le prélèvement à la source et 1'article 60 de la loi de finances pour 2017.
I) Sur le principe constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi
Cette réforme du mode de recouvrement de l'impôt méconnaît notamment l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui impose au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire ». Cette méconnaissance de l'objectif d'intelligibilité de la loi risque de générer l'incompréhension des contribuables dans l'hypothèse d'une application très stricte des règles de sanctions en cas de mauvaise application de la réforme et qui sont insuffisamment assouplis par l'article 11 de la loi de finances rectificative.
II) Sur l'insécurité juridique posée par les revenus exceptionnels perçus durant l'année 2018
L'article 11 soulève une difficulté quant au crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement de l'impôt (CIMR), sur lequel pèse aujourd'hui une incertitude liée à l'absence de définition précise des revenus exceptionnels. Sa rédaction est par conséquent insuffisamment claire et intelligible.
En effet, dès 2019, les contribuables se verront appliquer le prélèvement à la source au titre des revenus perçus en 2019. Toutefois, le prélèvement à la source n'est pas applicable pour les revenus perçus en 2018, qui correspond à une année « blanche » ou « de transition ».
Ainsi que le précise l'exposé des motifs du texte, afin d'éviter que les ménages ne soient conduits à acquitter en 2019 une « double contribution aux charges publiques au titre de 1'impôt sur le revenu », le législateur a prévu d'introduire un crédit d'impôt intitulé « crédit d'impôt de modernisation du recouvrement » (« CIMR ») prévu au A du II de l'article 60.
Ce crédit d'impôt, égal au montant de l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 2018, avant imputation des réductions et crédits d'impôt pour investissements et dépenses, ne portera que sur l'impôt dû au titre des revenus non exceptionnels. Autrement dit, le mécanisme de ce que l'exposé des motifs du texte qualifie « d'année de transition » ne concerne en réalité que les revenus non exceptionnels. En effet, afin d'éviter certains effets d'aubaine, le législateur a entendu ne pas faire bénéficier du CIMR les revenus perçus en 2018 considérés comme exceptionnels (1).
L'exposé des motifs du texte précise les objectifs poursuivis en ce qui concerne le mécanisme mis en place au cours de l'année de transition de la manière suivante :
Le législateur s'est donc fixé notamment comme objectif de préserver l'effet des incitations fiscales « pour des motifs d'intérêt général de soutien aux différents secteurs sociaux et économiques ».
Il a pourtant introduit des règles différentes selon que ces incitations fiscales sont instituées sous forme de « crédit d'impôt » ou de « réduction d'impôt », lesquelles sont imputables sur l'impôt établi au titre du revenu global, ou qu'elles prennent la forme de déductions venant réduire le montant de ce revenu global.
Les A et B du II de l'article 60 de la loi de finances pour 2016 (modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017) définissent le CIMR. Or, il résulte de ces dispositions que, alors que l'effet incitatif des réductions et crédits...

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